Comment Nialé Kaba a sauvé la présidence d’Adesina

 

 

Cette fine négociatrice a largement contribué à la réélection d’Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement, mettant fin à une crise de gouvernance.

Il suffit parfois d’une mission réussie pour gagner en envergure. C’est ce qui s’est passé pour Nialé Kaba avec la réélection triomphale (100 % des voix) du patron de la Banque africaine de développement (BAD), Akinwumi Adesina, à la fin d’août. Présidente du bureau du conseil des gouverneurs de l’institution, la ministre ivoirienne du Plan et du Développement depuis 2016 a été la cheville ouvrière de cette reconduction sans appel, malgré les accusations de mauvaise gouvernance portées par des lanceurs d’alerte contre Adesina. Ce tour de force a donné à la quinquagénaire, économiste statisticienne de formation et membre du gouvernement ivoirien depuis2012, une exposition continentale et confirmé son habileté politique.

Quand elle prend la tête du bureau du conseil des gouverneurs à l’issue des assemblées générales de juin 2019, la mission de Nialé Kaba – faire réélire un Adesina seul candidat à sa succession – semble facile. Mais le Covid-19 et les accusations contre le patron de la banque remettent tout en cause. Alors que le secrétariat général doit organiser pour la première fois de l’histoire de la BAD des assemblées générales en ligne, la ministre ivoirienne, dont le pays est hôte de l’événement, est en première ligne sur le dossier ultrasensible de la gouvernance. Pour déminer le terrain, celle qui a commencé sa carrière politique à la primature au début des années 1990 bénéficie d’appuis : outre l’entourage d’Adesina, le président ivoirien Alassane Ouattara et son administration affichent leur soutien total à l’ancien ministre nigérian de l’agriculture.

D’après plusieurs membres de la BAD, africains comme étrangers, Nialé Kaba, originaire de Bouko, a joué un rôle déterminant, en multipliant les échanges avec les gouverneurs sans jamais se départir de son calme. Ses admirateurs soulignent sa « capacité d’écoute » et son talent pour « mettre tout le monde d’accord ». Ses détracteurs la qualifient de « grande politicienne », la soupçonnant parfois de « jouer les ingénues » pour mieux manœuvrer. Une chose est sûre, elle parvient au consensus.

Quand, au plus fort de la tempête, certains, dont les Américains, ont réclamé une enquête contre Adesina sur les faits dénoncés par les lanceurs d’alerte, Nialé Kaba a avancé la proposition d’une « revue indépendante », un pis-aller habile qui ne peut qu’être accepté par tous. Même réussite sur la composition de la « revue » puis, à l’issue des assemblées générales, sur la création d’un comité ad hoc pour réviser les règles d’éthique. Ce qui lui vaut, lors de la cérémonie de clôture, d’être surnommée par Amadou Hott, le ministre sénégalais de l’Économie, « la force tranquille ».

« Une grande satisfaction »

« Il a fallu faire face et maintenir la stabilité de la banque », commente-t-elle pour Jeune Afrique. Première femme à avoir occupé le portefeuille de l’Économie et des Finances entre 2012 et 2016, Nialé Kaba parle d’une « grande satisfaction » au sujet de la réélection d’Adesina et met aussi en avant l’accord obtenu, fin 2019, sur l’augmentation historique du capital de la BAD. Après cette période « mouvementée », elle a aujourd’hui repris sa simple casquette de gouverneurs pour la Côte d’ivoire au sein de la banque. Et si elle n’a pas souhaité intégrer le comité ad hoc sur l’éthique, elle assure qu’elle continuera à participer à l’ensemble des travaux de l’institution. En attendant, comme le résume un membre européen de la BAD, « Adesina lui doit beaucoup ».

 

Par ESTELLE MAUSSION

Source : Jeune afrique n°3094 – novembre 2020 page 37