Avec l’indépendance et pendant longtemps, le Président HOUPHOUËT-BOIGNY ne change pas fondamentalement le statut de la religion musulmane. Elle évolue toujours en marge des pôles de décision. Elle n’a pas voix au chapitre. Dans les quartiers huppés comme Cocody, en 1987, il y avait 33 lieux de cultes chrétiens contre un seul pour les musulmans. Et au Plateau le quartier administratif, il n’y avait aucune Mosquée.
Cependant, vers la fin de sa vie, conscient de cette situation potentiellement frustrante pour les musulmans, et dangereuse pour la cohésion nationale, HOUPHOUËT-BOIGNY construit sur fonds propres, la première mosquée de Cocody en 1987. Il visitait régulièrement le chantier après avoir validé lui –même le plan architectural, et financé sur ses propres ressources et celles de sa compagne musulmane Bintou. C’était le début d’une politique de rattrapage initiée par le Président. Mais n’était-il pas trop tard ?
Cependant, pour beaucoup de chrétiens, et en particulier pour une partie de la hiérarchie catholique, cette politique de rattrapage a été favorisée par la présence d’Alassane OUATTARA à la Primature. Peut-être oui, peut-être non. Il n’en était rien, car en fait, HOUPHOUËT-BOIGNY lui-même avait voulu réparer le tort fait depuis la colonisation, d’autant plus qu’il a affirmé vers la fin de sa vie que les musulmans lui étaient toujours restés fidèles politiquement.
Aussi, dans un contexte où il était en difficulté avec ses piliers, HOUPHOUËT-BOIGNY avait-il le choix ? Donc Alassane OUATTARA ne pouvait être que mal vu du côté, entre autres et principalement de l’Episcopat catholique, des caciques du PDCI, et d’une certaine France qui voyait en ADO un sous-marin américain dans la cour de la coqueluche française en Afrique. Tant et si bien que dans les déclarations officielles de l’Episcopat ivoirien et dans certaines sorties médiatiques solitaires de certains prêtes, Alassane OUATTARA était ouvertement indexé, traité même d’antéchrist, tout en prenant faits et causes pour ses adversaires politiques. Malgré cette hostilité ‘‘sainte’’, ADO arrive au pouvoir et conscient de la délicate situation, il tente un rapprochement avec l’Eglise. Il reçoit même l’un de ses plus farouches opposants, Mgr AGRE, au Palais de la Présidence. Il dépense des milliards pour rénover la Cathédrale d’Abidjan et la Basilique après avoir achevé l’Hôpital Moscati de Yamoussoukro. Les prises en charge des prélats en difficultés sont assurées par le Palais. Chaque année une subvention est octroyée à l’Eglise catholique. Son épouse catholique pratiquante est aux bons soins de ses coreligionnaires catholiques. ADO et son épouse construisent ou participent à la construction d’Eglises. Dans la recherche de gage d’assurance pour la hiérarchie catholique, Alassane OUATTARA a choisi l’Evêque Ahouana pour présider une commission nationale de réconciliation. Mais tous ces gestes ne rassurent guère l’Eglise catholique qui voit Alassane OUATTARA derrière l’organisation de la communauté musulmane.
Le 10 mai, la Conférence Episcopale déclare : « les archevêques et évêques de Côte d’Ivoire tiennent à informer les membres du clergé, les religieux et les fidèles laïcs qu’ils n’ont été ni associés ni de près ni de loin par leur confère à cet engagement c’est pourquoi dans l’esprit du canon 285 du code du droit canonique de 1983, ils tiennent à préciser qu’ils ne sont pas comptables des actes qu’il posera dans l’exercice de sa nouvelle chargée à la tête de la conariv. »
En tout état de cause, Il convient de relever que le renouveau de l’Islam en Côte d’Ivoire n’a rien à voir avec la présence d’ADO. Bien avant l’arrivée d’ADO en Côte d’Ivoire, il existait déjà l’AEEMCI (Association des Elèves et Etudiants Musulmans de Côte d’Ivoire). Et bien avant l’AEEMCI, depuis la colonisation, l’Islam se développait malgré son statut de religion marginalisée.
L’organisation des musulmans a été une longue bataille. D’abord au niveau des élèves et étudiants alors que la jeunesse chrétienne était libre de s’organiser et de bénéficier des avantages étatiques y afférents, on exigeait de ceux qui voulaient organiser la jeunesse estudiantine musulmane des parrains politiques qui se débinaient pour des raisons politiques.
En dépit de ces difficultés, sous la colonisation et le parti unique, les musulmans sont arrivés à mettre en place des structures pour encadrer les élèves, les étudiants, les cadres et les Imams.
Avec l’ouverture démocratique vers les partis politiques, la communauté musulmane apparaît pour chaque politicien comme un électorat captif à convaincre ou à stigmatiser selon les circonstances ou les cibles des uns et des autres. Être organisé, c’est bien mais être reconnu par le protocole d’Etat peut paraître plus complexe. (A suivre…)