ALASSANE OUATTARA ET L’EGLISE CATHOLIQUE » ‘‘Histoire secrète d’un malentendu’’ (DEUXIEME PARTIE)

 

Malgré cette lettre, la situation sécuritaire pour les dignitaires musulmans a continué à s’empirer avec d’abord l’assassinat de l’Imam SAMASSI Mahmoud et l’exil forcé de Cheikh Aïma Boikary FOFANA aux Etats-Unis. Cependant, force est de reconnaître que des religieux comme le Nonce Apostolique Mgr Ambroise MATAH, représentant du Vatican à Abidjan et le Senior Evangéliste EDIEMOU Blin Jacob ont manifesté leur solidarité au Conseil National Islamique (CNI) dont le Président les a remerciés en ces termes :

« Eminence,

Je viens par la présente vous remercier au nom de la communauté musulmane pour votre compassion lors de votre visite de soutien aux victimes des attaques perpétrées contre certaines Mosquées à Yopougon.

Votre geste a été d’une importance capitale pour les musulmans démontrant votre désir de paix et de cohésion pour toutes les communautés religieuses. Je voudrais ici vous témoigner toute ma gratitude.

Que le Seigneur Tout Puissant vous bénisse et vous garde. »

Toutefois, entre l’Eglise catholique et le Conseil National Islamique, l’analyse de la situation socio-politique était diamétralement opposée. En témoigne un débat houleux sur RFI entre l’Imam KOUDOUS et le Cardinal AGRE. L’Imam KOUDOUS soulignait les exactions contre les musulmans, alors que le Cardinal AGRE disait que tout était normal dans le pays.

Cette gré-guerre entre certains chefs religieux était latente. Il faut rappeler que, quand le printemps de la démocratie a soufflé sur la Côte d’Ivoire en 1990, l’opposition politique à HOUPHOUËT-BOIGNY l’attaque de tous les côtés. Or le vieux est devenu vraiment ‘‘vieux’’ et affaibli par la maladie. Ces trois piliers (la France, l’Eglise et le PDCI) pensent déjà à l’après HOUPHOUËT-BOIGNY. Il le sait.  Mais le Vieux crocodile ne s’avoue pas vaincu.

Contre toute attente et dans un dernier sursaut, il fait appel à quelqu’un que personne n’avait prévu, Alassane OUATTARA. Car il ne correspond pas au profil classique qu’on attend au bord de la lagune Ebrié pour remplacer Félix HOUPHOUËT-BOIGNY. Lui aussi, ne s’attendait pas à un tel scénario. Il était venu pour redresser la barre et s’en aller paisiblement pour sa brillante carrière internationale. Il s’acharne sur son travail, et rien que le travail pour remettre le pays sur les rails. C’est un mystère de la rencontre des DESTINS.

Alassane OUATTARA gère le pays sans état d’âme. C’est le technocrate, soucieux d’être à égale distance de toutes les chapelles politiques et religieuses. Pas de privilège particulier pour telle ou telle chapelle politique ou religieuse. La solution passe difficilement chez les privilégiés du système HOUPHOUËT-BOIGNY, notamment l’Eglise catholique, avec la réduction drastique de certaines subventions imposées par la situation économique difficile des finances publiques.

L’église catholique est inquiète

Ainsi, aux premières heures de la mort du Président HOUPHOUËT-BOIGNY, le Cardinal AGRE déclare sur RFI en ce matin de : ‘‘l’Eglise catholique est orpheline…’’ selon certains témoins, il aurait aussi ajouté… « Pourvu que le successeur du Président Houphouët soit oint par le Christ. » Des phrases lourdes de conséquences, car elles vont déterminer par la suite, toute la stratégie de l’Episcopat vis-à-vis du pouvoir d’Etat et de tous les prétendants à la Magistrature suprême.

Logique d’autant plus qu’avoir l’opportunité de recueillir en exclusivité, les confessions d’un Président de la République reste toujours un privilège inouï, pour toutes obédiences religieuses ou spirituelles. Depuis la colonisation jusqu’à Houphouët, seule l’Eglise Catholique ivoirienne parmi les communautés religieuse s’intéresse tout particulièrement à tout ce qui tournait autour de la succession de Felix Houphouët Boigny. Ceci est le fruit de l’histoire. De tout temps en Europe notamment entre le pouvoir d’Etat et l’Eglise catholique, il y a toujours eu un échange de bons procédés. Sous la colonisation déjà, l’Eglise était considérée comme le porte-parole et l’interlocuteur principal pour toutes les questions concernant les religions. Il était tout à fait logique alors que dans les domaines de l’attribution des espaces pour les cultes, l’Education et la formation, l’Eglise ait nettement une longueur d’avance sur non seulement l’Islam, mais aussi sur les autres obédiences chrétiennes. Le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY a maintenu ce statu quo particulier de l’Eglise catholique tout en se méfiant pendant son long règne, élites musulmanes, dans un environnement géopolitique international dominé par l’antagonisme israélo-arabe ou judéo-musulman. Cependant, par un hasard de l’histoire au moment où il se meurt, il se trouve que c’est un musulman qui est le Tout puissant Chef du Gouvernement. D’où probablement l’affirmation du Cardinal d’Abidjan « L’Eglise est orpheline … ». Ceci explique tout ce qui se passe depuis lors.

La présence d’Alassane gêne beaucoup de personnes, mais Houphouët depuis le départ tente de le protéger : « .. »

Car, ceux qui avaient des privilèges auprès de HOUPHOUËT-BOIGNY voient en lui, tout de suite, un empêcheur de tourner en rond. Ils lui en veulent d’autant plus que la communauté musulmane à laquelle il appartient, commence à s’organiser au plan national à travers le Conseil National Islamique (CNI) dont le premier congrès constitutif est justement annulé à la dernière minute par le Ministre de l’Intérieur de l’époque Emile Constant Bombet, le 28 novembre 1992. Dès lors la communauté musulmane recule alors pour mieux sauter. Ainsi elle met la pression, et grâce au Ministre Balla Kéita finalement, le Conseil National Islamique (CNI) est né le 09 janvier 1993, sous la présidence effective du Ministre Léon Konan Koffi, représentant le chef de l’Etat qui rembourse les frais d’organisation du congrès avorté et de celui réalisé.

Quelques semaines plus tard, HOUPHOUËT-BOIGNY reçoit le bureau du Conseil National Islamique au grand complet. Il fait des aveux et des promesses aux musulmans. A cette rencontre privée les seules personnalités présentes sont Balla Kéita et Ahmed Bakayoko, Patron du journal Le Patriote.

Le Conseil National Islamique profite de cette toute première rencontre, après la prière collective de Magrib célébrée sur place, ce jour du 13 mars 1993 pour présenter un cahier de doléances au chef de l’Etat notamment :

  • L’inscription de certaines fêtes musulmanes au calendrier officiel des jours chômés et payés de l’Etat de Côte d’Ivoire ;
  • L’ouverture d’une représentation diplomatique ivoirienne en Arabie Saoudite où des milliers d’Ivoiriens se rendent chaque année pour accomplir leur pèlerinage ;
  • L’obtention d’un terrain pour la construction d’une Mosquée au Plateau, le quartier des affaires et de l’administration qui n’abritait aucune véritable Mosquée après la destruction d’une première mosquée située dans l’espace occupé par le stade Felix HOUPHOUËT-BOIGNY ;
  • L’obtention d’un espace à Cocody pour le siège du Conseil National Islamique (CNI). La commune résidentielle la plus prestigieuse n’offrait aucune Mosquée à ses nombreux résidents musulmans. La première fois que les cadres musulmans ont demandé à avoir un terrain de culte à Cocody, il leur a été rétorqué que Cocody était un quartier résidentiel. Et finalement le lieu qui leur a été attribué en 1985, était le dernier lot du lotissement de Bonoumin, un endroit inhabité à l’époque.

Les sollicitations de la communauté musulmane sont acceptées par le président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY. Il demande au Premier Ministre Alassane OUATTARA de les mettre en exécution et de lui en rendre compte. Les réactions de Felix Houphouët Boigny sont bien accueillies par les musulmans. Car ceci marquait le début de la fin d’une marginalisation des musulmans qui datait de la colonisation française.

En effet, à cette époque, les musulmans étaient considérés comme une menace à la civilisation occidentale. Donc, ils étaient contrôlés et surveillés de très près. Parmi ces mesures, un blocage systématique de tous liens avec les pays arabes, une surveillance stricte des marabouts populaires, et avec une tutelle directe des écoles coraniques par le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Pendant que parallèlement, l’Eglise reçoit des subventions massives qui lui permettent de construire des écoles modernes et de détenir un patrimoine foncier important. Sa présence est visible partout en grande nombre et en qualité. Tant et si bien que certains pensent et disent que la Côte d’Ivoire est la fille de l’Eglise catholique. (A suivre…)