(Ecofin Hebdo) – Pour la plupart des analystes et banques d’affaires, 2020 était censé être une année faste pour le cours du cuivre. Le métal rouge, surnommé Doctor Copper (Dr Cuivre) parce qu’il représente un baromètre de la santé de l’économie mondiale, devait profiter de la stabilisation de l’activité manufacturière et d’une hausse de la demande de la Chine (premier consommateur mondial). C’était sans compter avec le coronavirus. L’épidémie meurtrière, dont l’ampleur croît de jour en jour dans l’empire du Milieu, menace de plonger le marché mondial dans la crise, une mauvaise nouvelle pour les économies de plusieurs Etats africains…
Premiers signes de crise
1355 morts au total en Chine et 60 000 personnes infectées, selon le bilan officiel communiqué par les autorités chinoises dans la matinée du jeudi 13 février 2020. L’épidémie déclarée par l’OMS « Urgence sanitaire de portée internationale» fait de plus en plus de ravages. Si les pertes en vies humaines ne cessent de croître, l’activité commerciale chinoise est également touchée.
Xi Jinping s’inquiète de la progression de l’épidémie.
«Ce n’est pas un hasard si on dit que la Chine est l’atelier du monde : c’est la deuxième économie de la planète. Quand la Chine éternue, c’est l’ensemble du monde qui attrape la grippe», analyse pour Franceinfo l’économiste Philippe Chalmin. Pour le fondateur du Cercle Cyclope qui publie chaque année, depuis 1986, un rapport sur l’état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières, l’impact du coronavirus sur la demande et les prix des matières premières, dont la Chine est le premier importateur mondial, est réel. Sont ainsi cités le cuivre, le fer, l’huile de palme, le caoutchouc, etc.
«Ce n’est pas un hasard si on dit que la Chine est l’atelier du monde : c’est la deuxième économie de la planète. Quand la Chine éternue, c’est l’ensemble du monde qui attrape la grippe».
De tous ces produits, le cuivre est le plus impacté. Alors que la plupart des centres commerciaux du pays tournent au ralenti, les acheteurs chinois ont annulé ou reporté des commandes à l’étranger (de l’Amérique du Sud à l’Afrique). Certains (et d’autres devraient suivre) ont même déclaré un cas de force majeure, une clause qui identifie les catastrophes naturelles ou inévitables comme cause de non-exécution d’un contrat.
Un sérieux coup de frein pour la production industrielle chinoise.
«Le coronavirus a un impact énorme sur la demande de cuivre, car les utilisateurs en aval [impliqués dans le traitement du cuivre brut] ont cessé d’acquérir des matières premières», a déclaré un responsable de Guangzhou Zhongshan Trade, une société chinoise de commerce de métaux non ferreux, dans des propos rapportés par le Financial Times.
Des conséquences «a priori» plus graves que celles du SRAS
Si l’épidémie a entraîné une baisse du prix du cuivre sur le marché international, les analystes ne s’accordent pas sur l’ampleur de l’impact qu’elle pourrait avoir à moyen ou à long terme. Certains ont tenté de comparer le coronavirus au SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) survenu en Chine en 2003 pour évaluer les conséquences sur la croissance économique et la demande de cuivre. Toutefois, selon le cabinet Wood Mackenzie, ces comparaisons pourraient sous-estimer l’impact sur le cuivre qui, en raison de son utilisation répandue dans l’industrie et la construction, est vulnérable à une faiblesse économique plus générale.
Le consultant relève qu’en 2003, la Chine n’était responsable que de 19% de la consommation mondiale, contre près de 50% aujourd’hui.
Le consultant relève qu’en 2003, la Chine n’était responsable que de 19% de la consommation mondiale, contre près de 50% aujourd’hui.
De plus, le SRAS est apparu comme une urgence sanitaire nationale en avril 2003, alors que la plupart des gens étaient retournés dans leurs villes de travail après les vacances du Nouvel An chinois, ce qui a permis de réduire au minimum les perturbations de l’activité industrielle. En outre, les perturbations dues au SRAS étaient principalement concentrées dans la province du Guangdong et à Pékin, alors que le coronavirus se propage maintenant dans la plupart des centres économiques de la Chine.
Rues désertes et consommation en berne.
Toutes ces raisons laissent présager le pire pour le marché du cuivre si l’épidémie n’est pas vite jugulée. Plus elle durera, plus la portée des dégâts sur l’économie sera conséquente.
Plusieurs pays africains producteurs risquent d’en souffrir…
Les pays africains dépendants des exportations de matières premières ont toujours mal vécu les crises, qui se traduisent par des chutes drastiques des cours. Il y a quelques années, faut-il le rappeler, l’économie nigériane (comme celles de plusieurs autres pays du continent) a été malmenée par la chute des prix du pétrole. De la même manière, la dernière grande crise qu’a traversée le secteur minier mondial a plongé plusieurs économies africaines dans un marasme économique.
Si la production minière mondiale de cuivre est dominée, de loin, par deux pays (le Chili et le Pérou avec 5,832 millions de tonnes et 2,437 millions de tonnes, respectivement), la part de l’Afrique est loin d’être négligeable. La production africaine de cuivre est principalement portée par la RDC et la Zambie. Selon les données de la Banque mondiale, les deux pays ont produit 2,08 millions de tonnes de cuivre en 2018. La RDC est 4e producteur mondial du métal rouge avec 1,225 million de tonnes, devant la Zambie (7e mondial) avec 857 000 tonnes. Il faut noter que, selon le même rapport, la production mondiale des mines de cuivre était de 20,37 millions de tonnes en 2018.
Il faut ainsi ajouter à la liste la Namibie, l’Afrique du Sud, l’Erythrée ou encore la Mauritanie.
En dehors de la RDC et de la Zambie, d’autres pays africains (producteurs du métal rouge) devraient être impactés par une éventuelle crise dans le secteur cuprifère. Il faut ainsi ajouter à la liste la Namibie (plus connue pour son secteur de l’uranium), l’Afrique du Sud, l’Erythrée ou encore la Mauritanie. Ce dernier produit environ 15 000 tonnes par mois de cuivre via la mine Guelb Moghrein, filiale de la compagnie canadienne First Quantum. La mine, qui contribue à l’ensemble de l’économie mauritanienne à hauteur de 5,6 % du revenu national brut, vend principalement sa production à la Chine.
Pour un marché mondial du cuivre en déficit en 2019, la production africaine est importante. Et l’offre africaine est appelée à augmenter dans les prochaines années avec de nouveaux projets qui voient le jour un peu partout sur le continent.
Pour un marché mondial du cuivre en déficit en 2019, la production africaine est importante. Et l’offre africaine est appelée à augmenter dans les prochaines années avec de nouveaux projets qui voient le jour un peu partout sur le continent.
Citons par exemple le redémarrage prévu de la mine Kombat (Namibie), qui a produit un total de 12,46 millions de tonnes de cuivre entre 1962 et 2008, mais également des projets au Maroc, au Botswana, en RDC ou encore en Zambie.
RDC et Zambie : deux voisins en compétition
Dans la course à qui produit plus de cuivre que l’autre, la RDC domine depuis plusieurs années la Zambie. L’ex-Zaïre a produit en 2019, selon les données de sa Banque centrale, 1,308 million de tonnes de cuivre, soit une augmentation de 15,9% par rapport à 2018. Pour dépasser le cap du million de tonnes que cherche à atteindre sans succès la Zambie, le pays a pu compter sur les opérations de cuivre-cobalt du géant minier suisse Glencore.
Le secteur cuprifère congolais connaît de son côté une forte présence chinoise. Ainsi, le groupe China Molybdenum a acquis en 2016 la mine de cuivre-cobalt Tenke Fungurume pour plusieurs milliards de dollars. Plus récemment, le soutien de la China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC) a permis à la Gécamines, la société minière nationale, de mettre en production commerciale la mine de cuivre-cobalt Deziwa. Hongkong Excellent Mining Investment aide Gécamines à exploiter les gisements de Kingamyambo et Kilamusembo alors que le kazakh Eurasian Resources Group opère dans le pays via sa filiale Boss Mining.
La mine de cuivre-cobalt Tenke Fungurume de China Molybdenum.
Si tous ces investisseurs se sont fait du souci avec le projet de révision du code minier lancé en 2018 par l’ancien président Joseph Kabila, il faut croire que leur perception de l’environnement minier s’est améliorée avec le récent changement de régime qui a vu l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. C’est du moins ce que laisse croire une intervention de Robert Friedland, PDG d’Ivanhoe Mines, qui a déclaré en novembre dernier que «la RDC est actuellement un meilleur endroit pour investir dans le cuivre que le Chili». Avec le chinois Zijin Mining, sa compagnie développe le grand projet Kamoa-Kakula appelé à devenir, à partir de sa douzième année d’exploitation, la deuxième plus grande mine de cuivre en production au monde. En attendant, plus de 80% des recettes d’exportation de la RDC proviennent du secteur minier dominé par le cuivre et le cobalt.
En Zambie, les relations entre l’Etat et l’industrie minière (surtout cuprifère) sont au plus mal. En cause, des réformes du régime fiscal introduites en 2019, qui augmentent les impôts miniers et redevances. Glencore, Vedanta Resources, Barrick, First Quantum Minerals, ERG, pour les plus importantes, ont menacé sans succès d’arrêter les opérations ou de supprimer des emplois. Certaines compagnies envisageraient même de quitter le pays face à la détermination du gouvernement. Ce dernier, avec en tête son président Edgar Lungu, campe sur ses positions, fermement décidé à augmenter les revenus issus de l’exploitation des richesses du sous-sol zambien. Si les données officielles ne sont pas encore disponibles, l’on s’attend à ce que cette situation entraîne une baisse de la production nationale à 750 000 tonnes (soit -13%).
Louis-Nino Kansoun