Considérations sur l’affaire Ramadan : quelques éléments objectifs visant à distinguer les vrais des faux savants

Suite à certains éléments parus en la presse et qui faisaient état de relations immorales, Imane Ramadan déclara : «Mon mari est un homme, il n’est pas un ange, il n’est pas parfait. Il peut commettre des fautes.» Par ailleurs, un des amis du défendeur admit : «Personnellement, je n’ai défendu que la présomption d’innocence tout en dénonçant un traitement médiatique à charge. Mais je ne trouverais pas anormal que des membres du comité de soutien, au vu de ces éléments, se retirent.»

Bien que ces relations viennent contredire l’Islam bien compris, il faut que, tout en condamnant fermement le péché, nous ne réduisions toutefois pas l’individu à son péché. C’est d’ailleurs là la marque des esprits médiocres, car lorsque celui qu’ils considèrent commet un impair, ils en viennent à le dénigrer en tout et pour tout. Il suffit de voir comment agissent les professionnels du takfir et de la mise-en-garde : par un travail de fourmi, ils recherchent dans l’oeuvre de celui qui leur déplaît la faute, la contradiction, l’inexactitude ou l’imprécision ; partant, ils le qualifient comme foncièrement égaré et égareur, de façon à discréditer l’entièreté de son œuvre conformément à leur intention première. «Sachez que l’individu intelligent doit considérer la parole et non la personne qui l’a dite. Car si cette parole est une vérité, il doit l’accueillir de celui qui l’a dite fût-il réputé grave ou frivole. L’or s’extrait du sable, le narcisse de l’oignon, la thériaque, des serpents et la rose, des épines.», nous admonestait très à propos l’émir ‘Abd al-Qâdir al-Jazâïrî. Comprenons qu’ils n’agissent ainsi qu’en raison du fait qu’ils ne suivent pas la Vérité mais des individus : en effet, leur lourdeur d’esprit les conduit à soit accepter l’entièreté d’une œuvre soit la rejeter en totalité puisqu’ils n’ont la capacité de distinguer adéquatement le Vrai du Faux ; et parce que l’erreur est le lot de beaucoup, ils sont donc amenés à demeurer dans le flou, à toujours virevolter entre différents courants ou à s’entre-excommunier réciproquement, si ce n’est à s’entretuer.

Et s’ils s’en réfèrent à des individus, c’est que généralement, ils s’imaginent que la Vérité ne puisse, pour la plupart, être connue. Or si ce qu’ils tiennent était exact, il faudrait que les Prophètes ne soient humains puisqu’ils la connaissent ; mais encore, l’on se demande qui eût pu les suivre si la Vérité était inatteignable. D’ailleurs, n’est-il pas dit que les oulémas sont les héritiers des Prophètes ? Et de quoi est constitué cet héritage, sinon de la Vérité même ? Il faut donc poser que la Vérité, c’est-à-dire Dieu, nous est accessible.

Revenons-en à cette affaire Tariq Ramadan qui, au-delà de l’individu, est riche en enseignements. Combien d’imams, d’oulémas, de conférenciers, de docteurs, de cheikhs et de prédicateurs se permirent de prendre parti sur des considérations clairement infondées ?

Un imam officiant en le Sud de la France demandait quatre témoins sans quoi Tariq Ramadan était nécessairement innocent : mais serait-il aussi formaliste en cas que ce fût sa femme ou sa fille la supposée victime ? D’ailleurs, cette prétendue prescription ne concerne pas les viols —mais il semble bien que pour les autres, certains changent leur lecture du Coran.

Un imam de la région lyonnaise, tout épris qu’il est de l’accusé, déclara : «je n’appelle pas à l’aide d’un frère qui est oppresseur mais qui est opprimé». Or ces relations immorales sont une oppression évidente envers le conjoint publiquement bafoué, mais sont de surcroît une véritable trahison envers le Seigneur devant qui se fait la cérémonie religieuse unissant deux êtres. Que donc savait cet imam du passé réel du défendeur lorsqu’il prit position ? Quant à la prétendue oppression que le défendeur aurait subie du fait de sa détention provisoire, il n’est pas le seul en ce cas : des centaines de musulmans le sont et jamais cela ne conduisit cet imam à manifester son exaspération. Mais nous reviendrons plus loin sur ce point crucial.

Rappelons-nous que Valeurs Actuelles, qui eut vent de la vidéo de soutien d’un imam de la région lilloise, se fendit d’un article intitulé «Un imam très influent apporte son soutien à Tariq Ramadan». En effet, cet imam dit : «Personnellement, je crois en son innocence.» Sur quoi donc s’appuyait-il, sinon sur sa subjectivité percevante ?

Une Suissesse musulmane à la tête d’une importante association cultuelle osa même affirmer : «Je ne crois pas qu’il se soit passé quoi que ce soit.» Lors d’une autre intervention médiatique, elle ajouta, à propos du défendeur : «C’est quelqu’un de fiable et de bienveillant.»

L’objectif n’est pas d’être exhaustif, car il en était bien d’autres qui tinrent un discours similaire.  Certains, par exemple, eurent la présence d’esprit d’avertir qu’il s’agissait là de leur simple inclinaison narcissique et névrotique, mais ils le firent du haut d’une chaire, un jour de Vendredi et devant des fidèles qui n’avaient alors pas la possibilité de leur porter contradiction. Notons que tout un tas de vidéos —aujourd’hui disparues— faisaient figurer diverses personnalités exigeant des musulmans qu’ils soutinssent le défendeur en tant qu’il était notre frère. Aujourd’hui, c’est-à-dire après la reconnaissance de ces relations immorales, à notre connaissance et en toute bonne foi, pas un n’a reconnu sa méprise ; pas un n’a reconnu avoir parlé de façon non objective ; pas un n’a reconnu que les éléments sur lesquels ils s’appuyaient étaient clairement infondés.

Ainsi, pourquoi agirent-ils ainsi ? Pourquoi n’y eut-il de protestation face à ces faits ? Mais surtout : pourquoi permettons-nous que ce soient de tels individus qui régentent l’Islam et les musulmans ? En synthèse : qu’est-ce qu’un véritable savant (terme à prendre ici comme étant la traduction de ouléma) ?

Lucas, en la biographie qu’il fit d’un philosophe, écrivait :

Morteira, surtout, ne pouvait goûter ni souffrir que son disciple et lui demeurassent dans la même ville après l’affront qu’il croyait en avoir reçu. Mais comment faire pour l’en chasser ? Il n’était pas chef de la ville comme il l’était de la synagogue. Cependant, la malice est si puissante à l’ombre d’un faux zèle que ce vieillard en vint à bout. Voici comment il s’y prit. Il se fit escorter par un rabbin de même trempe et alla trouver les Magistrats auxquels il représenta que s’il avait excommunié Spinoza, ce n’était pas pour des raisons communes mais pour des blasphèmes exécrables contre Moïse et contre Dieu. Il exagéra l’imposture par toutes les raisons qu’une sainte haine suggère à un cœur irréconciliable et demanda pour conclusion que l’accusé fût banni d’Amsterdam.

À voir l’emportement du rabbin, et avec quel acharnement il déclamait contre son disciple, il était aisé de juger que c’était moins un pieux zèle qu’une secrète rage qui l’incitait à se venger. Aussi, les Juges, qui s’en aperçurent, cherchant à éluder leurs plaintes, les renvoyèrent aux Ministres.

Ceux-ci, ayant examiné l’affaire, s’y trouvèrent embarrassés. De la manière dont l’accusé se justifiait, ils n’y remarquaient rien d’impie. D’autre part, l’accusateur était rabbin, et le rang qu’il tenait les faisait tellement souvenir du leur que, tout bien considéré, ils ne pouvaient absoudre un homme que leur semblable voulait perdre sans outrager le Ministère. Et cette raison, bonne ou mauvaise, leur fit donner leur conclusion en faveur du rabbin, tant il est vrai que les ecclésiastiques, de quelque religion qu’ils soient, Gentils, Juifs, Chrétiens, Musulmans, sont plus jaloux de leur autorité que de l’équité et de la vérité, et qu’ils sont tous animés du même esprit de persécution.

On le voit : c’est par cet esprit de persécution qu’ils préférèrent Tariq Ramadan à Henda Ayari qui, bien que musulmane revendiquée, n’eut le bénéfice du soutien dû au coreligionnaire, puisqu’il est l’un des leurs en tant que titulaire d’ijâzas d’al-Azhar ; et c’est encore par ce même esprit de persécution que les prétendus oulémas restreignent généralement la critique aux seuls membres de leur congrégation. En effet, si nous prenons le cas de l’Arabie saoudite et du comportement de certains de ses dirigeants, la plupart desdits oulémas —c’est-à-dire expressément accrédités par ces dirigeants— diront que la critique leur appartient et qu’il convient de la taire, quand bien même la situation de la population empirerait et que les crimes de l’élite continueraient.

Mais employons un exemple plus parlant encore de cet esprit de persécution.

Al-Qaradâwî (et d’autres) émit une fatwa en laquelle sont permis certains accommodements foncièrement outrageants avec l’usure (riba) que Dieu pourtant interdit. Citons quelques éléments venant appuyer la thèse du Qatari :

le principe selon lequel la nécessité lève l’interdiction ;

certains versets qui montrent la Sollicitude divine, de sorte que nous ne souffrions d’aucune gêne ;

«l’habitation locative ne répond pas à tous les besoins du musulman et ne lui procure pas un sentiment de sécurité (…). Le musulman continue alors de payer pendant des années et des années sans pour autant ne posséder de l’habitation ne serait-ce qu’une seule pierre et demeure en dépit de cela exposé à l’expulsion si le nombre de ses enfants ou de ses invités augmente. De même s’il prend de l’âge ou si ses revenus diminuent ou s’estompent, il devient exposé à être jeté dans la rue.»;

un recensement des quelques bienfaits issus du contrat passé avec Mammon : habiter à proximité d’une mosquée, montrer un Islam riche plutôt que pauvre (car détenteur d’une maison, le musulman se fait bien évidemment plus apte à la prédication efficace) ;

un avis qui permet que soient établis des contrats impies envers des non-musulmans lorsqu’on est en terre “non-musulmane” : «L’avis d’Abou Hanifa et de son élève Mohamed ibn al-Hassan ash-Shaybani, qui est l’avis adopté au sein de l’école hanafite. C’est également l’avis de Sofiane ath-Thawri, de Ibrahim an-Nakh’i. C’est aussi l’un des avis relaté d’après Ahmed ibn Hanbal auquel Ibn Taymiya accorde la prévalence –selon les dires de certains hanbalites– à savoir, la permission d’établir des contrats faisant intervenir l’usure « ar-riba » et de tout autre contrat juridiquement invalide, entre les musulmans et les non-musulmans en dehors de la terre d’Islam.»

Soumettons cette argumentation mammonique à l’examen : nous pourrons ainsi parvenir à comprendre pourquoi les prétendus héritiers des Prophètes que nous avons se sont fourvoyés tant à propos de l’affaire Ramadan que sur le sujet de l’usure, et peut-être trouverons nous moyen d’enfin nous défaire d’eux.

Relativement aux points 1, 2 et 3°, nul ne doutera de la justesse du principe puisqu’il est même permis de consommer de la viande de porc en cas de besoin. Mais la nécessité de disposer d’un habitat, que tous reconnaissent, est déjà comblée par la location, de sorte que ce point ne puisse servir à justifier les positions d’al-Qaradâwî. L’on entend certains thuriféraires de Mammon prétendre que si l’on se risque à être expulsé, il est alors permis d’acheter une maison. Mais la chose est inepte puisque si l’on est en situation d’expulsion, c’est que généralement nous n’avons eu les moyens de payer le loyer ; partant, comment imaginer une banque qui acceptera d’être notre bailleur de fonds ? Eh quoi?! n’est-il pas partout reconnu que si nous contractons un emprunt à intérêts et qu’on ne puisse honorer les échéances, nous gardons notre bien et que les huissiers n’existent que dans les romans ? N’est-il pas exact qu’une banque prête de quoi acheter sans même s’assurer de la solvabilité de l’emprunteur ni ne songe à se prémunir d’éventuels risques par une hypothèque ? Mais quand l’on cherche à justifier l’injustifiable, il faut que même l’évidence n’en soit plus une.

Quant au point , il est faux puisque la plupart des mosquées sont construites en les lieux où le nombre de musulmans est important ; or l’on remarque que ceux qui acquièrent un bien immobilier auront bien plus tendance à fuir ces lieux, quitte à y venir en voiture pour la prière du Vendredi, plutôt qu’à y demeurer en un luxe tout relatif (et pouvant susciter des jalousies). Omar Sy, Jamel Debbouze, Nicolas Anelka : tous ont si bien gagné leur vie qu’ils ont définitivement quitté la ville de Trappes pour des destinations plus en adéquation avec leur nouvelle classe sociale. Le premier s’est expatrié en une villa californienne dont la valeur excèderait le million ; Jamel possède (ou possédait) une résidence à l’île Saint-Louis, en plein cœur de Paris. Le mouvement inverse se produit mais dans le cadre d’une gentrification, c’est-à-dire avec le départ perfidement organisé des prolétaires ainsi qu’on le voit dans divers quartiers de grandes métropoles —mais le phénomène est circonscrit à quelques zones bien délimitées d’où Trappes ne figure pas sinon jamais.

Le point , n’étant pas assez détaillé en la fatwa, ne nous permet pas de savoir précisément le raisonnement à l’origine de ces conclusions. Toutefois, si l’on s’arrête au premier sens (et il n’y a de raison de chercher ailleurs car c’est bien celui posé en la fatwa), qu’y voir sinon une judaïsation évidente de l’Islam ?

Ceux qui pratiquent l’usure se présenteront, le Jour de la Résurrection, comme des aliénés possédés par le démon et ce, pour avoir affirmé que l’usure est une forme de vente, alors que Dieu a permis la vente et a interdit l’usure. Celui qui, instruit par cet avertissement, aura renoncé à cette pratique pourra conserver ses acquis usuraires antérieurs et son cas relèvera du Seigneur ; mais les récidivistes seront voués au Feu éternel. (Coran 2:275)

Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour rien de ce qui se prête à intérêt. Tu pourras tirer un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras point de ton frère, afin que l’Éternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession. (Deutéronome 23:19-20)

On le voit : si Dieu est Justice, ce qu’Il qualifie de profondément mauvais doit être interdit non seulement pour tous mais aussi vis-à-vis de tous. Y aura-t-il des individus pour ne pas voir que le Coran contient des principes universels quand ces oulémas enseignent une morale à double standard ? Car Dieu est la Vérité, le Bien et la Justice ; et si nous L’adorons réellement, c’est à ces valeurs qu’il faille nous conformer. Et au lieu de comprendre que c’est la droiture qui attire à l’Islam, ils préfèrent tenir que c’est notamment par la possession de biens périssables que les musulmans deviendront respectables ! Mettons-nous à la place du non-musulman qui lira la fatwa en question et notamment ce point 5° : ne dira-t-il pas que Dieu est injuste ? Est-ce donc là l’image que nous voulons donner de l’Islam ?

Mais surtout, notons que les spécialistes du Faux ont l’absolue nécessité de justifier leur rôle social par la mystification qu’ils opèrent : ainsi, la plupart des médias disposent d’une rubrique Décryptage comme pour signifier notre bêtise congénitale ; les médecins ont décidé de parler de patella et de fibula au lieu de rotule et de péroné (respectivement) comme pour rendre leur langage le moins compréhensible possible. Ces dits oulémas n’en sont pas en reste car la critique de la fatwa que nous avons faite est, en réalité, très aisée. Et c’est précisément pour éviter qu’une critique comme la nôtre ne soit formulée que certains prirent les devants à la façon de Moncef Zenati, un des apologètes de ladite fatwa, qui, lors d’une conférence, déclara : «dans les commun des musulmans, il y a la fatwa, mais la majorité n’a pas les moyens de comprendre la fatwa» ; et continue : «tout ce qui t’intéresse toi, en tant que musulman, c’est ce que Dieu a dit dans le Coran : demandez à ceux qui savent (Ahl al-Dhikr) si vous ne savez pas (Cor. 16:43). Parmi ceux qui savent, il y en a qui le permettent et parmi ceux qui savent, il y en a qui l’interdisent. Mais toi, tu as dégagé ta responsabilité dès lors que tu as suivi ceux qui savent. (…) Dans le fiqh, il y a toujours des divergences» ; pour enfin conclure : «il n’est pas demandé à chacun de comprendre les fatwas ; et ce n’est pas par mépris. (…) Oui, tu as une Raison ! Alors utilise-la pour étudier. Si tu veux vraiment approfondir, étudie.»

Or, sachant bien que le cursus universitaire exige plusieurs années, il faut que la plupart des musulmans soit découragée à la fois de connaître Dieu mais aussi de trouver la Vérité, puisque ceux-là mêmes qui s’y plièrent pourtant se contredisent sur nombre de sujets. Par suite, la compréhension générale ou popularisée du verset que cite Moncef Zenati est fausse car une véritable traduction de Ahl al-Dhikr serait «gens du Rappel». Et l’on sait qu’en le Livre Saint, Rappel, Coran et Vérité sont pris en tant que synonymes. Il faut donc que les «gens du Rappel» (Ahl al-Dhikr) soient «gens du Coran», c’est-à-dire «GENS DE LA VÉRITÉ». La conclusion est donc simple et radicale : parce qu’ils se contredisent presque tous sur la quasi-totalité des sujets, nous voyons que la plupart d’entre eux, bien que s’appuyant sur ce verset pour justifier leur ascendant sur nous, en ont retourné le sens, sauf —bien entendu— à tenir que Dieu n’est pas Un ou (et c’est la même chose) que la Vérité puisse se faire multiple ; par suite, et en nous appuyant sur rien d’autre sinon le Coran, il convient que nous les qualifiions de faux oulémas, et c’est ce que nous ferons pour le reste de notre démonstration.

        Je ne veux pas apprendre la grammaire de Sibawayh, Mais la grammaire de Dieu   Ni le droit d’Abou Hanifa, Mais le droit de Dieu… Rûmî

Arrêtons-nous sur ces faux oulémas. L’individu ayant réalisé un cursus universitaire en sciences islamiques en fera son gagne-pain, à moins qu’il n’ait un autre moyen pour vivre. Voit-on l’antinomie radicale avec l’héritage des Prophètes ? Ceux-ci, en tant qu’ils cherchaient à nous faire grandir le plus possible, n’attendaient rien de nous ; ceux-là, c’est-à-dire les faux oulémas, en règle générale et parce qu’ils doivent vivre, auront la nécessaire tendance à nous maintenir en un état de sujétion de sorte que leur gagne-pain demeure. Ira-t-on les consulter une fois qu’ils nous donneront leur avis sans toutefois en divulguer les tenants et aboutissants totaux de sorte que, maintenus en la ténèbre de l’ignorance, nous persistions à nous prosterner devant eux. Et il ne s’agit là pas d’un complot, du fruit de consciences perverses ou d’un accident : l’entrepreneur qui souhaite perdurer ne divergera nullement de ce constat évident.

Et à la manière de certains secteurs marchands bien précis (par exemple, la distribution) qui concluent des ententes entre concurrents de sorte à maintenir les prix en une certaine fourchette, les faux oulémas considèrent (et font considérer) que la divergence est une richesse : en effet, ayant bien compris que la masse des musulmans était telle un marché et voyant que se faire la guerre entre eux risquait de fragiliser leur domination en attirant sur eux la perspicacité de certains musulmans, de plus en plus comprirent qu’il valait mieux instaurer une paix des braves permettant que chaque courant professât sa petite tambouille et que le consommateur musulman acquît le produit religieux correspondant à son appétit. C’est ainsi que de nos jours s’est généralisée une pratique détestable consistant à chercher la fatwa venant conforter notre envie. À ce propos, nous-même étions tombé sur un musulman qui avait candidaté en diverses banques commerciales dans l’espoir d’y devenir serviteur de Mammon (pudiquement appelé conseiller clientèle) ; et bien que nous tentâmes de l’en dissuader, il se contenta de répondre : «Y’a des savants qui l’autorisent, hein.» La vérité est désormais reléguée au dernier rang de nos préoccupations et aujourd’hui, soit trois ans après son recrutement, ce conseiller clientèle, embauché en CDI, a bénéficié d’une promotion —preuve de son dévouement. Mammon aussi sait se montrer reconnaissant.

Analysons toutefois sa réponse : «Y’a des savants qui l’autorisent, hein». Nous voyons là que ce musulman se conforme à ce que tiennent nombre de faux oulémas, à savoir que le “musulman lambda” qui se sera fié à l’avis d’un ouléma est irresponsable devant Dieu. En plus de mépriser la masse, les tenants de cette folie l’égarent en tant qu’ils la confortent par cette déresponsabilisation néfaste qui contredit pourtant le Coran : «quiconque suit le droit chemin ne le suit que dans son propre intérêt et quiconque s’égare ne s’égare qu’à son propre détriment. Nul n’aura à assumer les péchés d’autrui» (Cor. 17:15). Car en effet : «si vous craignez Dieu, Il vous accordera la faculté de discerner entre le Bien et le Mal» (Cor. 8:29). On le voit, il y a une disjonction claire entre le commercialisation des diverses fatwas et ce que dit Dieu. Et malgré ces versets du Coran simples à entendre, ces gens-là pourtant se disent nos guides !

Aussi, puisque toutes les universités islamiques se contredisent sur la plupart des sujets, il faut que si s’y trouve une part de Vérité, le Faux toutefois prépondère car, en tant que non désigné ni détruit, sa seule présence prouve que la part de Vrai est, en comparaison, faible sinon infinitésimale : «Nous lançons la Vérité contre le Faux pour le faire disparaître et effectivement le Faux ne tarde pas à s’évanouir» (Cor. 21:18). Que l’on suppose un musulman de bonne foi voulant y apprendre la Religion : nous voyons que l’obtention de son titre sera fonction de sa conformité avec les faux oulémas qui l’examineront sur la base de ce qu’ils lui auront inculqué, à la fois en termes de Vrai et de Faux. Si donc il se met à les contredire, la probabilité d’obtenir le titre est faible. C’est pour cela que le mode d’être de la plupart des faux oulémas est bien l’aplaventrisme et le conformisme, d’où il sort que de gens ainsi formatés il ne puisse émaner de pensée radicale et profonde à moins d’un changement si intense que peu en sont capables —et l’Histoire le prouve, car si les exemples de membres d’une secte musulmane optant pour une autre abondent, très rares sont ceux s’étant prêtés à une critique radicale et subversive de l’origine même de ces sectes.

Revenons sur l’état de sujétion. Certains s’illusionnent en croyant que l’obsolescence programmée est le fait de pervers alors qu’elle est consubstantielle au Capital. L’on définit une entreprise comme l’entité qui assure sa pérennité par la réalisation de bénéfices. Par conséquent, il faut que la part de marché de ladite unité capitaliste ou se maintienne ou croisse ; et parce que le marché n’est pas indéfiniment extensible, l’autre solution est de s’assurer une rente permanente : ainsi, les entreprises ont la tendance naturelle à employer des ingénieurs qui concevront des produits suffisamment résistants pour satisfaire le client au moment de l’achat et toutefois assez fragiles ou sujets à une quelconque évolution pour que le renouvellement survienne en un délai prédéterminé. Nos faux oulémas sont dans le même cas de figure : quand le Prophète agissait de sorte que nous pussions atteindre le plus haut niveau possible sans qu’il n’attendît quoique ce soit de nous ni qu’il fût un poids sur nos épaules, il faut que le faux héritier pense d’abord à son intérêt, qu’il n’oublie l’investissement qu’il consentit à réaliser (temps, argent…) et qu’il pense à le faire fructifier.

Par suite, et très naturellement, l’on remarquera que ces faux oulémas agiront de sorte à maintenir la plupart en état de sujétion afin que nous demeurions toujours des mineurs incapables de connaître de nous-mêmes Dieu, c’est-à-dire la Vérité. Ainsi, qui recourt une fois aux faux oulémas est amené à y recourir toujours car ainsi que l’a tenu Moncef Zenati : «il n’est pas demandé à chacun de comprendre». D’ailleurs, en les Commentaires sur la Société du Spectacle, Guy Debord relevait l’absurdité de cette vie qu’on nous intime de vivre par procuration : «La dissolution de la logique a été poursuivie, selon les intérêts fondamentaux du nouveau système de domination, par différents moyens qui ont opéré en se prêtant toujours un soutien réciproque. Plusieurs de ces moyens tiennent à l’instrumentation technique qu’a expérimentée et popularisée le spectacle ; mais quelques-uns sont plutôt liés à la psychologie de masse de la soumission.  

Sur le plan des techniques, quand l’image construite et choisie par quelqu’un d’autre est devenue le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui-même, de chaque endroit où il pouvait aller, on n’ignore évidemment pas que l’image va supporter tout, parce qu’à l’intérieur d’une même image on peut juxtaposer sans contradiction n’importe quoi. Le flux des images emporte tout, et c’est également quelqu’un d’autre qui gouverne à son gré ce résumé simplifié du monde sensible, qui choisit où ira ce courant, et aussi le rythme de ce qui devra s’y manifester, comme perpétuelle surprise arbitraire, ne voulant laisser nul temps à la réflexion, et tout à fait indépendamment de ce que le spectateur peut en comprendre ou en penser. Dans cette expérience concrète de la soumission permanente se trouve la racine psychologique de l’adhésion si générale à ce qui est là et qui en vient à lui reconnaître ipso facto une valeur suffisante. Le discours spectaculaire tait évidemment, outre ce qui est proprement secret, tout ce qui ne lui convient pas. Il isole toujours, de ce qu’il montre, l’entourage, le passé, les intentions, les conséquences. Il est donc totalement illogique. Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé. La hautaine attitude de ses serviteurs quand ils ont à faire savoir une version nouvelle, et peut-être plus mensongère encore, de certains faits, est de rectifier rudement l’ignorance et les mauvaises interprétations attribuées à leur public, alors qu’ils sont ceux-là mêmes qui s’empressaient la veille de répandre cette erreur avec leur assurance coutumière. Ainsi, l’enseignement du spectacle et l’ignorance des spectateurs passent indûment pour des facteurs antagoniques alors qu’ils naissent l’un de l’autre. (…)

Sur le plan des moyens de la pensée des populations contemporaines, la première cause de la décadence tient clairement au fait que tout discours montré dans le spectacle ne laisse aucune place à la réponse ; or la logique ne s’était socialement formée que dans le dialogue. Mais aussi, quand s’est répandu le respect de ce qui parle dans le spectacle, qui est censé être important, riche, prestigieux, qui est l’autorité même, la tendance se répand aussi parmi les spectateurs de vouloir être aussi illogiques que le spectacle pour afficher un reflet individuel de cette autorité. Enfin, la logique n’est pas facile, et personne n’a souhaité la leur enseigner. Aucun drogué n’étudie la logique parce qu’il n’en a plus besoin et parce qu’il n’en a plus la possibilité. Cette paresse du spectateur est aussi celle de n’importe quel cadre intellectuel, du spécialiste vite formé, qui essaiera dans tous les cas de cacher les étroites limites de ses connaissances par la répétition dogmatique de quelque argument d’autorité illogique.»

Il suffit d’ailleurs de consulter l’Internet où la plupart des prédicateurs contemporains sont pris en cette répétition dogmatique puisqu’ils se contentent souvent de citer les divers avis (quand ils sont neutres) ou de citer l’avis de leur faction (lorsqu’ils sont sectaires). Car en effet, peu de musulmans savent ce qu’aura dit Mâlik ou ibn Hanbal sur un sujet, de sorte que l’on vient à porter aux nues celui qui aura été capable, en fin de compte, d’imiter Google en direct.

C’est d’ailleurs ce qui explique l’apparition du phénomène cheikh Google : puisque les faux oulémas se contentent trop d’apprendre ce que d’autres auront dit, et parce qu’une machine fait de même sinon mieux, il fallait que nous arrivions à ce que, pour obtenir une réponse, nous saisissions quelques mots-clés en le moteur de recherche. Peut-être un jour aboutirons-nous à ce que Cisco et IBM s’associent à al-Azhar pour créer le e-cheikh 3.0, disponible 24h sur 24 et 7j sur 7, au coût presque nul et capable de répondre à toute question que des musulmans se poseraient quant à la religion sur la base de mots-clés. Les faux oulémas accepteront-ils cette dangereuse concurrence, puisqu’ayant fait de la Religion leur gagne-pain, ils ne pourront rivaliser ? Mais leur réponse n’importe que peu puisqu’ils sont responsables de cette dérive, en tant qu’ils ne sont qu’une caricature du véritable ouléma.

Car enfin, qu’est-ce qu’un vrai ouléma ? À rebours des spécialisations en lesquelles les humains s’enfermèrent, si nous nous promenons dans la rue, nous ne verrons pas ici de l’économie, de la sociologie et plus loin, de la physique : le Tout est lié et ne porte signification qu’embrassé en sa totalité. Ce n’est donc pas en vain que le Coran emploie la racine trilittère ‘A‒L‒M qui exprime notamment les concepts Univers, savoir, sage, Omnisapience [divine] ; d’ailleurs, le mot ouléma (grossièrement traduit par savant) la contient pareillement. Mais contrairement aux prescriptions du Coran indiquant que le véritable ouléma s’identifie à & comprend l’Univers, nous préférâmes ériger l’ouléma en tant que spécialiste.

Les Latins déjà intuitionnèrent que le vrai savoir est ainsi que le pose le Coran, c’est pourquoi ils employaient le terme comprehendere, qui signifie prendre, saisir ensemble, saisir par l’intelligence, pénétrer le sens de, surprendre, appréhender, etc. Ce que nous disons là n’est donc ni nouveau ni caché. Et au lieu de comprehendere ce Tout (*), ces spécialistes décomposèrent le Savoir (qui n’est autre que le Tout) en parcelles de spécialisations à l’origine des disciplines de fiqh, tafsîr, ‘aqîda, etc. Or n’est-il pas exact qu’une tour carrée apparaîtra sans doute de forme circulaire au loin faisant que l’individu se trouvant à sa proximité en viendra à diverger de celui en étant éloigné ? Par suite, seule une véritable comprehensio de la chose permettra l’émergence du Vrai : c’est pourquoi ceux qui se conforment tout-à-fait aux Révélations de Dieu jamais ne divergent puisqu’ils ne considèrent que le Tout qui ne varie pas en fonction des regards subjectifs que nous y portons. La réciproque est aussi vraie : ce n’est qu’en tant qu’ils se conforment à autre qu’à Dieu qu’ils se contredisent et que nombre d’entre eux parle faux.

De plus, en tant qu’héritier des Prophètes, le véritable ouléma agit de sorte que celui voulant apprendre finisse par devenir effectivement indépendant : il ne cherche donc pas à entretenir un rapport de dominant-dominé. En règle générale, cela exclut ceux qui vivent de l’état de sujétion de la masse.

Aussi, cet héritage prophétique ne consiste pas en un diplôme, une ijâza, un accoutrement ; il est tout purement la Vérité que seuls les Craignant-Dieu embrassent : «Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Dieu, Il vous accordera la faculté de discerner [entre le Vrai et le Faux]» (Cor. 8:29). Ceux qui prétendent qu’il faille autre que la crainte du Seigneur se chargent d’un bien grave péché en tant qu’ils donnent aux gens une fausse conception de Dieu en plus de contredire évidemment le Coran. Mais c’est la volonté jalouse de conserver leurs prérogatives qui les y pousse : «Or, ce sont ceux-là mêmes qui avaient reçu le message qui entrèrent en désaccord à son sujet, en dépit des preuves évidentes qui leur furent apportées et ce, par pur esprit de rivalité» (Cor. 2:213). Mettons donc fin à cette aberration car Dieu n’est pas tel à s’enfermer entre les quatre murs des Universités ni ne requiert la lecture de milliers de livres pour être adéquatement connu, sans quoi il faudrait que les Universités aient de tout temps existé et que tous les humains sachent lire. Or ce qui est permanent chez l’Humain, c’est bien le cœur qui, s’il est pieux, connaîtra son Créateur. Le véritable ouléma nous apprend donc à être droits et sincères, à distinguer le Bien du Mal de nous-mêmes parce qu’il nous apprend ce que signifie la véritable crainte du Seigneur, à être nous-mêmes parce qu’il se connaît déjà en tant qu’il connaît son Seigneur.

En réalité, tous les musulmans, femmes comme hommes, lettrés ou non, arabophones ou non, se doivent d’être des Gens du Rappel, des Gens du Coran, donc des Gens de la Vérité : autrement dit, il n’en est pas un qui ne doive devenir ouléma, c’est-à-dire un humain accompli embrassant le Tout. Assurément, il est impossible que tous deviennent tels les faux oulémas, c’est-à-dire ayant appris le contenu de quelques livres ; mais si tous craignent réellement leur Seigneur ainsi qu’ils se doivent de Le craindre, alors nous serons ce que nous devons être, c’est-à-dire des modèles, et alors la véritable fraternité règnera sur Terre : «Vous êtes la meilleure communauté qui ait jamais été donnée comme exemple aux hommes. En effet, vous recommandez le Bien, vous interdisez le Mal et vous croyez en Dieu» (Cor. 3:110).

Sans cette prise de conscience à laquelle nous invitons le lecteur, non seulement nous nous égarerons mais nous éloignerons nombre d’individus du véritable Islam. Nous-même connaissons quelques musulmans ayant abandonné la Religion : en substance, toutes disaient en avoir marre de ne savoir que faire du fait des divergences. Et ces divergences naissent de ce que certains se sont arrogé le titre d’ouléma alors qu’ils en sont la plus pure contradiction. Notons qu’il est impossible que cette situation ait persisté si il n’était des gens pour s’en accommoder. C’est donc à un réveil ontologique que nous appelons le lecteur contre tous ceux qui le veulent couché, soumis, éteint. Dieu, en effet, est en chaque humain et nous avons tous de quoi Le connaître si tant est que nous cessions de vivre en dehors de nous-mêmes ainsi que l’Islam bien compris le professe. Ainsi, tant que nous continuerons à considérer ces faux oulémas comme nos directeurs de conscience, les troubles persisteront, se feront d’autres prises de positions délirantes, infondées et potentiellement préjudiciables pour l’Islam comme en cette affaire Ramadan, et de plus en plus en viendront à concevoir une image erronée de l’Islam.

Nul doute que cet article, par ses affirmations, en viendra à perturber un grand nombre de musulmans de bonne foi qui pensaient sincèrement que ceux présentés comme oulémas le sont effectivement. En paraphrasant Henri Guillemin, nous craignons que nos coreligionnaires ne se disent que nous avons opéré là une pure entreprise de dénigrement alors que c’est la Vérité que nous tentons réellement d’exposer. Robespierre, qui avait dit à la tribune des choses qui déplaisaient, avait répondu : «C’est la vérité qui est coupable.» Mais hélas, chez certaines gens, la vérité perd son nom, et ce qui dérange les idées reçues perdent le droit d’exister.

Vraiment, nous ne doutons pas que si le lecteur examine notre article en se défaisant au plus possible de ce qu’il croit fermement comme exact, il se rendra compte que nous n’avions d’autre ambition que le voir suivre Dieu sans médiation aucune car ici, nous n’avons aucun intérêt personnel, et parce que nous pensons qu’il en est capable quand ces faux oulémas exigent que nous leur abandonnions cette quête pourtant salutaire et que nous connaissions Dieu à travers eux alors qu’ils ne l’appréhendent guère ainsi que nous l’avons démontré. (Par suite, ceux qui imaginent que l’Islam n’a pas de clergé se fourvoient fort. Et c’est lorsque ce clergé sera abattu que les musulmans sortiront de leur torpeur.)

Quant à ceux ne le voyant pas et doutant de notre sincérité, qu’ils expriment leurs arguments ou qu’ils persistent en leur voie ! Car nous ne cherchons pas à imposer notre avis et respectons ceux qui voudront conduire leur vie sous le patronage d’autres. Que nous terminions par la Parole de Dieu comme synthèse de notre propos :

Dis-leur : « Lequel de vos associés serait capable de guider vers la Vérité ? »

Réponds : « Seul Dieu guide vers la Vérité. Qui est alors le plus digne d’être suivi ? Celui qui guide vers la Vérité ou celui qui ne guide qu’autant qu’il est lui-même guidé ? » (Cor. 10:35). SOLI DEO GRATIA.

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