Au Ghana, cette entreprise est la « première compagnie de transport au monde à n’employer que des femmes ». Elles sont 21 conductrices de poids lourds à sillonner chaque jour ce pays d’Afrique de l’Ouest de près de 240 000 km².
Tous les regards se tournent vers Abigail Asumadu-Amoah lorsqu’elle slalome entre les nids-de-poule des routes ghanéennes, au volant de son énorme camion-citerne. Mais elle garde les yeux rivés sur la route. Cette mère de famille de 44 ans fait partie des 21 conductrices de poids lourds de Ladybird Logistics, la « première compagnie de transport au monde à n’employer que des femmes », de la directrice générale à la mécanicienne.
« Conduire avec assurance, mais toujours avec prudence », telle est la devise d’Abigail Asumadu-Amoah. Elle et ses collègues transportent à chaque fois 47 000 litres d’essence vers les mines d’or du Ghana, un pays d’Afrique de l’Ouest de près de 240 000 km², soit pratiquement la superficie du Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale.
Basées dans la ville côtière de Takoradi, ces femmes font en général des trajets de quatre heures, le plus long étant de sept heures. « Ce que font les hommes, nous pouvons le faire aussi », lâche Abigail, en attendant de remplir sa citerne dans le port de Takoradi, à plus de 200 kilomètres de la capitale Accra. Elle espère d’ailleurs inspirer d’autres femmes. « C’est une résolution que j’ai prise. »
Trafic d’essence
Au Ghana, les secteurs du transport et du stockage fournissent de nombreux emplois, 8% des hommes actifs y travaillant, mais restent largement dominés par la gent masculine. Alors Abigail et ses collègues bousculent les habitudes… notamment celle consistant à revendre l’essence au marché noir. Certains chauffeurs siphonnent le précieux liquide entre le port et les mines où il doit être acheminé et le revendent dans des circuits parallèles pour compléter – ou plutôt doubler – leurs fins de mois.
William Tewiah, le directeur général de Zen Petroleum, l’un des leaders du transport d’hydrocarbures au Ghana, estime ainsi qu’il peut perdre jusqu’à 50 000 dollars par mois (44 000 euros) à cause de ce trafic. « Il fallait trouver un moyen d’arrêter ça », dit-il à l’AFP.
Recruter des femmes a fait partie des solutions choisies par ce chef d’entreprise qui, fin 2017, a lui-même poussé Payin Marfo, alors conseillère en gestion, à prendre la tête d’une compagnie de transport entièrement féminine. Elle est ainsi devenue la directrice générale de Ladybird, dont le capital appartient à un groupe d’actionnaires et qui, en octobre 2018, a commencé à approvisionner en pétrole les mines pour le compte de Zen Petroleum.
Six mois après le début des activités de Ladybird, dont son entreprise est toujours le seul client, l’expérience dépasse ses attentes : « Je suis son plus grand fan », plaisante-t-il. Maintenant, la nuit, je dors tranquille ! »
Nouvelles candidates
Beaucoup des employées de cette société de transport, âgées de 28 à 45 ans, étaient déjà conductrices de cars ou de bus et avaient le permis poids lourd avant de conduire des camions-citernes. Elles ont suivi un entraînement militaire, notamment avec des cours de self-defense, en plus de leur formation professionnelle.
Payin Marfo est très satisfaite des résultats de l’entreprise qu’elle dirige dont elle ambitionne de multiplier par deux le personnel et d’accroître le parc des camions. « De plus en plus de femmes s’intéressent au métier de chauffeur », avance Payin Marfo. Chaque semaine, de nouvelles candidates se présentent à son bureau. « Pour moi, c’est déjà une victoire », se réjouit-elle.
Au Ghana, on n’a jamais considéré qu’être routier était un métier pour les femmes. Mais maintenant, elles y voient une profession
Payin Marfo, directrice de Ladybird.
Un acte de rébellion
Pour Beatrice Frimpong, une mécanicienne de 28 ans, cet emploi n’est pas seulement un gagne-pain. « J’espère que ça va encourager d’autres personnes à faire des choses hors du commun. » Ses collègues masculins lui avaient toujours dit qu’elle était trop petite et trop frêle pour un tel travail et qu’elle devrait plutôt s’en tenir aux véhicules légers.
Alors, réparer des camions-citernes et des poids lourds s’est apparenté pour cette jeune femme à un acte de rébellion. « Je voulais leur prouver que je pouvais le faire, lâche-t-elle. Peu importe que je sois grande, forte ou petite. »
Les salariées de Ladybird ont désormais de nombreux admirateurs. Leurs collègues louent avant tout leur patience, l’une des plus grandes qualités nécessaires lorsqu’on défie les routes d’Afrique de l’Ouest. Justice Zoiku, un routier, le promet : si un jour sa fille lui dit qu’elle veut devenir chauffeure, il l’encouragera. « Après tout, ce que font les hommes, les femmes le peuvent aussi, en mieux… », lance-t-il.