COMMENT LE MALI FAIT FACE A SON DESTIN (Première partie) ?

 

Le 10 juin, le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin programmée de l’opération militaire Barkhane, laquelle avait succédé en août 2014 à l’opération serval, qui elle-même avait été lancée en janvier 2013 afin de chasser les djihadistes et leur alliés Touaregs des villes du nord du Mali. Les   quelques 5100 soldats français déployés au sahel depuis huit ans vont être pour moitié rapatriés. Ne demeurons sur place qu’environ 2500 hommes des forces spécial, avec pour mission de neutraliser les chefs djihadistes et de préparer les troupes africaines au combat. En clair, l’ex-président coloniale ne cherche plus à maîtriser un terrain démesurément étendu et sous-administré. « La poursuite de notre engagement au Sahel impliquera la fin de l’opération Barkhane, a précisé Emmanuel Macron. La France ne peut pas se substituer à la stabilité politique, au choix des Etats souverains » Pourtant, l’insécurité règne comme jamais au nord et au centre du Mali, ainsi que dans la zone des trois frontières (aux conflits du Mali, du Niger et du Burkina Faso) : dans la nuit du 3 au 4 juin, une semaine avant l’annonce du président français, environ 160 personnes (dont une vingtaine d’enfants) ont été massacrés par les djihadistes à Solhan, côté burkinabé. Mais l’Elysée assure comme son choix : « Nous ne pouvons pas sécuriser des régions qui retombent dans l’anomie parce que des Etats décides de prendre leurs responsabilités. C’est impossible ou alors c’est un travail sans fin », a précisé Emma­nuel Macron en faisant référence au putsch du 24 mai. Il s’agit du cinquième depuis l’indépendance du Mali et le second en neuf mois, dans la foulée de celui du 1H août 2020, qui avait fait chuter le président Ibrahim Boubacar Keita (« IBK »). « Le putsch d’août 2020 avait été bien accueilli-, rappelle à Afrique Maga­zine Gilles Holder, anthropologue et codirecteur du Labora­toire mixte international de recherche Macoter, à Bamako. Ce putsch était perçu comme un ralliement de l’armée A la lutte politique menée par le M5 RFP, explique l’expert en évoquant le Mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques, qui avait manifesté à partir du 5 juin 2020 contre IBK, accusé de fraude électorale. « Par contraste, le putsch du 24 mai est perçu comme ‘’ une faamaw’’. C’est à dire une affaire entre gens du pouvoir, qui concerne Bamako ci paraît décalé par rapport aux réalités du pays, ajoute-t-il.

Le second coup d’État a été perpétré presque « en douceur », sans un seul coup de feu le président de transition Bah N’Daw et, le Premier ministre Moctar Ouane ont été interpellés juste après avoir tenté d’évincer deux militaires du gouvernement. La junte a choisi d’interpréter cette (timide) tentative de rééqui­librage civil comme une « intention avérée de sabotage de la transition ». Dans la foulée, la Cour constitutionnelle a nommé le colonel Goita président par intérim. Le 30 mai, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a suspendu le Malt de ses institutions, et demandé le respect des échéances : le 27 février prochain, le pays est censé procéder à des élec­tions démocratiques, auxquelles le président par intérim n’est pas supposé participer.

C’est l’annonce de la fin de l’opération Barkhane rebat les cartes à Bamako, où le colonel GoÏta a commis son second coup d’état en neuf mois. Alors que la tenue d’élection en février 2022 paraît de plus en plus improbables, l’hypothèse de négociations avec certains groupes djihadistes semble se renforcer Confronté à une crise multiforme, le pays sahéliens est à la croisée des chemins.

« LE TOUR DU CADRAN »

Fâchée par ce second putsch, la France a suspendu un mois sa coopération militaire avec le Mali, avant de la reprendre le 2 juillet. Retranché au camp militaire de Kati, à une quin­zaine de kilomètres de Bamako, le colonel-président Goita, peu loquace, s’est bien gardé de commenter la fin de Barkhane. Il est de toute façon peu probable que des élections se tiennent dès février, selon le professeur Holder : « Le Mali ne sera vraisem­blablement pas prêt et on ne peut le lui demander, alors que les trois quarts du territoire ne sont plus directement adminis­trés et que des groupes armés se sont substitués à l’Etat dans une large partie du nord et du centre. Les militaires sont là pour rester, faute d’une classe politique renouvelée et crédible. Certains parlent avec ironie d’une “colonisation” de l’État !» Historiquement, au Mali, « le coup d’État n’est pas perçu négati­vement : au Ségou, dernier État souverain avant la colonisation, le pouvoir se prenait par la force (“fanga”), au point de définir le Ségou comme un “État-force”, le Ségou Fanga ». Ainsi, en 1968, 1991 et 2012, les Maliens ont globalement soutenu les coups d’État. L’histoire du pays « confère une certaine légitimité aux putschistes, qui est amplifiée par la faillite de la démocratie libérale, celle-ci ayant accru les inégalités et la dépendance de l’étranger. Rappelle, l’expert. L’armée peut paraître comme une seule instruction capable de remettre le pays, sur les rails en secouant une classe politique par une “grande lessive. Le “kokadjé”, comme disent les Maliens ».

« L’État malien n’est pas un Etat failli, mais, un Etat qui n’arrive pas à prendre, à s’ancrer dans la durée », analyse l’anthropologue qui associe le départ de Barkhane à ce déficit politique : « En avril 2021, seuls 14% des administrateurs civils (préfets et sous-préfets) étaient présents dans les cinq régions du nord Dans les trois régions du centre, le chiffre monte à 22 %.

Com­ment Barkhane pourrait résoudre ce problème qui incombe à l’État malien ?

 Ce n’est ni son mandat, ni sa vocation. »

Dans une interview parue dans Le Monde le 17 décembre, le chef d’état-major des armées françaises, François Lecointre, avait déjà glissé à nos confrères qu’une « évolution de 1 engage­ment français » était à l’étude : « On a fait le tour du cadran », avait sèchement résumé le général français, alors qu’il passait en revue les recrues de l’armée malienne, formées par le pro­gramme européen EUTM (European Union Training Mission). Certes, les forces françaises enchaînent les succès militaires : début juin encore, elles ont arrêté Abou Dardar, un cadre de l’État islamique au grand Sahara (EIGS) soupçonné d’avoir mutilé des « voleurs » sur un marché, puis elles ont neutralisé un autre terroriste, Baye Ag Bakabo, impliqué dans le meurtre de deux journalistes français de RFI fin 2013. Mais les têtes coupées de l’hydre repoussent aussitôt, des sous-chefs étant promus à la disparition de leur supérieur. Surtout, Barkhane n’est jamais parvenu à vaincre les meilleurs alliés des djihadistes : la distance et 1 éparpillement. Cinq mille hommes, c’est somme toute rela­tivement peu sur un territoire malien « plus grand que la Syrie et l’Irak combinés », souligne à Afrique Magazine Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’institut de recherche pour le développement (IRD). Enfin, ce qu’il convient sans doute d’appeler, malgré les dénégations de l’armée française, la « bavure » de Bounti (19 civiles tués par erreur lors d’une frappe aérienne qui visait des djihadistes, le 3 janvier) a également dû peser dans la décision de l’Elysée.

La junte a choisi d’interpréter cette (timide) tentative de rééquilibrage civil comme une « intention avérée de sabotage de la transition ».

 De libérateurs à néocoloniaux

A la fin du mois de juillet, le général Laurent Michon va succéder au général Marc Conruyt à la tête de Barkhane. Il sera chargé de mettre en œuvre le désengagement : d’ici la fin de l’année, la France quittera ses bases du nord du Mali (Tressaillit, Kidal et Tombouctou) pour se concentrer sur Ménaka, à proximité du secteur critique des « trois frontière ». Ne subsisteraient que 3500hommes mi-2022, puis 2500 hommes en 2023. Ces soldats français mèneront aux types de missions, au sein de deux opérations distinctes : Sabre pour la neutralisation de djihadistes par les commandos d’élites et Takuba pour la formation des armée africaines, avec l’aide de militaires européens (pour le moment, des Estoniens, des Tchèques et des Suédois). « Les forces spéciales de Sabre, très mobiles, vont rester sur place et essayer d’empêcher les groupes djihadistes de s’enraciner », estime Marc-Antoine Pérouse de Montclos. « Mon sentiment est que l’armée de terre, en revanche, va se retirer du Mali et du Burkina Faso tout en restant au Tchad qu’elle considère un peu comme son bac à sable et au Niger où, bonne nouvelle, vient d’avoir lieu une alternance démographique. Quant à la Mauritanie, elle se débrouille déjà sans la France », avance l’au­teur du livre Une guerre perdue : La France au Sahel (JC Lattès, janvier 2020). En clair. « Le dispositif change, pas l’objectif », a tweeté la ministre des Armées Florence Party. Quelques heures après l’annonce choc de l’Elysée. Le jour même, près d’Abidjan, le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian a appuyé le message en assistant à l’inauguration, parle Premier ministre ivoirien Patrick Ahi de l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT). « Paris planche sut un modèle de financement mixte du G5 Sahel, par les Nations unies et l’Union africaine », explique Africa Intelligence. La France veut profiter de sa présidence du Conseil de sécurité des Nations unies, en juillet, pour convaincre. Mais ce n’est « pas gagné du côté américain », note le chercheur Olivier Vallée dans la revue Le Grand Continent au sujet de la visite du secrétaire d’État Antony Blinker à Paris le 25 juin. Qu’il semble loin ce jour de janvier 2013 où, dans les rues d’une Tombouctou libérée du joug djihadiste par Serval, des Maliennes avaient sauté au cou du président François Hollande ; un enthousiasme qui avait ému aux larmes Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères. Désormais, l’enthou­siasme est retombé, et beaucoup de Maliens accusent même.

Assimi GoÏta : un leader discret mais ambitieux

Jeune et brillant officier, le nouvel homme fort du Mali a renversé, sans un coup de feu, deux présidents en moins d’un an. Omniprésente dans le vocabulaire de la junte, la « transition » supposée prendre fin en février, pourrait s’éterniser.

Sa biographie officielle, distribuée aux médias par la junte, le présente comme un homme « rigoureux, tenace, adepte des défis et apte au commandement ». Fils de militaire, Assimi Goita, que ses proches surnomment « asso », à l’armée dans le sang. Ce colonel de 37 ans, marié et père de trois enfants, a été formé à Prytanée militaire de Kati, puis à l’école militaire interarmes (EMIA) de Koulikoro. Affecté dès 2002 dans le nord du Mali, il affronte les djihadistes Algériens. Ses excellents résultats lui valent d’effectuer des formations au Gabon, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. En novembre 2015, il coordonne les opérations du ministère de la Défense après le carnage de l’hôtel Radisson Blu de Bamako (20 victimes). Au micro de RFI, un officier français évoque « un homme droit, qui ne laisse rien passer » : ni les fautes de ses subordonnés, ni les opportunités. Ainsi en juillet 2020, alors qu’il est à la tête du Bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement (BAFS-CA), une unité d’élite basée à Mopti, il est rappelé à Bamako par le président Keita, afin de participer aux opérations de maintien de l’ordre contre M5. On connait la suite : le 18 août, les colonels renversent Ibrahim Boubacar Keita. « Nous n’avons pas le droit à l’erreur » annonce la junte le lendemain de son premier putsch devant la presse convoquée au camp militaire de Kati. Assimi Goita est propulsé « vice-président de transition », à ta tête du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le nom que s’est choisi ta junte. Le colonel est discret, mais efficace : « Il est très silencieux. Voire énigmatique, confie une source bien informée. C’est ce qui fait sa force et lui procure du coup un certain charisme. » Les membres du M5 applaudissent : pour le mouvement sociopolitique, 1e putsch couronne sa lutte contre le décrié IBK. En août 2020, le nouveau maître du Mali s’était donné « Trois années ». Pour remettre le pouvoir aux civils, avant de diviser ce délai par deux, face au tollé et aux sanctions de la communauté internationale. Des élections sont donc annoncées pour février 2022. Mais c’était compter sur le zèle du jeune colonel : lundi 24 mai, le vice-président de transition fait arrêter le président et 1e Premier ministre : Bah N’Daw et Moctar Ouane avaient remanié le gouvernement sans son aval. Il les a aussitôt accusés de « sabotage de la transition ». Dans la foulée, la Cour constitutionnelle institue te double putschiste « président de transition ». « Le processus de transition suivra son cours normal, et les élections prévues se tiendront courant 2022 », promet le nouveau président dans une déclaration lue à la télévision par un militaire. Les sceptiques observeront néanmoins qu’il n’est déjà plus question de « février 2022 ».

 Paris de néocolonialisme. Et les théories complotistes vont bon train : en novembre 2019, le chanteur Salif Keïta a posté sur Facebook une vidéo dans laquelle il se livre à une diatribe antifrançaise, affirmant à qui veut l’entendre que « c’est la France qui poste des gens pour tuer des Maliens, pour ensuite faire courir des rumeurs disant qu’il s’agit de djihadistes ». En décembre 201R la fort peu diplomatique convocation par Emmanuel Macron des chefs d’État du G5 Sahel au sommet de Pau. Dans le sud-ouest de la France, fut mai perçue : « Macron devrait faire attention à sa communication, avait commenté l’ex-ministre Ibrahim N Diaye. Quand ça prend une certaine tonalité, les Maliens le savent comme une forme d’ingérence, ça peut se comprendre ». Les habitants du Mali ne cachent pas leur amertume et leur incompréhension face au gouffre entre d’une part l’ampleur des moyens militaires modernes déployés (soldats d’élite suréquipés, hélicoptères de combat, drones…), et d’autre part la dégradation de la situation sécuritaire, la vulnérabilité des populations face aux attaques de terroristes armés de kalachnikovs, qui échappent ensuite aux représailles sur des motos chinoises.

Selon les données du projet ACLED (Armed Conflit Loca­tion and Event Data Project), la guerre au Sahel a provoqué S 000 morts et déplacé 2 millions de personnes depuis 2013. L’année 2020 a été la plus meurtrière, avec plus de 2000 tués. Dépités, certains Maliens affichent même, sur les réseaux sociaux et dans les manifestations, leur volonté de voir interve­nir la Russie ! « Cet engouement d’un petit milieu bamakois pour Vladimir Poutine montre surtout la frustration des Maliens, humiliés d’avoir dû faire appel à l’ancienne puissance coloniale pour résoudre les problèmes de leur pays, estime Marc-Antoine Pérouse de Montclos. D’où, chez certains, une attirance pour le discours poutinien, alternative au discours de [‘Occident. En tout cas, les Sahéliens n’ont pas besoin de la main de Moscou pour exprimer leur mécontentement contre les ingérences de Paris. » Allégement prévu de la présence militaire française inquiète cependant les partenaires de Paris. Et notamment les soldats de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), régulièrement pris pour cible par les terroristes. « Dans certaines zones, la simple présence de Barkhane est dissuasive. Quand on subit de grosses attaques, ce sont eux qui nous défendent », a confié un officier des Casques bleus, sous couvert d’anonymat, à nos confrères de RFI. La Minusma a pour mission de mettre en œuvre l’accord de paix dans le nord du pays et de stabiliser le centre, où la situation se dégrade. En avril dernier, seule l’intervention de l’aviation fran­çaise avait sauvé la mise des Casques bleus tchadiens, assaillis par des djihadistes dans leur base d’Aguelhok. La situation est si dégradée que la présence de la vulnérable Minusma ne rassure plus : elle inquiète. Apeurés, des riverains de la base d’Aguelhok manifestent pour son départ. Désormais, la Minusma redoute que le retrait de Barkhane laisse un vide, susceptible d’être com­blé par les djihadistes : « Là où ils viennent une fois dans le mois, ils pourront venir trois fois. Les populations subiront davantage leur loi », prédit le même gradé anonyme à RFI. L’armée natio­nale est donc protégée par la Minusma, qui est elle-même pro­tégée par Barkhane. « Cet assistanat sécuritaire en cascade est intenable et pernicieux : il faut redonner la main aux Maliens », résume Gilles Holder.

 

A suivre…