« Abobo-la-guerre », ainsi est surnommé le grand quartier populaire d’Abidjan en raison de son rôle pendant la crise de 2010-2011 mais aussi de l’insécurité et de la pauvreté qui y règnent : il est le théâtre d’une des grandes batailles des municipales du 13 octobre.
« On dit qu’à Abobo il n’y a que des cadavres mais nous on est vivant! », crie un animateur pour chauffer la foule.
Six candidats sont en lice mais c’est l’affrontement au sein de la majorité présidentielle qui attire tous les regards. D’un côté le ministre de la Défense, Hamed Bakayoko dit « Hambak », homme du président Alassane Dramane Ouattara (ADO), et de l’autre Koné Tehfour, instituteur, ancien député soutenu par Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale et ex-chef de la rébellion.
« Abobo c’est pour toi »
Souvent présentés comme frères ennemis, Hambak et Soro sont membres du Rassemblement des Républicains (RDR, le parti de Ouattara) et on leur prête des ambitions présidentielles.
Le contrôle de la commune la plus peuplée du pays, historiquement acquise à la rébellion et à ADO, (en opposition à Yopougon, favorable à l’ancien président Laurent Gbagbo), est considéré comme stratégique en vue de la présidentielle de 2020. Le maire, l’ex-ministre Adama Toungara, dont la gestion est critiquée au sein même du régime, a été poussé vers la sortie pour faire place à Hambak, une tête d’affiche dont on estime qu’il est le seul à pouvoir reconquérir les coeurs des populations au profit du camp Ouattara.
Paradoxalement, si Abobo est un fief du pouvoir, le quartier n’a pas bénéficié de la croissance économique des dernières années. La plupart des 2 millions d’habitants, dont beaucoup de ruraux arrivés de l’intérieur ou d’étrangers, vivent dans la pauvreté.
Derrière les grands axes, la ville est composée d’océans de bidonvilles parcourus par des routes en terre, boueuses dès qu’il pleut. Des milliers de personnes vivent sans eau ni électricité.
Les écoles sont surpeuplées. L’insécurité y est légendaire. Abobo, ce sont les « microbes » (délinquants mineurs), braqueurs et brouteurs (arnaques sur internet)… « La nuit, même les bandits ont peur de rentrer chez eux », blague-t-on.
« On a investi beaucoup. Le ressenti n’est jamais suffisant quand les défis sont aussi importants », reconnaît auprès de l’AFP Hambak, qui a mis toute la machine électorale du RDR derrière lui. Avec des moyens gigantesques. Pour ses meetings, les stars de la musique, populaires parmi les jeunes, sont là : DJ Arafat, Ariel Sheney, Kiff no beat…
Les énormes panneaux publicitaires sont partout mais surtout on fait campagne « à l’ivoirienne » comme on dit : en distribuant de l’argent à tout-va, aux associations, aux églises, aux mosquées et même aux particuliers. « J’ai de la chance d’avoir de l’argent. Plutôt que de le garder pour moi, je préfère partager. C’est un sacerdoce », dit-il.
Charismatique, le ministre joue de sa proximité avec le président devant plusieurs milliers de militants sur la place de la mairie d’Abobo : « Quand on est maire d’une ville pour demander quelque chose au gouvernement c’est difficile… Moi, je rentre dans le bureau du président, je suis au conseil des ministres et je leur dis : ‘c’est maintenant pour Abobo!’ On va transformer tout ca! ».
Député de Séguéla (centre-ouest), il assume les accusations de « parachuté ». « Oui, commando parachutiste, forces spéciales des ADO boys en mission à Abobo », crie-t-il, soulignant « sortir lui aussi du ghetto » du quartier voisin d’Adjame.
« Hambak, Abobo c’est pour toi », scandent ses partisans.
Le surlendemain, même slogan mais autre version : « Tehfour, Abobo, c’est pour toi! ». Pieds dans la boue, devant un garage-casse, Tehfour Koné discourt devant une centaine de militants dans le sous-quartier de Kennedy-Clouetcha. À ses côtés, Simon Soro, le frère de Guillaume. La ressemblance est troublante et le speaker souligne : « c’est sa photocopie! ».
Sa campagne est moins flamboyante mais il rappelle ses bienfaits : « J’ai fait opérer 1.020 personnes de hernies, 50 de la cataracte ; fait réhabiliter la bibliothèque du groupe scolaire, doté la maternité d’un groupe électrogène… »
« Abobo m’a vu naître, m’a vu aller à l’école primaire, au collège, revenir. Depuis 20 ans, j’enseigne ici », insiste-t-il.
« Je suis pro-Ouattara, clame-t-il. La majorité des habitants ont contribué au prix de leur sang à l’installation d’ADO. Mais il aurait fallu avoir un élu local. Le développement ne peut être amorcé qu’avec un fils de la localité. Ici, on ne vit pas, on subsiste! ».
Ses grandes idées de campagne : des unités techniques et d’état civil décentralisées dans les quartiers: « Il faut une gouvernance locale, la proximité des populations », assène-t-il.
« Nous sommes fatigués », affirme Maimouna Samaké, enceinte, trois enfants, habitante d’Abobo-Biabou, aide-soignante au chômage. « Un enfant de pauvre ne peut pas devenir quelqu’un. On veut un changement. Il (Tehfour) peut nous donner ce changement parce que c’est un fils d’Abobo ».
Par jeuneafrique