En changeant en cours de route les règles d’attribution de l’organisation du Mondial 2026, la Fifa a lourdement handicapé la candidature du royaume. Qui n’entend pas se laisser faire.
Le Maroc retient son souffle. Ce 16 avril, une délégation de la Fédération internationale de football association (Fifa), chargée d’examiner les candidatures pour l’organisation du Mondial 2026, est arrivée pour une mission au Maroc après un périple qui l’a conduite au Mexique, aux États-Unis et au Canada – les trois géants nord-américains qui présentent en commun le dossier concurrent de celui du Maroc.
Au royaume, cette « task force » devrait inspecter, pendant quatre jours, certaines infrastructures présentées dans le « bid book » dans les villes de Marrakech, Agadir, Tanger et Casablanca… « Le principal objectif de ces visites est de clarifier certains aspects techniques de chaque dossier », indique le communiqué de la Fifa. Et des éclaircissements, le Maroc en a certainement à fournir, mais, surtout, il devrait en avoir de la part de l’instance internationale…
Changement des règles de jeu
Le comité de candidature marocain – piloté par le ministre Moulay Hafid Elalamy avec le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lekjaa – a en effet découvert avec stupeur que son dossier, présenté le 15 mars à Zurich, n’est pas favorablement adapté au système de notation sur lequel devrait se fonder la délégation de la Fifa. Et pour cause : les règles du jeu ont été visiblement changées en cours de route.
Ce règlement apporte de nouveaux sous-critères et seuils qui n’ont jamais été mentionnés auparavant
« Depuis que nous avons reçu, en septembre dernier, la première mouture du règlement de notation [qui fixe un barème allant de 0 à 5], nous demandons à connaître la méthodologie exacte pour l’attribution des notes, nous explique une source proche du comité de candidature. Ce n’est finalement que quarante-huit heures avant le dernier délai de dépôt du dossier que ce document, réalisé sous pression et à la hâte, nous a été communiqué. Et, plus qu’une méthodologie de notation, ce règlement apporte de nouveaux sous-critères et seuils qui n’ont jamais été mentionnés auparavant. »
Concrètement, ce « scoring system » introduit une corrélation entre la taille maximale d’un stade et la population de la ville, fixe une capacité hôtelière en fonction de la taille du stade, autant de « déviations majeures par rapport aux exigences initiales », selon Fouzi Lekjaa. Dans une lettre de protestation adressée le 25 mars au président de la Fifa, le patron du foot marocain a expliqué que « la connaissance de ces éléments en amont de la procédure de candidature aurait été de nature à influencer voire à déterminer les orientations suivies dans la préparation du dossier et, par conséquent, son contenu ».
Un dossier toujours solide ?
Le royaume n’aurait par exemple jamais choisi de faire figurer Ouarzazate parmi les douze villes hôtes du Mondial, sachant qu’il compte moins de 250 000 habitants – un seuil de population qui lui vaut une note inférieure à 2, soit une note éliminatoire selon ce système de scoring. « Le dossier marocain n’est pas éliminé pour autant, car il faut tenir compte des notes des onze autres villes », tient à rassurer notre source au comité de candidature.
Selon elle, le dossier du royaume reste assez solide et peut toujours franchir l’étape d’évaluation. Mais les responsables marocains déplorent que d’autres critères, qu’ils jugent importants, n’aient pas été retenus, comme la prise en compte des garanties gouvernementales ou celle de l’impact de la coorganisation, sachant que, pour la candidature nord-américaine, il faut compter avec trois monnaies, trois systèmes de fiscalité et trois visas d’entrée sur le territoire.
Le Maroc espère attirer l’attention sur ces manœuvres qui « affaiblissent le Maroc de manière injuste et inéquitable »
La FRMF a d’ailleurs demandé au président de la Fifa, Gianni Infantino, de partager son analyse de ce système de notation avec la « bidding team » de l’instance. Mais en guise de réponse, la Fédération marocaine a reçu une lettre de la secrétaire générale, Fatma Samoura, dans laquelle elle estime, dans l’ensemble, que « la Fifa a établi une procédure de candidature équitable et transparente » et que « la communication du système de notation aux candidats a été faite dès que possible ». Une réponse qui n’a pas satisfait le président de la FRMF, qui a récidivé avec une nouvelle lettre dans laquelle il ne donne plus du « cher Gianni » mais adopte plutôt un ton sec.
Le pouvoir de la task force Fifa
En haussant le ton, le Maroc espère attirer l’attention sur ces manœuvres qui « affaiblissent le Maroc de manière injuste et inéquitable ». D’ailleurs, le pouvoir élargi accordé à la task force Fifa, qui rendra ses conclusions le 10 juin, soit trois jours avant le vote du conseil, est fortement décrié. En ayant le pouvoir d’éliminer un dossier de candidature avant même que celui-ci soit soumis à l’appréciation du conseil de la Fifa, cette instance issue du secrétariat général outrepasse ses prérogatives.
Ce pouvoir absolu accordé à la task force est même critiqué par la Confédération africaine de football (CAF)
« Cette procédure publiée par la Fifa établit une “automaticité” absolue faisant que toute recommandation, évaluation, exclusion, tout jugement de la task force serait approuvé sans aucun débat, explique une source de la Fédération marocaine. Cela prive le conseil de sa responsabilité stratégique et laisserait de fait à une task force non élue et totalement dépendante de l’administration le pouvoir absolu de jugement, sans aucune procédure contradictoire. »
Pis, cette task force souhaite rendre public le dossier de notation début juin, avant même de le soumettre au conseil de la Fifa, prévu le 10 juin à Moscou, qui doit qualifier les candidats au congrès du 13 juin, jour du vote. Une entorse caractérisée aux statuts de la Fifa, dont l’article 69.2c dispose que « seuls le conseil et le congrès ont la faculté de désigner/éliminer une candidature sur la base de tous les rapports d’évaluation transmis par le secrétariat général ».
Ce pouvoir absolu accordé à la task force est même critiqué par la Confédération africaine de football (CAF). Dans un entretien à RFI, son patron, Ahmad Ahmad, n’a pas hésité à qualifier la création de cette extension du secrétariat général de « retour en arrière », en référence aux scandales ayant secoué la Fifa s’agissant de l’attribution de plusieurs coupes du monde.
Vote électronique
Mais si, du temps de Joseph Blatter, certains membres du conseil de l’instance internationale se livraient au marchandage des voix, cette première instruction des candidatures à l’organisation du Mondial de l’ère Infantino connaît des manœuvres plus subtiles. Le parti pris du président de la planète football en faveur du dossier nord-américain est un secret de Polichinelle. Le Maroc comme la CAF ont souvent relevé ses déclarations publiques en faveur de United 2026, alors même que le président de la Fifa interdit à la CAF d’afficher publiquement son soutien à la candidature marocaine.
Face au bulldozer nord-américain, le Maroc, avec ses petits moyens, ne s’avoue pas vaincu
En mars 2016, avant même que le Maroc se déclare candidat, les États-Unis voulaient barrer définitivement la route aux candidatures uniques pour le Mondial, de manière à éliminer tout autre concurrent. Et les manœuvres n’ont jamais cessé et semblent même anticiper le cas où le Maroc arriverait au vote du conseil de la Fifa. Après avoir essayé en vain de décrocher le vote à bulletin secret des 207 fédérations, l’instance internationale vient d’approuver un vote électronique avec un bulletin à trois entrées : « Morocco 2026 », « United 2026 » et… « aucune des candidatures – réouverture du processus ».
Un dispositif assez vicieux qui formalise l’abstention et rend plus compliquée l’obtention de la majorité simple des voix du conseil, nécessaire pour désigner le pays organisateur. « Avec ce système, les bulletins “aucun des deux” sont intégrés au décompte, alors qu’il aurait été plus démocratique de laisser les fédérations qui veulent s’abstenir de voter présenter un bulletin blanc ou nul », explique notre source.
Face au bulldozer nord-américain et à sa force de lobbying au sein de la Fifa, le Maroc, avec ses petits moyens, ne s’avoue pas vaincu. Le comité de candidature est déterminé à mener campagne jusqu’au bout, car il croit en ses chances de décrocher le vote des 104 fédérations nécessaires. Dans le foot, rien n’est jamais perdu d’avance. Mais il est impossible de gagner quand l’arbitre ne fait pas preuve d’impartialité.
Par Jeuneafrique