Côte d’Ivoire : 4 recommandations de la Banque mondiale pour sortir de la malédiction du cacao

Ecofin Hebdo) – 40 ans plus tard, après avoir conquis le statut de premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire peine à profiter des possibilités offertes par la chaîne de valeur mondiale de la fève. Sur un autre front, les autorités doivent gérer la déforestation liée à la cacaoculture et améliorer la situation économique des producteurs. Face à ces multiples défis, comment assurer un développement équitable et durable de la filière dans un contexte mondial changeant ? Tour d’horizon des différentes options possibles avec le nouveau rapport de la Banque mondiale baptisé « Au pays du cacao, comment transformer la Côte d’Ivoire ».

 

Une croissance exceptionnelle qui laisse un arrière-goût amer

Le cacao est, sans aucun doute, le produit agricole par excellence de la Côte d’Ivoire. Au-delà du symbole qu’il représente, depuis son introduction en 1895, le cacao rythme la vie économique du pays. Principale contributrice du secteur agricole, la filière fournit 14% du PIB, le tiers des recettes d’exportation et finance 10% du budget de l’Etat.

Sur le plan social, la culture du cacao est l’apanage d’un million de petits producteurs. Elle procure, en outre, des revenus à environ 5-6 millions de personnes, soit le cinquième de la population.

Sur le plan social, la culture du cacao est l’apanage d’un million de petits producteurs. Elle procure, en outre, des revenus à environ 5-6 millions de personnes, soit le cinquième de la population.

A l’échelle mondiale, cette importance du sous-secteur ne se dément pas. La Côte d’Ivoire fournit, à elle seule, 40% du stock mondial et alimente en matières premières de nombreux marchés de consommation de chocolat en Europe, en Amérique et en Asie. Grâce à la conjoncture plus ou moins favorable, ces 30 dernières années, la récolte du pays a quadruplé passant de 550 000 tonnes en 1980 à 2 millions de tonnes en 2017.

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La Côte d’Ivoire fournit 40% du cacao mondial.

 

Toutefois, en raison même de sa fulgurance, cette progression a conduit à une réduction sans précédent de la superficie forestière. La couverture forestière a baissé de 75% passant de 12 millions d’hectares, en 1960, à 3 millions d’hectares actuellement. La faute à un mode de production extensif, qui permet aux exploitants de bénéficier de la fertilité naturelle des terres forestières vierges, ainsi qu’à des techniques culturales peu productives.

La couverture forestière a baissé de 75% passant de 12 millions d’hectares, en 1960, à 3 millions d’hectares actuellement.

Dans son rapport, la Banque mondiale indique que la productivité du verger ivoirien a stagné autour de 450-550 kilogrammes par hectare au cours des 20 dernières années. D’un autre côté, les exploitants de cacao demeurent parmi la couche de la population la plus pauvre. En effet, près de 80 % des producteurs de cacao vivent avec moins de 3 $ par jour alors même que « le prix d’une boîte de chocolat avec un assortiment de 24 pièces peut aller au-delà de 20 $, voire 35 $, chez un confiseur réputé », souligne Jacques Morisset, principal auteur du document.

Près de 80 % des producteurs de cacao vivent avec moins de 3 $ par jour alors même que « le prix d’une boîte de chocolat avec un assortiment de 24 pièces peut aller au-delà de 20 $, voire 35 $, chez un confiseur réputé »

Le grand écart observé au niveau des producteurs est aussi une réalité pour la Côte d’Ivoire dans son ensemble, en ce qui concerne la chaîne de valeur mondiale. Le pays n’encaisse que 7% des gains réalisés au niveau de la chaîne, le solde étant partagé entre les acteurs de la transformation et de la fabrication de produits finis chocolatés.

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Le pays n’encaisse que 7% des gains réalisés au niveau de la chaîne.

 

Avec ce tableau peu reluisant, il faudra une refonte de la filière afin d’être en phase avec les changements qui s’annoncent dans l’industrie mondiale. Les habitudes des consommateurs évoluent et se porteront, dans les prochaines années, sur des produits de niche comme le chocolat haut de gamme et le chocolat de spécialité. Par ailleurs, les consommateurs deviennent de plus en plus regardants sur les conditions de production du cacao et sont sensibles aux nombreuses questions liées à la destruction de la biodiversité et au travail infantile. A cet aspect, s’ajoutent les multiples contraintes foncières qui imposent à l’appareil de production ivoirien de repenser les schémas de production. Pour faire face à ces nouvelles dynamiques, la Banque mondiale préconise plusieurs pistes.

 

1)  Booster la productivité et la résilience des plantations

Selon les auteurs du rapport, il faudra miser sur des investissements dans l’augmentation de la productivité des vergers, en lieu et place d’un accroissement des superficies, comme par le passé. Les gains de productivité pourraient notamment découler de la mise à disposition des producteurs d’un package combinant le matériel végétal amélioré et des moyens de lutte contre les nombreuses pathologies comme la maladie virale du cacaoyer (Swollen Shoot).

D’après la Banque mondiale, de nombreux exploitants dépassent déjà la tonne de cacao par hectare avec les technologies actuelles, à l’instar des semences de cacao performantes de la variété « Mercedes ».

D’après la Banque mondiale, de nombreux exploitants dépassent déjà la tonne de cacao par hectare avec les technologies actuelles, à l’instar des semences de cacao performantes de la variété « Mercedes ».

Un autre axe pourrait privilégier l’intensification agricole qui permettrait non seulement de réduire la déforestation et la perte de la biodiversité, mais aussi d’atténuer les effets du changement climatique. Des pratiques agricoles plus intensives signifient un accroissement du travail réalisé par unité de surface et laissent entrevoir des gains importants, en ce qui concerne les rendements. A titre d’exemple, les auteurs du rapport estiment que la Côte d’Ivoire pourrait produire 2 millions de tonnes sur la moitié des surfaces actuellement cultivées, sous réserve de l’adoption à grande échelle de techniques plus intensives.

A titre d’exemple, les auteurs du rapport estiment que la Côte d’Ivoire pourrait produire 2 millions de tonnes sur la moitié des surfaces actuellement cultivées, sous réserve de l’adoption à grande échelle de techniques plus intensives.

En outre, les autorités pourraient explorer d’autres pistes comme l’association d’arbres forestiers aux cacaoyers (agroforesterie) et la culture intelligente du cacao face au climat.

 

2)  Monter en gamme dans la chaîne de valeur mondiale du cacao

La filière cacao ivoirienne peut progresser dans les chaînes de valeur mondiales et accroître sa part relative dans la valeur ajoutée totale, créée grâce à de nouvelles stratégies. Parmi celles-ci figure une orientation vers la seconde transformation, c’est-à-dire la production de chocolat industriel, puis de produits finis chocolatés. Si les efforts déployés par la Côte d’Ivoire pour être le premier broyeur du monde, sont louables, cela doit être perçu comme une étape intermédiaire pour développer une industrie locale de deuxième transformation et de distribution qui concentre 80% des gains de la filière.

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Développer une industrie locale de deuxième transformation.

 

« Aujourd’hui, la capacité de broyage est la plus élevée au monde (750 000 tonnes), devant la Hollande.  Pourtant, cet effort n’a pas rapporté des gains substantiels, car, en supposant que le pays broie environ 20 % des fèves mondiales, sa valeur ajoutée n’augmentera que de 2 % dans la valeur totale de la filière », fait remarquer le rapport.

En supposant que le pays broie environ 20 % des fèves mondiales, sa valeur ajoutée n’augmentera que de 2 % dans la valeur totale de la filière »

Toujours sur le chapitre de l’amélioration de la valeur ajoutée, la filière pourrait prospecter de nouvelles opportunités commerciales, du côté de la certification et de la traçabilité. Cela nécessitera d’améliorer les processus de production en amont et en aval pour permettre aux fèves ivoiriennes de compter sur les marchés de niches de type « commerce équitable » ou « agriculture biologique ». 

 

3) Réduire la pression fiscale pour permettre aux producteurs de jouir des fruits de leur travail

Une meilleure politique de taxation de la filière permettrait aux producteurs d’améliorer leurs gains. En effet, la pression fiscale appliquée à la filière cacao est l’une des plus fortes au monde. La fiscalité atteint jusqu’à 22 % de la valeur coût-assurance-frêt (CAF) des exportations. « Un tel niveau de taxation au niveau de l’exportation, qui se transmet intégralement au niveau bord-champ, se traduit par une taxation d’environ 40% du chiffre d’affaires du planteur, et probablement de plus de 50% sur ses bénéfices », indique la Banque mondiale.

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Les exploitants de cacao demeurent parmi la couche de la population ivoirienne la plus pauvre.

 

Selon l’organisation, les producteurs ivoiriens ne perçoivent actuellement que 60% du cours mondial contre 70% au Ghana voisin, 85% au Cameroun et 90% au Brésil, au Nigeria ou en Indonésie.

Les producteurs ivoiriens ne perçoivent actuellement que 60% du cours mondial contre 70% au Ghana voisin, 85% au Cameroun et 90% au Brésil, au Nigeria ou en Indonésie.

Une amélioration du prix reste vitale pour faire reculer la pauvreté dans les zones cacaoyères, dans la mesure où une hausse de 10% du prix au producteur conduit à la baisse de la pauvreté d’environ 3,6% parmi les producteurs de cacao.

 

4) Mettre en place un système de suivi et de prévision performant

Pour la Banque mondiale, une connaissance effective de l’étendue du verger ivoirien, ainsi que de la population des planteurs de cacao serait un atout majeur pour les autorités. Elle permettrait de faciliter la gestion de la filière, de mieux orienter les actions vers les zones les moins favorisées et de tirer le meilleur parti des régions les plus performantes. Un tel outil pourrait favoriser la réalisation des prévisions à moyen terme de la récolte et anticiper les effets d’éventuelles crises sur la situation de la filière.

Espoir Olodo