Né à M’Bahiakro en Côte d’Ivoire, Abdel Kader Coulibaly (31 ans) joue actuellement dans le Championnat d’Asie du sud-est avec l’équipe nationale du Cambodge. Une trajectoire unique pour un attaquant qui a connu les blessures, l’exil, les fausses promesses et des années dans l’anonymat avant de se faire un nom en Asie.
Il y a relativement peu d’informations sur ton parcours footballistique avant ton arrivée au Cambodge en 2018. Quelle a été ta formation ?
Abdel Kader Coulibaly : C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de choses, surtout que je n’avais pas un profil Transfermarkt avant et qu’on pouvait me confondre avec deux autres joueurs portant le même nom que moi (rires). J’ai passé mon enfance à Abidjan. J’ai été formé à l’académie de football Amadou Diallo de Djékanou (AFAD). Ensuite, j’ai joué pour le club d’Issia Wazy. C’est là où j’ai été appelé en équipe nationale U20 ivoirienne.
Tu évoluais déjà comme attaquant à l’époque ?
Abdel Kader Coulibaly : Non, j’étais milieu de terrain ! Toute ma formation était en numéro six, et parfois sur un côté. Je marquais pas mal de buts pour un milieu car j’avais une grosse frappe, mais mon poste, ce n’était pas attaquant, pas du tout. C’est en Asie, surtout au Cambodge, qu’on m’a dit : « Il n’y a pas de place au milieu, mais en attaque. » J’ai répondu : « Pas de problème pour moi ! »
Sur le portrait que RFI t’as consacré, on peut lire que tu as évolué en Roumanie, au Sénégal et en Malaisie notamment. Comment s’est passé ton départ de Côte d’Ivoire au début ?
Abdel Kader Coulibaly : Un agent ivoirien m’a repéré lorsque j’étais en équipe nationale U20. Il a parlé à mon père en disant que je devais partir en Roumanie puisqu’il connaissait le directeur sportif d’un club de première division, l’Astra Giurgui. C’était en 2013, je jouais avec l’équipe B. J’étais encore jeune, j’avais à peine 20 ans, mais je voyais que c’était très louche. Rien n’était clair ici. Je n’avais pas réellement de contrat, je ne savais pas ce qui se passait alors que j’étais international. C’est pour ça que je suis parti pour le Sénégal où je suis resté trois saisons.
« Les gens en Côte d’Ivoire pensaient que j’avais signé à Marseille »
Pourquoi le Sénégal et non la Côte d’Ivoire par exemple ?
Abdel Kader Coulibaly : J’avais des propositions sénégalaises car un président de club (Mbaye Diouf Dia de Mbour Petite-Côte, ndlr) était en contact avec des agents en Europe. J’y ai joué avec Ibrahim Wadji qui fait une belle carrière européenne depuis. J’étais en pleine bourre au Sénégal, il m’est arrivé plein de choses. L’Olympique de Marseille avait organisé un test puisqu’ils étaient venus car ils étaient en contact avec Diambars. Je me suis fait remarquer en jouant, et l’émission passait sur Canal + Afrique donc les gens en Côte d’Ivoire pensaient que j’avais signé à Marseille (rires). J’ai quand même parlé avec José Anigo, il m’a dit que j’avais fait un très bon match, puis il m’a posé plein de questions, d’où je venais… Sauf que je n’étais pas avec Diambars, donc ça ne l’a pas fait. Par contre, c’était bon pour ma confiance.
Et tu vas subitement débarquer en Malaisie, probablement grâce à un agent ?
Abdel Kader Coulibaly : Je voulais quitter le Sénégal car ça devenait compliqué. Tu fais un essai, tout se passe bien, puis au dernier moment, tu ne fais plus partie du voyage, etc. Un agent malien m’a permis d’avoir un essai en Malaisie. Pareil, c’est difficile car ils cherchent des gros profils en Asie. Or, quand tu viens d’Afrique, ils ne te regardent pas trop, surtout dans des pays comme la Thaïlande. En Malaisie, c’était impossible de signer en première division vu les profils qu’ils voulaient. J’ai donc signé dans un club de D3. Sauf que ce n’était pas professionnel, je ne pouvais même pas en vivre… Ce n’était pas possible de continuer, donc je suis retourné en Côte d’Ivoire pour me préparer en espérant avoir une nouvelle chance. Je suis reparti en Indonésie en payant mon billet. Sur place, je rencontre un agent qui apprécie mes qualités, mes efforts, le fait d’être venu par moi-même. Il organisait un match dans lequel je marque. Il m’envoie en test dans un club, tout est concluant, mais je me blesse aux adducteurs. Encore une fois, je ne signe pas et je dois même retourner au pays pour soigner ma blessure. Mentalement, à ce moment, c’était très dur.
Et tu retournes en Asie, finalement au Cambodge ?
Abdel Kader Coulibaly : Pas tout de suite car je repars en Indonésie en 2018. En tant qu’ivoirien, j’avais le droit à un mois de visa. Je fais les procédures pour le visa d’un an, mais c’est compliqué. Pour faire simple, il fallait qu’on me fasse une lettre, puis on m’a conseillé d’aller dans un pays à côté pour ensuite avoir le visa d’un an sur mon passeport en arrivant de nouveau. Un ami ivoirien m’a dit de venir au Cambodge pour ces quelques jours car la vie était moins chère.
Sur place, le visa prend plus de temps que prévu. Je dépose des documents, je dois aller à la banque pour un acheter un reçu comme la dame me le demandait, puis j’attends le dossier, on me dit de repasser demain… Mon ami connaît des gens sur place et me fait rencontrer Eric, un autre ivoirien qui était devenu préparateur physique après sa carrière. Il me fait : « Tu peux jouer demain ? » Je pars, je joue, il voit que j’ai un bon niveau et s’arrange pour que je m’entraîne avec une équipe. Vu que je n’avais rien à faire de mes journées à part les démarches pour le visa, j’y vais. Dès le lendemain, il me dit : « Tu es bon, ils veulent que tu signes ! » Mais dans mon esprit, c’est l’Indonésie qui est beaucoup plus professionnel. Je m’entraîne et fait simplement les matchs amicaux avec cette équipe cambodgienne jusqu’à ce que mon visa soit prêt. Là, je rentre en Indonésie.
« Quand je signe au Cambodge, mon agent coupe les liens avec moi »
C’est un peu le parcours du combattant entre le visa, les blessures, les essais, les galères…
Abdel Kader Coulibaly : Oui, car vu que le visa avait pris trois ou quatre semaines et non quelques jours, donc la période des tests en Indonésie était passée. Je devais attendre le prochain mercato, et pour quelqu’un qui n’a pas joué depuis un ou deux ans, ce n’est pas l’idéal. Le coach au Cambodge me recontacte pour que je revienne, donc je réfléchis… J’en parle à mon agent indonésien qui refuse : « Il n’y a rien au Cambodge, ça ne sert à rien. » Je demande quand même au coach combien ils peuvent me payer, comment ça se passerait, et quand il m’annonce les conditions… Honnêtement, je ne pouvais pas jouer pour ça. Un ami en Malaisie me dit quand même de réfléchir : « Quand tu ne joues pas, tu perds ta valeur. »
Je parle avec mon agent : « Si je reviens au Cambodge jouer juste un peu ? Voir ce que j’ai dans les jambes. » Il ne veut toujours pas. Finalement, je discute avec le club et je prends la décision de signer. Mon agent ne comprend pas du tout mon choix. Il vient au Cambodge, va à la fédération, regarde les budgets, voit qu’il n’y a pas vraiment d’argent et coupera ensuite tout lien avec moi. Bon, il ne me l’a pas dit en face, mais il ne répondait plus aux messages, donc j’ai compris. Sauf que moi, je voulais juste jouer.
Tu signes en plus à Asie Euro United, un petit club cambodgien.
Abdel Kader Coulibaly : Oui, ce n’était vraiment pas pour l’argent (rires). C’est là où j’ai commencé à jouer attaquant car ils n’en avaient pas. J’ai marqué lors des deux premiers matchs. En fait, lorsque je faisais un bon contrôle, j’en profitais car j’ai une grosse frappe. Directement, d’autres clubs se sont renseignés sur moi, donc mon équipe m’a doublé mon salaire (rires). Le coach m’a demandé de rester jusqu’à la fin de saison, ce que j’ai fait, mais à deux ou trois journées de la fin, je me blesse au genou. Dans ma tête, c’était simple : je voulais faire cette grosse saison et repartir immédiatement en Indonésie ou Malaisie. Sauf que la blessure change tous mes plans…
« Je me blesse aux ligaments croisés, mais continue de jouer »
Tu n’as pu te soigner ?
Abdel Kader Coulibaly : Pas vraiment. J’essayais de jouer avec, mais je sentais que je n’étais pas à mon meilleur niveau. Je régressais sur la fin et les clubs intéressés se retiraient car ils ont appris que j’étais blessé. Je savais que si je partais dans cet été en Malaisie, un championnat plus costaud, ce n’était pas la peine. Mieux valait rester ici et me soigner. J’ai signé dans le club de la police (National Police FC) qui me donnait plus d’argent avec un coach qui me voulait vraiment. Ce n’était pas ce que je voulais au début, je visais mieux, mais je n’avais pas trop le choix.
Au final, ça se passe très moyennement. On jouait, le match se finissait, tout le monde rentrait à la maison. Il n’y avait pas d’ambiance et je ne faisais aucune différence. Ca n’allait pas du tout, donc j’ai arrêté avec Police car ça ne servait à rien : il fallait que je me soigne. Surtout que je m’étais fait les ligaments croisés.
Attends, tu as joué des mois malgré une rupture des ligaments croisés ?
Abdel Kader Coulibaly : Oui, j’avais une rupture de grade 1 et ils m’ont dit que je pouvais jouer avec. Puis, je n’avais pas eu de très bonnes expériences médicales au Cambodge, donc je ne voulais pas me faire opérer ici. Sauf qu’avec le Covid, on ne pouvait plus voyager. Par le biais d’un contact, on m’a présenté un docteur qui opère les joueurs dans tous les gros clubs cambodgiens. Ça m’a rassuré et je me suis fait opérer ici, ça s’est très bien passé.
Après ma rééducation, je reprends dans une équipe de deuxième division de Phnom Penh, Dangkor Senchey. Je marque une vingtaine de buts, on monte, et je ne suis plus parti depuis. Je suis même capitaine aujourd’hui.
250 000 dollars ou un mariage avec une Cambodgienne
Tu es devenu l’un des meilleurs attaquants du championnat, puis tu as récemment intégré l’équipe nationale en étant naturalisé. Comment cela s’est passé ?
Abdel Kader Coulibaly : Lors d’un tournoi de pré-saison organisé par la fédération, j’ai fini meilleur buteur. Ils ont commencé à me suivre, à me demander depuis combien de temps j’étais là, etc. Vu que je me sentais bien dans mon club, j’ai décidé de rester et la fédération m’a alors approché pour savoir si j’étais à jour avec les visas, si je n’avais pas de problème administratif. Je leur ai donné mes passeports, ils ont vérifié, puis m’envoyaient des messages lorsque j’étais bon.
Honnêtement, je ne pensais pas du tout à la sélection. J’ai vécu tellement de choses difficiles dans le football… Ils me redemandent des documents, puis je n’ai plus trop de nouvelles. Je voyage d’ailleurs hors du Cambodge à la fin de saison, et j’apprends que les passeports coûtent très, très, très, très cher, environ 250 000 dollars ; on ne naturalise pas les gens comme ça, mais des hommes d’affaires achètent parfois le passeport. La fédération disait que c’était aux clubs de les faire, donc c’était impossible vu le prix.
Un jour, je parle à mon ancien entraîneur qui me dit : « Ils ont parlé à mon ex-boss pour faire tes papiers, mais il faut que tu résides ici depuis cinq ans et que tu sois marié à une Cambodgienne. » C’était impossible pour moi, puis on me relance à l’automne en me disant que ce sera bon en novembre. La fédération avait pris les choses en main, il n’y avait plus d’histoire de club ou de mariage. Personne n’était au courant. J’envoie les derniers documents, et j’ai obtenu mon passeport, puis ma sélection. Ça a été un tel soulagement.
Après des années de galère…
Abdel Kader Coulibaly : Oui, surtout que j’avais déjà été avec les U20 de la Côte d’Ivoire, donc il fallait que la fédération ivoirienne envoie un papier pour confirmer que j’avais effectivement joué. La fédération cambodgienne a envoyé un mail, mais ça prenait du temps. Or, ils attendaient la réponse officielle de la fédération ivoirienne pour que mon dossier soit bon. S’ils ne l’avaient pas, je n’aurais pas pu faire le tournoi. Je ne dormais plus, je passais mon temps à appeler à Abidjan (rires). C’est un rêve de pouvoir jouer dans une sélection A. Même si je n’ai pas beaucoup d’argent, je voulais être professionnel depuis tout petit et arriver à ce stade-là. Donc quand le mail est arrivé…
Puis dès ta première sélection, tu marques contre la Malaisie (2-2 au final).
Abdel Kader Coulibaly : Lorsque j’ai marqué, j’étais dans un autre monde. Le premier but de la compétition du Cambodge, contre la Malaisie… J’ai vécu tellement de choses que je me dis que ça peut prendre fin du jour au lendemain. Il faut profiter, tout donner. Je connais plein de personnes qui ont lâché, plein de personnes qui n’y croyaient pas, qui pensaient que j’avais arrêté de jouer depuis longtemps. Donc là, je profite à fond et espère marquer d’autres buts !