Interdits par la loi, mais toujours pratiqués, les avortements non médicalisés continuent de causer de nombreux décès en Côte d’ivoire. Enquête sur un fléau responsable de 15% de décès maternels.
Ces avortements clandestins qui font des ravages
Il est 15h3O min, nous sommes dans la commune d’Abobo Pk 18. Nous décidons d’accompagner une connaissance qui veut se faire avorter, vu la situation difficile qu’elle traverse avec une grossesse non désirée. Nous nous rendons donc dans un centre de santé à cet effet. Centre, qui d’ailleurs nous a été conseillé par une de nos amies qui avait apparemment « l’habitude » de pratiquer l’avortement dans ce lieu. Sur le chemin qui mène dans cet établissement, nous apercevons des maisons plus ou moins délabrées, des enfants à moitié vêtus qui s’amusent par endroits. Un autre ami que nous avons embarqué dans notre enquête devait jouer le rôle du « responsable de la grossesse » qui, compte tenu de sa situation d’homme marié, aurait opté pour un curetage. Chose qu’il a acceptée de bonne grâce.
Après plusieurs détours dans le quartier, nous retrouvons le fameux centre de santé. C’est un établissement délabré badigeonné de bleu qui n’inspire pas confiance. À l’intérieur, ce sentiment est conforté par les mesures d’hygiène qui, visiblement, laissent à désirer, sans parler du matériel de soins assez désuet. À l’intérieur de ce curieux centre de santé, deux jeunes filles en blouse blanche, l’une assise derrière une table et l’autre étendue sur un banc conversent tranquillement. C’est là que nous décidons de mettre notre scénario en marche. Mon ami, l’air très en colère se met à crier sur sa soi-disant copine (mon amie) à l’entrée du centre. Afin d’éviter tout soupçon, j’essaye de le calmer. Tout en lui faisant comprendre que ce n’est pas le moment de s’accuser. Le mal est déjà là : Nous devons trouver la solution. Ma copine, à son tour, joue les attristées, du genre la « go » déçue. Quand nous sommes à l’intérieur de ce lieu sanitaire, il se fait passé pour un patient qui a pour habitude de le fréquenter. Il lance un bonjour aux dames, qui surprises de notre arrivée, se mettent dans des dispositions plus raisonnables pour nous recevoir. C’est à cet instant qu’il leur explique que nous voulons voir le docteur et que c’est confidentiel. Elles nous font savoir qu’il vient de partir, et nous demandent si nous pouvons revenir le lendemain.
Mon ami insiste sur le fait que c’est urgent et que nous venons de loin. Quelques minutes de silence, puis l’une d’entre elles nous fait savoir qu’elle va essayer de joindre le médecin pour lui expliquer notre urgence. Peu après, elle nous annonce que le médecin ne sera de retour qu’à 17h. Nous acceptons d’attendre. Pendant ce laps de temps, nous faisons semblant d’être en désaccord dans nos discussions le temps qu’arrive le médecin.
- Arrivée du médecin
17h3O min, c’est un homme de teint noir, de taille moyenne, vêtu d’une chemise en tissu pagne et d’un pantalon jean qui fait son entrée dans ce lieu. A son arrivée, il a l’air d’une personne très pressé. Il se dirige vers les jeunes filles et leur lance « Bonsoir, où sont les gens qui veulent me voir là. Parce que je dois retourner pour une urgence familiale», dit-il. Puis, il entre dans son bureau. C’est à ce moment-là, que la fille se dirige vers nous et nous fait savoir que c’est lui le médecin que nous attendons. Les minutes qui suivent, elle annonce notre arrivée. Nous entrons dans un bureau où plusieurs messages et images de santé sont placardés sur le mur. Le médecin, après salutation d’usage, nous invite à prendre place, il nous demande le but de notre visite si urgente. C’est ainsi que mon ami (le responsable de la grossesse) prend la parole pour lui expliquer les raisons de notre visite, après présentation. Très attentif pendant la causerie, nous nous disons que le problème est résolu, vu son attitude. Contre toute attente, il nous fait savoir qu’il ne fait pas d’avortement et que c’est interdit par la loi. Comme une vraie comédienne, mon amie (l’enceintée) lui explique qu’elle ne sait pas quoi faire, mais qu’il lui vienne en aide quel qu’en soit le prix. Puisqu’elle est enceinte d’un mois deux semaines. « Docteur, même si toi tu ne le fais pas, pardon conseille-nous quelqu’un de fiable. Stp aide-moi, Je suis dans le besoin ».
Embarrassé, il nous fait des remontrances. « Désormais prenez vos précautions. Il y a beaucoup de contraceptifs pour éviter de contracter une grossesse. Aujourd’hui, je vais le faire, mais demain si vous ne prenez pas vos précautions, ne pensez pas que je le ferai encore… », sermonne-t-il. Avant d’ajouter qu’il va pratiquer cet avortement à 40.000 FCFA, y compris les médicaments. Ce que-nous acceptons sans difficulté. Rendez-vous est donc pris pour le lundi matin, à 10 h. Ma copine ne devait ni manger, ni boire la veille après 20h jusqu’à ce que l’opération se fasse. C’est sur ces recommandations que nous prenons congé du médecin. Nous avons atteint notre objectif. Vérifier que l’avortement clandestin se fait dans ce lieu.
Si, en général, les avortements chirurgicaux sont considérés comme les plus courants, d’autres méthodes comme l’ingestion de substances caustiques ou de solution à base de plantes sont plus courantes chez les femmes pauvres et parmi celles des milieux ruraux. C’est dans cette optique que nous mettons le cap sur le grand marché d’Adjamé, non loin d’une voie très connue et d’un grand établissement dont nous taisons le nom. Des jeunes filles assises à coté de leurs marchandises, nous invitent à venir découvrir les secrets de femme. Toute souriante, nous nous approchons de leurs étals comme de vraies clientes pour éviter tout soupçon de leur part. Arrivée à leur niveau, l’une d’entre déclare être la meilleure du coin, reconnue en matière de secret de femme. Alors nous décidons d’échanger avec elle. Primo, elle nous montre des astuces pour maintenir son homme et bien d’autres. Vu que notre objectif, ce ne sont pas ces secrets, nous lui expliquons discrètement l’objet de notre présence. « J’ai un retard de deux semaines. As-tu quelque chose pour moi dans ce sens?» C’est ainsi qu’elle me propose ceci : ’’ Il y a une herbe, tu la piles, et tu la mets avec de l’eau. Ce n’est pas bon à boire, mais tu prends ça. L’effet n’est pas automatique et immédiat, parfois il faut le prendre pendant des semaines pour que ça finisse par marcher : à chaque fois que tu as soif, tu bois ça. » précise-t-elle. Dans la même veine, elle me propose un autre traitement en me disant : « La décoction à boire n’est pas le seul moyen, il y a aussi des plantes réduites en poudre mélangée à de l’eau, tu peux les mettre directement dans le sexe. Ça ne dure pas. Au bout de deux jours, tes règles vont venir. Tantie, c’est bon. Il y a longtemps que je suis au marché ici.
Toi-même, tu vas voir, mes médicaments, toutes les filles les connaissent. C’est chap-chap (à effet rapide, Ndlr). Il y a des comprimés aussi… » Elle nous donne les différents prix qui vont de 2 000 à 5 000 frcs. Mais avec des risques… et des conséquences. Nous faisons semblant d’échanger avec elle pour voir ce qui est meilleur et efficace. Au finish, nous optons pour la poudre. Nous lui remettons la somme de 2 500 frcs avec toutes les consignes indiquées par la vendeuse.
Interdite par la loi mais pratiquée clandestinement et dans des environnements non médicalisés, la pratique de l’avortement est devenue un marché lucratif pour des tradi-praticiens et des médecins généralistes, qui en font un gagne-pain. Des personnes non qualifiées pour cet acte le pratiquent à longueur de journée et exposent les patientes à des complications graves.
Oui à la vie, non à l’avortement
Il est vrai que les gens parlent de l’avortement comme étant le «choix d’une femme», Le problème, c’est que ce choix est en conflit direct avec le droit de vivre de l’enfant à naître. Une femme a peut-être le droit de faire ce qu’elle veut de son propre corps, mais certainement pas du corps de quelqu’un d’autre. Les promoteurs de l’avortement veulent faire croire aux femmes que leur enfant n’est rien d’autre qu’un amas de cellules. Ce que l’on ne vous dira pas, c’est que lorsque vous avez subi un avortement. Vous êtes plus susceptible de souffrir d’une fausse couche ou d’une naissance prématurée lors de vos grossesses futures…
15 % de décès maternels sont liés aux avortements
Selon l’Enquête démographique et de santé (EDS 2012), le ratio de mortalité maternelle est estimé à 614 décès pour 100 000 naissances vivantes en Côte d’ivoire, l’un des ratios de mortalité maternelle le plus élevé en Afrique subsaharienne, et 14% de ces 614 décès sont liés à l’avortement clandestin. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les avortements clandestins représentent 15% des décès maternels. En Côte d’ivoire, le taux de prévalence contraceptive tourne autour de 21%, alors que le pays s’est fixé un objectif de 36% à atteindre en 2020.
Résultats clés
On estime que 4 à 5% des femmes en âge de procréer ont eu un avortement potentiel dans les 12 mois précédant l’enquête du Performance Monitoring and Accountability 2020 (PMA2020), soit entre 210 000 et 288 000 avortements par an en Côte d’ivoire.
- En 2017, l’incidence des avortements potentiels était de 36.9 pour 1000 femmes de 15 à 49 ans en Côte d’ivoire, selon la déclaration des femmes elles-mêmes et de 50,8 pour 1000 si on se réfère à l’expérience de leur confidente proche. Ceci correspond à un nombre d’avortement estimé entre 210 000 et 288 000 avortements sur l’année.
- Plus de 6 avortements sur 10 sont considérés à haut risque, et 10% des femmes rapportent des complications les ayant conduites à consulter dans une structure de santé. Les femmes en milieu rural, les femmes qui n’ont jamais été scolarisées, et les femmes les plus pauvres sont plus souvent confrontées aux avortements à haut risque.*
- La plupart des hôpitaux de l’échantillon en Côte d’ivoire fournissent des soins post-avortement (94%) et des services d’avortement en cas de mise en danger de la vie de la mère (88%). Ces services étaient toutefois moins proposés dans les structures publiques de soins primaires et dans les structures privées.
Que dit la loi ?
Conformément à l’article 123 de la constitution ivoirienne de 2016, les traités ou accords régulièrement ratifiés, ont dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie. Malgré ces engagements, la Côte d’Ivoire a l’une des lois les plus restrictives sur l’avortement avec l’article 366 qui stipule que «quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violence ou par tout autre moyen procure ou tente de procurer l’avortement d’une femme enceinte, qu’elle y ait consenti ou non est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 150 000 FCFA à 1500 000 FCFA (…)
Par Florence Edie
Source : Femme D’Afrique N°092 – Juin – Juillet – Aout 2020 page 20-21