La prise de poids a longtemps été attribuée aux seuls aliments gras. Mais le sucre en excès y participe également. Explications.
«Je faisais des recherches sur les origines de l’épidémie d’obésité quand je suis tombé sur les résultats de cinq essais cliniques qui essayaient de prouver que si nous suivions un régime pauvre en graisses avec moins de calories, les analyses de sang seraient alors meilleures, les facteurs de risque baisseraient et on maigrirait», explique le journaliste scientifique américain Gary Taubes, auteur d’un livre intitulé Pourquoi on grossit (Thierry Souccar Editions). Pour lui et bien d’autres spécialistes en nutrition, la guerre au seul gras relève d’une science tronquée. Certes, le gras nous fait grossir, mais en ingurgitant trop de sucres, certains processus physiologiques s’emballent pour créer l’obésité. Dans ce processus, l’insuline joue un rôle clé.
L’excès de sucre est stocké sous forme de graisse
Son rôle, on le sait, consiste à réguler la glycémie, autrement dit le taux de sucre (glucose) dans le sang. Dès que l’on ingère des sucres, l’insuline s’active pour faire rentrer le glucose dans les cellules, puis celui-ci est transformé en réserves d’énergie sous forme de glycogène – de grosses molécules de sucre – dans le foie et les muscles, ou sous forme de graisse (triglycérides) dans le tissu adipeux. Si la consommation de sucres devient trop importante et qu’ils ne sont pas utilisés pour l’activité physique, alors le stockage d’énergie s’opère davantage dans les tissus adipeux. En d’autres termes, si en quantité raisonnable les sucres ne font pas grossir, ils favorisent l’embonpoint quand leur quantité devient excessive.
Si en quantité raisonnable les sucres ne font pas grossir, ils favorisent l’embonpoint quand leur quantité devient excessive
Mis en lumière dans les années 1960, le risque d’obésité lié aux glucides aurait été volontairement «oublié» ces cinq dernières décennies, d’après Gary Taubes. Une affirmation qu’est venue confirmer fin 2016 une étude américaine publiée dans la revue JAMA InternalMedicine . S’appuyant sur de vieux documents d’une fondation aujourd’hui devenue la Sugar association, le Pr Stanton Glantz et ses collègues de l’université de Californie, à San Francisco, ont révélé que l’industrie du sucre avait notamment financé des chercheurs dans le but de minimiser le lien entre la consommation de sucres et les maladies cardiovasculaires et d’incriminer à leur place les graisses animales (beurre, fromage, viande). Pire. Selon les chercheurs, les Américains auraient alors été encouragés à réduire leur consommation de matières grasses, et beaucoup se seraient tournés vers des aliments à faible teneur en gras, mais à haute teneur en sucre. Certains y voient ni plus ni moins l’origine des problèmes d’obésité, en tout cas aux États-Unis. Ont-ils vraiment raison?
Un «mix» de sucres et de graisses à l’origine de l’obésité
Comme bien d’autres experts, Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre et présidente de l’Association européenne pour l’étude de l’obésité, affirme haut et fort que «les sucres ont été oubliés dans la bataille contre l’obésité pendant un certain temps et cela doit changer». Mais elle ajoute aussitôt qu’il ne faut pas pour autant négliger «le rôle de certaines graisses délétères comme l’huile de palme, également très présente dans les produits transformés».
L’obésité, maladie chronique des tissus adipeux, a en réalité de multiples origines, qui sont loin d’être toutes élucidées: prédispositions génétiques, malnutrition, sédentarité, troubles psychologiques, manque de sommeil, obésité, diabète spécifique pendant la grossesse, microbiote intestinal, médicaments, etc. Et d’après le nutritionniste et chercheur Arnaud Basdevant, «la recherche actuelle se concentre plus particulièrement sur les causes non caloriques de la prise de poids. Nous étions centrés sur les comportements individuels. Nous sommes passés à l’étude des processus environnementaux».
Le sucre participe à l’obésité, mais il n’est pas le seul
A force de se remplir de graisse, les cellules qui emmagasinent nos réserves augmentent de volume
On sait ainsi qu’à force de se remplir de graisse, les cellules qui emmagasinent nos réserves – les adipocytes – augmentent de volume puis finissent par recruter des cellules vides capables d’en faire autant. Résultat: si le tour de taille augmente, c’est tout à la fois par augmentation du volume et du nombre des adipocytes. Or il se pourrait que, en plus des nutriments, des infections, des problèmes nerveux voire des polluants participent à ce dernier processus.
Autre piste suivie depuis peu par les chercheurs: cibler les nombreuses cellules qui ne sont pas des adipocytes, mais qui peuplent les deux tiers du tissu adipeux. On y trouve des cellules souches, des cellules vasculaires, des cellules du système de défense immunitaire, etc. Leur présence témoigne des multiples fonctions du tissu adipeux. Outre stocker des graisses, il est à même d’adresser des signaux au système nerveux central, au foie, aux muscles, au cœur, aux vaisseaux, au système immunitaire ou encore à l’intestin. Ce dialogue est mis à mal en cas d’obésité et une inflammation chronique s’installe dans l’organisme, contribuant au développement du diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires. Si le sucre nous rend obèse, il n’agit donc pas seul.
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