On imagine, bien des fois à tort, que passer après le mauvais élève assure une appréciation plus magnanime. Ainsi, beaucoup imaginaient que la tâche du président gambien, Adama Barrow, élu en 2016 pour succéder à un dictateur au pouvoir depuis 22 ans, serait plus facile. Pourtant, face aux aspirations d’un peuple avide d’exercer le pouvoir dont on l’a privé pendant plus de deux décennies, les bonnes intentions du nouveau président semblent ne pas suffire. Condamné à ne pas marcher dans les pas de son prédécesseur, Adama Barrow voit, malgré tout, ses décisions influencées par l’ombre de Yahya Jammeh.
Adama Barrow doit un peu en avoir assez d’entendre parler de Yahya Jammeh. Le 15 octobre, les membres de la commission vérité, réconciliation et réparations, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrées par l’ancien président, ont prêté serment. En juin dernier, les autorités ont mis en vente trois avions présidentiels, trente voitures de luxe, quatre domaines situés en zone touristique, appartenant à Yahya Jammeh. La vente de ces biens, d’une valeur de 8,5 millions d’euros, auront peut-être définitivement fixé à Adama Barrow sur la sobriété qui devra caractériser son mandat.
La Gambie se libère petit à petit de Yahya Jammeh
A l’extérieur, on n’arrête pas de rappeler au président gambien l’importance d’assurer la démocratie. A priori, cela ne lui pose pas de problèmes. Mais face à une presse plus vigilante que jamais, depuis que sa liberté lui a été rendue, et des contre-pouvoirs aux aguets pour éviter que ne ressurgisse un nouveau tyran, on imagine qu’Adama Barrow aimerait bien un peu plus de pouvoir.
Président presque par accident
Le 14 août, le président était face à la presse, honorant à nouveau sa promesse de se présenter devant les médias tous les 6 mois pour discuter des réalisations de son gouvernement. L’occasion pour lui de répondre à certains intellectuels gambiens qui lui reprochent son manque d’éducation et de leadership. « C’est parce que nous avons combattu Yahya Jammeh que maintenant certains ont peuvent critiquer dans leur coin. Mais ces doctorants, ils étaient où, quand nous avions besoin d’eux », a ironisé Adama Barrow.
« C’est parce que nous avons combattu Yahya Jammeh que maintenant certains ont peuvent critiquer dans leur coin. Mais ces doctorants, ils étaient où, quand nous avions besoin d’eux »
Effectivement, la liberté d’expression n’était qu’un doux rêve en Gambie où Yahya Jammeh avait établi un règne de terreur. A cette époque, personne, même le principal intéressé, n’aurait imaginé qu’Adama Barrow gagnerait les élections face au président qui avait dirigé le pays pendant 22 ans. « Il y a cinq mois, vous m’auriez dit que je serais candidat que je ne vous aurais pas cru », avait déclaré l’actuel président gambien peu avant les élections de 2016. Alors président…
Surtout que les origines et le parcours de l’homme ne semblaient pas vraiment le destiner à la magistrature suprême. En effet, Adama Barrow est né en 1965 dans le village de Mansajang Kunda, dans l’Est de la Gambie.
Les origines et le parcours de l’homme ne semblaient pas le destiner à la magistrature suprême
Issu d’une famille modeste, il débute ses études primaires aux environs de son village avant de les continuer à Banjul. Grâce à une bourse, il fait ses études secondaires dans une école musulmane. A la fin du secondaire, Adama Barrow décide de travailler pour subvenir à ses besoins. Il obtiendra un emploi au sein de la chaîne de magasins Alhagie Musa & Sons.
Grâce à une bourse, il fait ses études secondaires dans une école musulmane. A la fin du secondaire, Adama Barrow décide de travailler pour subvenir à ses besoins. Il obtiendra un emploi au sein de la chaîne de magasins Alhagie Musa & Sons.
A force de persévérance, il en gravit les échelons pour se hisser directeur des ventes. En 1996, il adhère au parti démocrate unifié (UDP), quelques mois avant de partir pour Londres. Le Gambien veut y suivre une formation dans le domaine de l’immobilier. Il la finance en travaillant comme agent de sécurité dans un magasin de grande distribution. Finalement, il obtiendra son diplôme en 2006. Il retourne alors en Gambie, où il fonde sa société immobilière, la Majum Real Estate. Cette société le rendra riche. Mais on est encore loin de la présidence.
Le spectre de Yahya Jammeh
Désormais fortuné, Adama Barrow reprend ses activités à l’UDP, dont il devient le trésorier. Faisant partie d’une formation politique d’opposition, il est aussi révolté que la majeure partie de la classe politique gambienne lorsque, le 16 avril 2016, Ousainou Darboe, rival historique de Yahya Jammeh est arrêté. Il sera condamné à trois ans de prison. Même s’il avait dépassé la limite d’âge pour se présenter, son arrestation nourrit une indignation grandissante au sein des opposants. Tous les partis d’opposition décident alors d’investir un candidat unique. Étonnamment, leur choix se portera sur Adama Barrow.
Tous les partis d’opposition décident alors d’investir un candidat unique. Étonnamment, leur choix se portera sur Adama Barrow.
Homme d’affaires encore peu connu du grand public, le natif Mansajang Kunda fait pourtant l’unanimité auprès du peuple. Il a connu la pauvreté et la souffrance que vit la population depuis plusieurs années. Il est monsieur tout le monde. Presque comme dans un rêve, il est élu avec 43,3 % des suffrages, contre 39,6 % pour Yahya Jammeh.
Le premier surpris par son élection
Dans l’euphorie, il veut tout de suite se démarquer de son prédécesseur en annonçant ne vouloir effectuer qu’un mandat de 3 ans, avant d’organiser de nouvelles élections. Il n’est pas Yahya Jammeh…et pourtant.
Lors de la conférence de presse du 14 août dernier, Adama Barrow revient sur cette promesse qu’il ne tiendra plus. « Je n’ai à discuter avec personne, pas même avec les membres de la coalition, de la question de trois ou cinq ans. Je ne pense pas qu’il faille faire des élections, juste pour pouvoir dire qu’on les a faites. Nous devons d’abord améliorer le système, et il faut suivre les étapes. On doit réécrire la Constitution, il y a aussi la commission vérité et réconciliation qui va être lancée. Ce sont des choses qu’il faut faire avant de se précipiter vers les élections ».
Malheureusement pour lui, l’ombre de Yahya Jammeh, qu’il essaie d’éviter, depuis son arrivée au pouvoir, ne cesse de se rapprocher du nouveau président. Le 19 juin, des violences policières font trois morts parmi des manifestants qui protestaient, la veille, contre la pollution industrielle.
Ces évènements « d’un autre régime », ne facilitent pas la tâche du nouveau président. Le président promet que justice sera faite. Seulement, maintenant, beaucoup se méfient de lui.
Le 19 juin, des violences policières font trois morts parmi des manifestants qui protestaient, la veille, contre la pollution industrielle.
Dans le même temps, le peuple attend du changement sur le plan des libertés, mais également sur le plan économique. Ces changements, les Gambiens les attendent très vite. Leur président, lui, souhaite prendre le temps qu’il faut.
Pas sûr que cela apaise un peuple qui n’est plus très patient, après avoir subi 22 ans les dérives d’un tyran. Finalement, ce n’est pas si facile de passer après un dictateur.
Ecofin Hebdo