Alassane face à Bédié après la mort D’Houphouët

4. Alassane face à Bédié après la mort D’Houphouët

Durant cette période, le Premier ministre Alassane Ouattara, dont la nationalité ivoirienne fut contestée par la suite et soumise à de nombreux défis, jouissait d’un pouvoir absolu. Les ministres de l’intérieur, de la Sécurité intérieure, l’état-major des armées conduit par le général Gueï, le chef de la police, tous étaient sous ses auspices. Après ma prière à la mosquée, vêtu d’un boubou, je me rendis à sa résidence et je fus reçu par son épouse. Lorsque je m’enquis de sa présence, elle m’informa qu’il était encore à la primature et accéda gracieusement à ma demande de le joindre par téléphone. Elle revint m’informer qu’il arriverait sous peu. J’étais impatient de m’entretenir avec lui. A son arrivée, nous nous retirâmes dans son bureau. Une fois assis, je plaçai mon Coran au centre de la table et m’adressai à lui :

« Ce Livre Saint nous unit, tu as tous les pouvoirs entre les mains. Que comptes-tu faire ?

— Je te remercie, répondit-il. Je m’en remets à la Constitution. »

J’avais sa parole, je le quittai rassurer.

Le lendemain, en compagnie d’un jeune du mouvement « J’aime le PDCI », je fis appel à Henri Konan Bédié, le successeur constitutionnel, dans sa villa de Yamoussoukro. À la lumière des événements que le destin implacable nous imposait, la nature critique de ce qui allait transpirer était au-delà de tout ce que notre jeune nation avait jamais expérimenté. Lorsque je le rencontrai, mes questions furent centrées sur son degré de préparation pour accéder au pouvoir au moment approprié. Je le pressai d’entreprendre les mesures nécessaires pour être prêt à assumer l’effectivité de l’application de la Constitution, afin d’assurer la continuité des affaires de l’Etat.

II admit qu’il n’avait pas vraiment saisi la volatilité de la situation. Il s’était plutôt entouré d’une poignée de ministres qui lui avaient fait allégeance. En tout cas, mon intention était d’insister sur l’importance de mettre sur pied un comité de crise pour prendre en compte toute circonstance qui pourrait déstabiliser la nation. « Les ministres ont-ils été informés sur ce qu’ils devraient faire si les choses ne se passaient pas comme prévu ? » II me regarda fixement, quelque peu perplexe. Je compris que je devais reformuler ma question : « As-tu organisé les ministres en comité de crise et sont-ils prêts à appliquer des mesures critiques pour éviter une crise nationale ?» Je choisis soigneusement mes mots pour suggérer qu’il pourrait peut- être avoir besoin d’en discuter avec les ministres. Sa réponse fut exactement celle que je suspectais : « Non, pas vraiment. » Il fit une brève pause :

« Mais j’ai un dîner prévu avec les ministres demain soir. Nous parlerons de tout à ce moment-là.

—      C’est bien. Si tu le souhaites, je pourrais revenir pour rencontrer tout le monde.»

Il semblait soulagé. « Mieux encore, pourquoi ne te joindrais-tu pas à nous pour dîner ? Nous pourrons avoir la réunion après cela. » Nous nous serrâmes la main. Je sombrai au fond de mon siège et le chauffeur prit la route pour parcourir les 250 kilomètres jusqu’à Abidjan. J’étais d’humeur réflexive et ce moment surréaliste pesait lourdement sur mon cœur. En chemin, j’ouvris la fenêtre pour respirer la brise tropicale et caresser dans la nuit le ciel de mes pensées, tandis que je méditais pour faire le vide dans mon esprit.

En direction de Yamoussoukro, l’après-midi suivante, nous tombâmes dans un embouteillage ; un grumier avait renversé sa charge et obstrua l’autoroute pendant de longues minutes. Les deux voies étaient parsemées de volumineuses billes de bois. Nous attendîmes patiemment jusqu’à l’arrivée de l’équipe de déblayage pour dégager la route. À notre arrivée à la villa, les ministres se régalaient du dernier mets au menu, une salade de fruits. L’atmosphère était tamisée. Je les rejoignis à table et pris un verre d’eau. Pendant que je conversai avec l’un des ministres, je remarquai que quelques-uns parmi eux s’apprêtaient à prendre congé.

 

Source: “Un rêve pour la Paix” du Dr Ghoulem BERRAH, ancien conseiller du Président Houphouët Boigny page 537 à 548