CAN 2019 : A qui profite vraiment l’éviction du Cameroun?

Au terme de sa réunion extraordinaire du 30 novembre 2018 à Accra au Ghana, la CAF a retiré l’organisation de la compétition au Cameroun. Au moment où l’instance dirigeante du football africain cherche un candidat de substitution, l’éviction du Cameroun est peut-être du pain béni pour certains acteurs. Et pas toujours du côté où on s’y attend le plus. Analyse.

En guise de consolation, le Cameroun se voit attribuer l’organisation de la CAN 2021. C’est la parade pour l’instance dirigée par Ahmad Ahmad, le président de la Confédération africaine de football (CAF) après l’éviction du Cameroun de l’organisation de la CAN 2019.

Et pourtant, au-delà des réactions de désarroi, de colère, parfois même de protestation, le retrait de l’organisation de la plus prestigieuse compétition sportive africaine pourrait avoir d’autres bénéficiaires qui transcendent les frontières du Cameroun. A qui profite cette éviction ?

Maroc : la CAN 2019, vitrine pour décrocher l’organisation d’une coupe du monde

Tous les yeux se tournent vers le Maroc. Même s’il doit faire face à la concurrence farouche de l’Afrique du Sud, dans une sorte de remake de la course à l’organisation de la Coupe du monde 2010, le royaume nord-africain est vite apparu comme un favori pour devenir le pays de substitution pour la CAN 2019.

Selon plusieurs analyses concordantes, le Maroc, dont on loue la capacité logistique et organisationnelle, pourrait se racheter du désistement de la CAN 2015 qu’il avait écartée de son territoire pour cause d’Ebola. En guise de « revanche», plusieurs fédérations africaines avaient décidé de voter contre la candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde 2026, lui préférant le trio Etats-Unis-Mexique-Canada.

Tout l’enjeu pour le Maroc de remporter l’appel d’offres qui sera lancé d’urgence dans les prochaines semaines est de faire d’une organisation réussie de la CAN, une vitrine de référence pour sa candidature en trio avec le Portugal et l’Espagne pour devenir un des hôtes de la Coupe du monde 2030. Même si le projet pourrait se heurter à l’opposition de l’UEFA, le Maroc est résolu à devenir le pays de substitution du Cameroun.

Côte d’Ivoire, victime collatérale d’un chamboulement calendaire

Finalement, ce que l’on appelle la «leçon d’Accra», s’adresse à tous les candidats à l’organisation d’une CAN. Premier concerné, la Côte d’Ivoire se voit ainsi mis sous pression de répondre aux exigences d’un cahier des charges que la CAF veut respectueux des exigences notamment la livraison des infrastructures. Malgré les rumeurs sur les retards, le pays ouest-africain avait pu tenir correctement en juillet dernier les 8è Jeux de la francophonie en accélérant les travaux et les finir dans les délais.

«Nous nous sommes rendus compte que même la Côte d’Ivoire ne sera pas prête en 2021», affirme Ahmad Ahmad dans une interview à nos confrères d’Afrique Media. En jouant les équilibristes, le comité exécutif de la CAF a décidé de réattribuer l’édition 2021 au Cameroun en guise de consolation. La Côte d’Ivoire se trouve désormais dans une position de victime collatérale d’un chamboulement calendaire qui aurait des répercussions durables.

La Guinée accepterait-elle de perdre sa place pour la CAN 2023 au profit de la Côte d’Ivoire? Le Sénégal, candidat pour l’édition 2025, pourra-t-il encore patienter pendant qu’on discute qui de la Guinée ou de la Côte d’Ivoire prendra sa place ? Le casse-tête calendaire est loin d’être une équation simple pour la CAF.

La Guinée, plus de temps de préparation pour 2023

Avec l’édition 2023, la Guinée souhaite réapparaître dans les gradins du football africain, du côté organisateur. Depuis la Coupe d’Afrique des nations des moins de 17 ans 1999, le pays n’a organisé aucune compétition majeure du Continent. C’est dire que tout le symbole pour la Guinée d’accueillir la grand-messe du football continental.

Pour autant, selon nos informations, le pays n’a encore démarré la construction d’aucun des 6 stades exigés par la CAF, encore moins les routes et l’infrastructure hôtelière. «Du point de vue des autorités, le déplacement de l’échéance pourrait être considéré comme une bouffée d’oxygène. Vu que depuis l’attribution de l’édition 2023 à notre pays le 20 septembre 2014, à date le premier coup de pioche n’a pas encore été donné, ce décalage pourrait se présenter comme une aubaine pour nos autorités», analyse une source bien informée.

Dès lors toute la question est de savoir si la Guinée pourra tenir l’échéance 2023. «La Guinée a pris l’engagement de tenir les délais prescrits par le cahier de charge de la CAF pour l’édition 2023. Au mois de février et mars 2018, une mission de visite des six sites de compétition a été réalisée par le Comité d’organisation de la CAN 2023. C’est sur la base du rapport produit par cette mission que la conception des différents dossiers d’appel d’offres seront faits. Le président de la république et le gouvernement en font un point d’honneur », analyse pour La Tribune Afrique, le journaliste sportif Thierno Saïdou Diakité

« L’organisation de la fête biennale du football continental en Guinée représente un réel mérite pour le glorieux passé sportif du pays. Le cas camerounais est un avertissement sans frais pour la Guinée. Depuis donc le vendredi 30 novembre 2018, l’opinion publique s’agite et commence à mettre la pression sur le gouvernement; afin qu’un coup d’accélérateur soit donné aux préparatifs de la CAN 2023», relève encore notre expert.

Ahmad Ahmad, règlement de comptes en lucarne ?

Hasard de calendrier ou message exotérique ? A deux jours près, Issa Hayatou et Hicham El Amrani, ex-président et SG de la CAF, ont été condamnés en Egypte à 16 milliards de Fcfa d’amende dans l’affaire de droits TV attribués au Groupe Lagardère. Beaucoup voient dans la concomitance de cette punition judiciaire avec le retrait de l’organisation de la CAN2019 au Cameroun, une manière pour Ahmad Ahmad de régler de vieux comptes avec Issa Hayatou. D’autres même vont jusqu’à accuser Gianni Infantino, le président de la FIFA d’être celui qui tire les ficelles d’une « expédition punitive » contre l’ex-président de la CAF. Ce n’est que l’écume des choses.

« Il est de notoriété publique que Issa Hayatou et Ahmad Ahmad ne  passeront  pas leurs vacances ensemble. Mais de là à en faire le motif du retrait… il y a un pas à ne pas franchir.  Pour être objectif, si le Cameroun avait été prêt, en livrant les infrastructures (stades, hôtels, routes) à temps, je ne vois pas comment la CAF aurait retiré l’organisation au Cameroun. La CAF ne peut quand même pas se permettre d’organiser une compétition aussi prestigieuse dans le désordre» désamorce Hamed Paraiso, Rédacteur en chef et responsable Sports à Telesud. «Même si le contexte post-électoral est assez calme, personne ne peut présumer de l’évolution de la situation politique et personne ne peut dire non plus si la crise anglophone n’allaient pas impacter  le déroulement de la compétition».

Cameroun, un sursaut d’orgueil national

Paradoxalement, le Cameroun pourrait être le premier bénéficiaire de la décision sans appel de la CAF. Le pays de Paul Biya dispose désormais de plus de temps pour finir les 7 stades, les 25 stades d’entraînement, les infrastructures hôtelières et routières pour être prêt pour la CAN 2021.

Entre le plan triennal pour accélérer la construction des infrastructures et l’emprunt obligataire de 107 milliards de Fcfa, le pays devrait canaliser les 1500 milliards de Fcfa d’investissements destinés à la CAN afin de finir les infrastructures. Sans compter les investisseurs privés qui se sont rués dans le domaine hôtelier.«Si le Cameroun n’était pas prêt pour cette CAN 2019, rappelle encore Hamed Paraiso, il peut l’être pour les prochaines éditions. Mais, il faut que le Cameroun en fasse une question d’orgueil national »

Le football africain, grand gagnant du retrait au Cameroun ?

Avec la leçon d’Accra, la CAF a voulu rappeler le sérieux qui doit accompagner la candidature à l’organisation de la compétition sportive reine sur le Continent. Grande bénéficiaire de ce retrait au Cameroun, l’instance faîtière du football continental sort renforcée dans son rôle de bienveillance. Même si sa part de responsabilité dans une décision prise sur le tard, n’est pas à écarter.

«C’est le système d’attribution de la compétition aux pays organisateurs qu’il faut revoir, plaide pour sa part Hamed Paraiso. Les conditions pour être candidat doivent être révisées, durcies.  Par exemple, le pays candidat pour l’organisation doit avoir au moins 50% des infrastructures exigées opérationnelles pour l’attribution d’une phase finale de Coupe d’Afrique. Il faut sortir du système d’attribution actuel qui fait que bien souvent,  les pays désignés démarrent de zéro la construction des infrastructures».

Finalement, le grand gagnant de la leçon d’Accra c’est peut-être le football africain. «L’honneur est sauf … C’est l’image du football africain qui sort renforcer de cette épreuve, conclut Hamed Paraiso. La CAN est la plus prestigieuse compétition de la CAF. Elle doit continuer à vivre et ne doit souffrir d’aucune critique que ce soit du Continent ou en dehors».

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