Les écrits du journaliste disparu du « Washington Post » ont pu lui vouer la haine du prince Mohammed ben Salmane.
Le journaliste Jamal Khashoggi n’a pas été revu en vie depuis le 2 octobre. Ce jour-là, il était entré au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul pour y obtenir des documents d’identité afin de préparer son mariage. Selon la Turquie, il aurait été assassiné sur place par un commando saoudien arrivé de Ryad par avion et reparti le jour même.
Bien que le pouvoir saoudien démente fermement le meurtre, il n’existe aucune preuve que son ressortissant soit ressorti vivant de son consulat. Pour l’heure, les indices publiés par Ankara accréditent la thèse de l’assassinat politique. Le journaliste, qui aurait fêté ses 60 ans samedi, aurait même été passé à tabac, tué puis démembré, selon un enregistrement audio.
Tout en exigeant d’obtenir des éclaircissements, ses collègues du Washington Post ont fait savoir que s’il était avéré, ce meurtre serait « d’une monstruosité insondable ». Mais qu’avait-il écrit dans ce journal américain pour s’attirer les foudres de son pays?
Critique envers le prince héritier Mohammed ben Salmane, Jamal Khashoggi vivait aux Etats-Unis depuis 2017 et collaborait notamment avec le Washington Post depuis la même année, dans la section « opinions internationales ». « Il fustigeait un régime tellement répressif qu’il avait été obligé de fuir son pays », se souvient Karen Attiah, sa rédactrice en chef. « C’était un journaliste dévoué et courageux », écrit pour sa part son chef de rubrique. « Il écrit par amour pour son pays et car il a une foi profonde en la liberté et la dignité humaine. Nous sommes très fiers d’avoir publié ses écrits. »
« Nous, les Saoudiens, méritons mieux »
Dans son premier billet pour le Washington Post, le 18 septembre 2017, il titrait: « L’Arabie saoudite n’a pas toujours été aussi répressive. Mais maintenant c’est insupportable. » Il y raconte pourquoi il a décidé de s’exiler. « Mohammed ben Salmane avait promis une réforme sociale et économique. Il a parlé de rendre notre pays plus ouvert et plus tolérant et a promis qu’il s’attaquerait aux obstacles qui entravent nos progrès, comme l’interdiction de conduire pour les femmes. Mais tout ce que je vois maintenant, c’est la récente vague d’arrestations. »
« La semaine dernière, poursuit-il, une trentaine de personnes auraient été arrêtées par les autorités, avant l’accession au trône du prince héritier. Certaines des personnes arrêtées sont de bons amis à moi, et cet effort représente l’humiliation publique d’intellectuels et de chefs religieux qui osent exprimer des opinions contraires à celles des dirigeants de mon pays. […] J’ai quitté ma maison, ma famille et mon travail, et j’élève la voix. Agir autrement trahirait ceux qui languissent en prison. Je peux parler alors que tant d’autres ne le peuvent pas. Je veux que vous sachiez que l’Arabie saoudite n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Nous, les Saoudiens, méritons mieux. »
Le 5 novembre, il compare le prince héritier à Vladimir Poutine, pour sa tolérance envers la corruption de son pays. « Les officiels et les princes deviennent milliardaires grâce à des contrats qui sont soit gonflés, soit un mirage complet. » Plus tard, il l’accusera de « révisionnisme » car il met les problèmes de l’Arabie saoudite sur le dos de la révolution islamique iranienne de 1979. Enfin, il accuse son pays de maintenir le Liban « dans un chaos total », ou promet des révoltes similaires aux mouvements observés en Iran. .
L’exemple d’Elizabeth II… et de Black Panther
En février 2018, Khasshoggi prône une royauté démocratique similaire au Royaume-Uni. « Le prince héritier aurait des choses à apprendre de la reine Elizabeth », écrit-il. « La maison royale britannique a gagné une véritable stature, le respect et le succès en faisant preuve d’humilité. Si Mohammed ben Salmane peut écouter ceux qui le critiquent et reconnaître qu’eux aussi aiment leur pays, il peut renforcer son pouvoir. »
Il montrera même en exemple le film Black Panther, parmi les premiers films projetés en Arabie saoudite. « À la fin du film, le jeune roi du Wakanda choisit d’utiliser le pouvoir de son pays pour s’engager pour le bien de tous. Le prince héritier Mohammed ben Salmane, qui deviendra probablement bientôt le roi de son pays, utilisera-t-il son pouvoir pour apporter la paix dans le monde qui l’entoure ? » demande-t-il.
Son dernier texte date du 11 septembre 2018. Il est intitulé « le prince d’Arabie saoudite doit rendre la dignité à son pays ». Le mois suivant, le journaliste devait rédiger un nouveau texte. En lieu et place, son journal a publié une page vide. Son titre: « Où est Jamal Khashoggi? »
L’EXPRESS.FR