Burkina Faso : les jihadistes gagnent du terrain

Longtemps préservé, le Burkina Faso est entré dans un cycle de violences jihadistes qui s’accélère, avec des attaques incessantes et des zones d’insécurité de plus en plus grandes.

Le Burkina « est en train de perdre le Nord, dans les deux sens du terme », estimait une source occidentale dès le mois d’août. Elle pourrait désormais ajouter l’Est.

Attaques, enlèvements, explosions… Les violences jihadistes sont récurrentes chaque semaine. Mercredi 26 septembre, huit soldats ont perdu la vie en sautant sur un engin explosif artisanal (IED) dans le septentrion, près de Djibo. Le dimanche précédent, trois gendarmes ont été tués après le rapt d’un Indien, d’un Sud-Africain et d’un Burkinabè travaillant dans une mine d’or. Le 15 septembre, c’est une double attaque dans des villages qui a fait neuf morts dans l’Est, tandis que dix jours plus tôt, une nouvelle explosion d’IED coûtait la vie à deux soldats.

Le mois d’août avait déjà été sanglant, avec 13 personnes tuées par l’explosion de deux IED, ainsi que la mort d’un douanier dans une attaque.

« Pas de culture militaire »

L’armée a perdu pied, incapable d’enrayer la spirale malgré des déclarations volontaristes mais sans effet du président Roch Marc Christian Kaboré.

La France, ancienne puissance coloniale de ce pays très pauvre, est très inquiète. « Jusqu’à la fin de l’ère Blaise Compaoré [président de 1987 à 2014, renversé par la rue, ndlr] il y avait une garde présidentielle qui était la force armée principale, entièrement dévouée à Compaoré, et que Kaboré a sabordé complètement », souligne un haut responsable français. « Derrière ça, il n’y avait quasiment rien, pas de culture militaire alternative. Il faut qu’ils constituent une armée digne de ce nom et cela prend du temps », ajoute cette source.

On a fonctionné dans une logique de déni, comme si cela n’existait pas

En plus de l’armée, Compaoré avait mis en place des réseaux qui étaient en relation avec les groupes jihadistes, ce qui a pu aider à préserver le pays, selon des sources sécuritaires concordantes.

« La situation s’est détériorée lentement. On a fonctionné dans une logique de déni, comme si cela n’existait pas », estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, qui souligne aussi que « l’instabilité politique » entre 2014-2015 (lors du gouvernement de transition) n’a pas aidé, alors que le pays avait à cette époque « largement le temps de développer une politique de prévention de l’extrémisme ».

Le chercheur souligne « l’absence d’État », très peu actif dans le Nord et l’Est, qui ne bénéficient que de peu d’infrastructures et de services publics. Une situation « toujours profitable aux groupes extrémistes ».

Un État déjà défaillant

Les groupes jihadistes l’ont très bien compris. « Faire fuir l’État fait partie de la stratégie pour que les populations adhèrent. Les populations n’adhèrent pas forcément au niveau idéologique, mais elles ont un besoin de protection. Or, c’est un désert sécuritaire », explique Sambe.

Les jihadistes ont attaqué des gendarmeries isolées, mais aussi des écoles ou des chefs religieux pour fragiliser l’État, tout en prêchant un « islam véritable » – à l’image d’Ibrahim Malam Dicko, chef jihadiste burkinabè probablement mort en mai 2017 après une opération française, qui avait su s’attirer des sympathies locales auprès des populations les plus démunies.

Les groupes jihadistes se sont aussi adaptés à la surveillance et aux écoutes. « Il n’y a plus la logique de coordination des groupes, plus de commandement centralisé. Il y a une multiplication des fronts (…). Ils ont pour objectif la création de zones d’instabilité », précise Bakary Sambe.

Les engins explosifs artisanaux vont se généraliser. Ça va continuer et ça ne s’arrêtera plus

L’armée n’occupe plus le terrain et cela facilite d’autant plus la pose d’IED. Rendant encore plus difficile les déplacements de soldats. Un cercle vicieux sans fin.

« Les IED vont se généraliser. Malheureusement, ça va continuer et ça ne s’arrêtera plus. C’est facile à faire avec un peu d’explosif et des connaissances vues sur internet. Et ils peuvent les poser à volonté ! », souligne un ancien militaire français, prenant l’exemple de l’Irak où les engins ont tué plus de soldats américains que les combats.

Risque de contagion à d’autres pays

« Le Burkina est certainement un sujet de préoccupation. C’est une menace à extension régionale, avec des groupes qui franchissent les frontières et vont vers les régions de moindre pression sécuritaire », estime une source proche du gouvernement français.

Pour Bakary Sambe, après le Nord, « si l’Est est pris, il y a le risque de débordement vers des pays qui étaient très éloignés de l’épicentre du jihadisme, comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire« .

« Dans la lutte contre le terrorisme, le Burkina constitue un verrou entre le Sahel et les pays côtiers. S’il saute, ses voisins seront atteints », a averti Alpha Barry, le ministre burkinabè des Affaires étrangères.

JEUNE AFRIQUE