Le chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan a été réélu dès le premier tour dimanche pour un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés, venant à bout d’une opposition pourtant revigorée lors d’élections présidentielle et législatives âprement disputées.
- Turquie: et à la fin c’est Erdogan qui gagne…
Ni les incertitudes d’un double scrutin inédit, ni la crise économique aigüe que traverse la Turquie, ni la campagne flamboyante de son concurrent à la présidence, n’y ont fait. Recep Tayyip Erdogan a gagné son pari sur toute la ligne. Il avait annoncé ses exigences depuis le référendum de l’année dernière élargissant les pouvoirs présidentiels. Il ne voulait pas de deuxième tour. Il vient d’être réélu à plus de 52% des voix au premier tour. Il appelait à une participation massive. Celle-ci a battu un record avec plus de 87% des électeurs turcs ayant exprimé leur vote. Cerise sur le gâteau : un succès inattendu aux législatives. L’alliance formée par l’AKP, (parti de la justice et du développement) qu’Erdogan continue de présider et le MHP nationaliste de droite obtient la majorité absolue au parlement.
Le Président réélu n’a pas attendu dimanche soir la fin du dépouillement ni publication des résultats officiels par la commission électorale pour revendiquer sa victoire à Ankara. «La nation m’a confié un nouveau mandat», a clamé Erdogan alors qu’environ 90% des votes avaient été dépouillés. L’opposition menée par son premier concurrent à la présidentielle, Muharram Ince qui n’a réuni que 30% des suffrages, a crié à «la manipulation» (en turc dans le texte). Mais «il s’est montré tout d’un coup mauvais perdant», regrette Ayseh une étudiante turque qui a voté pour le challenger plein de promesses.
Autre grand gagnant : le HDP à majorité kurde
Le seul autre remarquable gagnant de ces élections est le parti HDP à majorité kurde, assimilé par le pouvoir comme par d’autres partis d’opposition aux «terroristes» du PKK. En réalisant un score de 11%, le parti franchit la barre des 10% nécessaire pour entrer au Parlement où il obtient environ 65 sièges sur 600. Le chef du HDP, Selahettin Demirtas, candidat à la présidentielle depuis la prison où il est enfermé obtient 8% des voix, dépassant même la seule femme candidate Meral Aksener du IYI Parti (le bon parti) qui a été mise en avant par les médias occidentaux. «Nombreux sont ceux parmi les intellectuels et la gauche dans les grandes villes à avoir voté pour le parti kurde, par opposition à l’AKP qui aurait récupéré les voix et les sièges du HDP s’il n’avait pas franchi le barrage des 10%», explique Senay Ozden, l’une de ses électrices, universitaire à Istanbul. Dans les régions à forte population kurde du sud-est de la Turquie, les voix se sont réparties entre le HDP et l’AKP d’Erdogan.
La présence du parti pro-kurde comme des autres députés d’opposition au Parlement sera surtout symbolique. Car Erdogan va désormais pouvoir gouverner la Turquie selon le nouveau régime taillé à son ambition. La réforme constitutionnelle approuvée par référendum en avril 2017 instaure un système présidentiel à l’américaine, sans Premier ministre et avec des conseillers désignés par le seul chef de l’Etat. «Cela va clarifier la décision politique et annuler tout rôle pour l’opposition parlementaire», selon Ali Bakeer, politologue proche de l’AKP. «Toutefois, pour ne pas trop frustrer les opposants au point qu’ils puissent réagir violemment à terme et renverser la table, le Président pourrait nommer certains à des postes de responsabilités, pour leurs compétences», ajoute le familier des méthodes islamistes.
«Erdogan est capable d’ouverture et d’adaptation»
Le pragmatisme d’Erdogan est mis en avant par plusieurs connaisseurs du personnage. Ils s’attendent à le voir évoluer au cours de ce nouveau mandat où son pouvoir est garanti et total jusqu’en 2023. «Erdogan est capable d’ouverture et d’adaptation», considère ainsi Haidar Cakmak, professeur de relations internationales à l’Université d’Ankara. «Il sait par exemple que la laïcité est fondamentale pour les Turcs et ne la remettra pas en cause. Toute sa force vient justement du rapport de compréhension et d’affection qu’il entretient avec la population. Ses électeurs ont beau être conscients de ses erreurs politiques et économiques, ils l’aiment !» conclut l’universitaire.
«Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, il faut admettre qu’Erdogan sait lire le peuple turc», confirme Bayram Balci, directeur du Centre français d’études anatolienne à Istanbul. Il observe au passage que «la vogue des pouvoirs populistes n’est pas réservée à la seule Turquie». En effet, le tout premier message de félicitations reçu par Erdogan pour sa réélection est venu de Viktor Orban, le Premier ministre hongrois d’extrême droite.