Pèlerinage à la Mecque : pourquoi les femmes ôtent le voile intégral
Fait pour le moins surprenant, la tradition musulmane interdit aux femmes de se couvrir le visage pendant le pèlerinage du Hadj, l’un des cinq piliers de l’islam que tout musulman doit faire une fois dans sa vie, s’il en a les moyens. Les femmes qui d’ordinaire portent le voile intégral, comme c’est le cas notamment pour beaucoup de Saoudiennes, doivent rester à visage découvert pendant les quelques jours où elles se trouveront à la Mecque en tant que pèlerines.
Plus de trois millions de personnes, selon les autorités saoudiennes, se sont pressées autour de la Kaaba cette année pour le Hadj, dont les rites prennent fin lundi 29 octobre.
Jacqueline Chabbi, historienne spécialiste de l’Islam et professeur émérite à Paris VIII, insiste sur le fait qu’il n’y a « rien dans le Coran lui-même sur les femmes et le pèlerinage ». « Si règle il y a, elle vient de la tradition « , précise-t-elle.
Pour retrouver l’origine de cette règle, il faut en effet chercher dans les Hadiths, ces communications orales attribuées au prophète Mahomet, ou à ses compagnons. Contrairement à ce qui figure dans le Coran, les Hadiths relèvent de la tradition et non du dogme.
« Cette loi relève du bon sens »
Pour Tareq Oubrou, imam de la mosquée de Bordeaux et théologien, il faut d’abord remettre les choses en contexte. Se rendre en pèlerinage à la Mecque n’est pas un moment comme les autres, « c’est un moment où le pèlerin doit être en état de sacralisation », en l’évoquant, le prophète aurait préconisé que les femmes aient le visage découvert.
L’imam remarque par ailleurs que « cette loi est tout à fait rationnelle et relève du bon sens ». La foule immense en est la justification selon lui. « Quand il y a un tel rassemblement, et des déplacements de foules qu’impliquent les circonvolutions qu’on doit faire autour de la Kaaba, il faut pouvoir être identifié par les uns et les autres, que ce soit les personnes qui vous accompagnent où les autorités », explique-t-il.
Le pèlerinage à la Mecque, qui a traditionnellement lieu au moment de l’Aïd el-Adha, la fête du sacrifice, reste à ce jour le plus grand rassemblement humain au monde et pose aux autorités saoudiennes un formidable défi logistique.
Si cette tradition millénaire, d’effectuer le Hadj à visage découvert, a toujours été appliquée par le passé sans susciter plus d’interrogations, c’est loin d’être le cas aujourd’hui, les pratiques religieuses ayant évolué. Sur Internet, on trouve en effet foison de forums où les croyants s’interrogent sur le pourquoi du comment de ce règlement. Un moufti saoudien aurait également estimé, il y a quelques années, que les femmes pouvaient porter un voile à condition qu’il ne touche pas le visage, donc le porter par-dessus une casquette à visière était autorisé.
« La question ne s’est posée que depuis que les femmes musulmanes ont commencé, à travers le monde, à se voiler intégralement le visage », remarque Jacqueline Chabbi. Elle insiste en outre sur le fait que le Coran n’évoque jamais le voile intégral. « Concernant les femmes, le seul vêtement évoqué est le khimar, un voile de tête qui fait partie de l’habit local et culturel de l’époque. Et il n’est recommandé aux femmes que d’être décentes », explique-t-elle. Pour elle, « les coutumes qu’on observe aujourd’hui sont récentes et ne prennent pas leur justifications dans les origines de l’islam ».
Des célébrations mixtes
Au-delà de la tenue des femmes, un autre fait surprend : au Hadj la mixité est de rigueur. Hommes et femmes accomplissent les rites côte-à-côte, ce qui contraste avec certaines cérémonies comme les mariages, durant lesquelles, dans certains milieux traditionnels, hommes et femmes sont séparés.
Tareq Oubrou, également auteur de « Profession Imam », reconnaît que l’observateur d’aujourd’hui peut y voir un paradoxe. Mais là encore, il n’a pas lieu d’être. « La mixité n’est pas exceptionnelle, c’est la règle ». À l’origine, la tradition musulmane ne prévoyait pas autant de clivages entre hommes et femmes que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la pratique de la religion. Les séparations catégoriques, des coutumes, ne sont selon lui que l' »expression de paranoïas et le fait de personnes obsédées par la question de la femme ». Et de conclure : « Créer des ruptures, c’est ce qui nourrit le vice ».