De ce que nous connaissons tous Dieu sans le savoir

J’ai pendant longtemps intuitionné que les humains se représentaient Dieu chacun à leur façon et, qu’en connaissant cette représentation, il nous était aisé tant de les définir que de les comprendre de façon adéquate. J’ai d’ailleurs été conduit à considérer qu’on y parvenait d’autant mieux lorsqu’on les observait plutôt qu’en se fiant à leurs dires sur le sujet. Car enfin, combien de musulmans voit-on tenir que Dieu est la Vérité Éternelle tout en jurant la main sur le coeur qu’Il s’abroge ainsi que de nombreux oulémas le serinent ? La Quatrième Croisade, qui vit tant de massacres se produire, eût-elle été seulement possible si les Latins adoraient non leur Dieu particulier mais le Vrai Dieu ? Imagine-t-on que croient réellement en Lui les quelques juifs qui, bien que condamnant l’usure entre eux, la pratiquent envers les étrangers ? Mais que je prouve tout d’abord le bien-fondé de mon intuition première.

Qu’est-ce qu’un Dieu ? Nous serons tous d’accord ici : par « dieu », il n’est personne qui n’entende l’ensemble des principes que nous considérons. Le langage courant admet tout-à-fait la proposition puisque l’on dit bien d’un tel individu cupide que « son dieu, c’est l’Argent » ou, à propos d’un tel amoureux, qu’« il adule sa dulcinée » (i. e. qu’il est prêt à tout pour elle). Ainsi, le langage vient comme poser qu’il existerait des principes que nous tous devrions considérer ; et il suffit, pour s’en convaincre, de noter le certain mépris qui accompagne l’affirmation : en effet, nous nous démarquons nécessairement des autres et parfois même de ce que le bon sens conseillerait dès lors que nous avons adopté une divinité particulière —c’est ainsi que qui aura comme déifié son amante pourra commettre un crime qualifié de passionnel (comme si cela changeait quoique ce soit).

Descartes écrivait que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses : c’est donc que nous ne divergeons qu’en tant que nous comprenons en l’idée de Dieu des choses différentes. Le corrélat obligatoire est qu’il y a, d’une part, une certaine objectivité en le concept de Dieu, c’est-à-dire les principes à considérer ; et c’est, d’autre part, en nous conformant à cette Objectivité que tous dans le fond reconnaissent que nous pouvons nous accorder avec nos semblables sans qu’ils y subissent préjudice. Par suite, c’est bien lorsqu’ils ne La reconnaissent pas ou (et c’est la même chose) qu’ils considèrent d’autres motifs hormis Dieu que les humains divergent.

Il faut donc que Dieu nous soit à tous connu ou, si je reformule, que certains principes soient par tous considérés. Car en dehors des ressemblances évidentes de nos corps, il est d’autres éléments sur lesquels nous convenons, à savoir la Vérité, le Bien, la Justice et autres similaires, proprement indéfinissables mais parfaitement sus de chaque humain, indépendamment de sa culture, de son époque. Et c’est bien cela, Dieu  : l’In(dé)fini, l’Absolu, l’Universel.

Mais comment se fait-il que Dieu, ou l’Objectif, soit nécessairement au moins connu de tous et que nos esprits soient pourtant colonisés de représentations de ce Dieu, c’est-à-dire de considérations particulières, fausses ? Autrement dit : comment le subjectif a-t-il pu prévaloir sur l’objectif ? Car si la Vérité, le Bien, la Justice et autres similaires sont sus de tous, l’Histoire humaine nous démontre que ce qu’un tel aura tenu pour bon pourra être vu par un autre comme mauvais, et inversement. C’est d’ailleurs ce qui conduisit tant et tant à dire que le Bien et le Mal ne sont que des relatifs, de même que la Vérité, et qu’il fallait voir en toute opinion l’égale d’une autre, quand bien même serait évidente leur fausseté.

Je ne m’égarerai point en constructions philosophiques comme le firent de nombreux philosophes, soit en excogitant divers sièges dans l’âme soit en imaginant l’homme tel qu’il aurait été sans toutefois disposer de preuves convaincantes à ce propos. Rousseau, par exemple, a admis l’existence d’un état de nature et du «bon sauvage». Ainsi, pour avancer prudemment dans l’étude de l’objet que je me suis proposé, il m’a paru plus efficace de simplement rappeler que le Tout n’a pu se produire que parce que, d’une façon ou d’une autre, Dieu l’a voulu ainsi. Mais alors, si Dieu a tout ordonnancé, n’y a-t-il pas problème ? Car, continuera-t-on, Il eût pu Se faire adéquatement connaître de tous et tant de maux auraient été évités.

Nous en venons donc à la question fondamentale de toute théodicée, à savoir comment concilier l’existence d’un Dieu Parfait-Omniscient et celle d’un Dieu Parfait-Bon ? Disait l’émir ‘Abd al-Qâdir al-Jazâïrî : une telle question ne saurait être élucidée par écrit. Sa réponse se transmet uniquement de bouche à oreille et de cœur à cœur.

En effet —et peu importe la formulation de la question—, nous trouverons toujours qu’elle contient l’affirmation selon laquelle Dieu est Parfait, Bon et Juste et, simultanément, l’affirmation selon laquelle Dieu est imparfait, mauvais et injuste.

Les polythéistes diront sans se gêner : «Si Dieu l’avait voulu, ni nous ni nos ancêtres ne Lui aurions associé aucune divinité, et nous n’aurions rien déclaré interdit.» C’est là l’excuse qu’invoquaient les négateurs qui les ont précédés et qui leur a valu d’encourir Notre colère. Demande-leur : «Avez-vous un argument solide à produire? En vérité, vous ne suivez que des conjectures et ne faites que mentir.» (Cor. 6:148-149)

C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi ceux qui posent cette question leur vaut « d’encourir Notre colère » : ils insultent Dieu en admettant comme possible le fait qu’Il puisse être injuste alors qu’on sait que cela ne correspond pas à Dieu. Mais ils ne L’insultent pas volontairement. C’est du fait de la faiblesse de la pensée humaine, qui se caractérise par son amour de la binarité, que nous en venons à nier un des Attributs divins selon le sens par lequel nous prendrons le problème. Car en réalité, ce problème de la liberté humaine provient de ce que nous voulons faire entrer Dieu dans des catégories qu’Il transcende par nature : voilà pourquoi nous ne trouverons jamais de réponse convaincante. Lorsque la contradiction se trouve au cœur même de la question posée, écrivait Bergson, est-il étonnant que la contradiction se retrouve dans les solutions qu’on en donne ? Il faut donc reconnaître la limitation de la pensée humaine et l’impossibilité d’aboutir à une réponse par le moyen de la raison. C’est d’ailleurs la conclusion finale du verset précité : Dis : «C’est à Dieu seul qu’appartient l’argument décisif. Et s’Il l’avait voulu, Il vous aurait tous dirigés dans la bonne voie.»

De cela, nous tiendrons que nous sommes déterminés, car c’est la seule chose que nous pouvons en comprendre en tant que la notion de Bien peut parfois être altérée par le subjectivisme (c’est ainsi que beaucoup prient le Seigneur en espérant être exaucés car ils voient, en leur demande, le bien, sans toutefois qu’Il y réponde puisque leur demande n’est pas le Bien, c’est-à-dire Lui-Même) alors que la chose est bien plus difficile avec le déterminisme qui n’admet qu’une seule façon de diverger, à savoir la considération portée à une cause ou à une autre (qui elle-même, d’ailleurs, dépend d’une autre cause…).

Que je me penche sur quelques remarques que l’on pourrait émettre quant à ce que je viens de développer.

Certains admettraient ce que je viens d’écrire ; toutefois, ils rétorqueront : « pourquoi donc Dieu a maintenu ce possible, sachant qu’il eût pu changer les causes de sorte que tous se comportassent convenablement ? » Je me contenterai ici de citer l’illustre Spinoza : « la matière n’a pas manqué ». Car ceux qui émettent cette remarque semblent tenir que Dieu eût mieux fait de l’employer à produire des êtres bons au lieu d’en faire à la fois des bons et des mauvais, comme si, au vu de la quantité de matière que l’on s’imagine limitée, c’était là l’usage le plus optimal. Et on ne voit pas, dans cette question, que l’on soumet Dieu à l’impératif économique tant nos esprits sont empreints du Capital en plus de n’avoir saisi la notion de Destin qu’il me paraît avoir correctement traitée.

Parmi les critiques, il en est qui tiendraient que, si nous sommes déterminés, il n’y a donc rien à faire ; ce qui, à mon sens, est une grande absurdité, car ceux-là mêmes qui tiennent ce discours oseraient-ils affirmer que sans cause, l’effet s’ensuivra malgré tout ? Car enfin, c’est bien cela le déterminisme : tout est selon une cause.

Une autre objection, moins inconséquente toutefois, consistera en l’existence de l’épreuve. Si Dieu nous éprouve, disent-ils, c’est bien pour que notre libre-arbitre fasse le bon choix, à savoir que nous en revenions à Lui. Mais ne voit-on pas qu’il y a en cette affirmation une cause (épreuve) qui aboutit ensuite à un effet (bon choix) ? Le déterminisme demeure toujours intact.

Prenons l’exemple des juifs. Une part parmi eux est sioniste, en ce sens qu’elle fédère des individus qui agiront pour que le sionisme passe de fiction à réalité ; il en est d’autres qui ne l’admettent guère parce qu’ils croient que seul le Messie, par la Sainte Volonté de HaShem, fera renaître le royaume de David et de Salomon, et que le sionisme, finalement, ne consiste qu’en une volonté de se prendre pour Dieu. En effet, ayant été expulsés de Jérusalem, les juifs se seraient vu promettre d’y revenir lors de la Rédemption. C’est donc que pour beaucoup une promesse de Dieu semble impliquer passivité. C’est comme si les musulmans, parce qu’ayant reçu de Dieu la promesse que le Bien triompherait, se mettent à se prélasser et à demeurer indolents car, «après tout, ça viendra, mais sûrement pas de notre fait puisque Dieu l’a promis ! Car si nous tendons à promouvoir le Bien, c’est donc que nous nous prenons pour Lui !» Ainsi s’opère par une volonté de plaire à Dieu une représentation (c’est-à-dire une conception, par suite une fausseté) de Dieu. Car en tenant que le sionisme serait se prendre pour Dieu, ils disent bien que Dieu Seul est Acteur. La chose est vraie : mais la conscience juive a aussi comme fondement que Dieu serait comme hors ce monde puisqu’Il l’a créé.

Ce qui prouve bien qu’elle est contradictoire car il est impossible de simultanément tenir que Dieu soit strictement hors de ce monde impur et qu’Il en soit aussi le seul Acteur. En réalité, de nombreux juifs ne se positionnent d’une part ou de l’autre de la contradiction que lorsqu’elle va en le sens qui leur convient : c’est ainsi que ceux ayant suivi le Christ doivent être qualifiés de polythéistes car Dieu ne saurait être en cet individu qui abolit l’enfermement tribal juif pour l’Universel, alors que leur Messie (donc l’Antéchrist des chrétiens et musulmans), en tant qu’il les maintient dans la séparation d’avec les autres humains, et alors qu’il est un Acteur, se voit bien évidemment admis, toléré et même être l’objet de ferventes prières pour son apparition prochaine.

Bref : du déterminisme, j’en dis qu’il nous faut tout simplement provoquer les causes aux effets espérés. Bien entendu, nous n’avons la capacité de faire tout ce que nous voudrions, puisqu’en plus des causes dont nous sommes l’origine, il en est tant d’autres sur lesquelles nous n’avons la moindre efficace et qui concourent, favorablement ou non, à nos desseins. Par suite, c’est bien, et très généralement, à une seule obligation de moyens que nous sommes tenus. Je dirais même que c’est en cela que réside l’épreuve, à savoir pâtir d’effets dont nous ne sommes cause adéquate, c’est-à-dire dont nous ne pouvons être cause exclusive. Il serait relaté que les Prophètes en subiraient le plus : et en cela, je vois seulement que, dans une Volonté de les rapprocher davantage encore de Lui, Dieu les soumet à des évènements toujours plus intenses afin qu’ils embrassent davantage l’Essence divine ; et c’est précisément par cette compréhension qualitativement supérieure de l’Essence divine que, dans un certain sens, ils deviennent cause adéquate des épreuves précédentes que désormais (donc a posteriori) ils embrassent. C’est ainsi que de passion, ils passent à l’action, que nous tiendrons comme étant la chose dont nous sommes cause adéquate.

Car le réel objectif du musulman est que sa volonté et celle du Seigneur soient uniques, de sorte qu’il ne se réjouisse ni ne se plaigne. Qu’il me soit permis de citer l’Illustre : «L’ignorant, en effet, outre que les causes extérieures l’agitent de bien des manières et que jamais il ne possède la vraie satisfaction de l’âme, vit en outre presque inconscient de soi, de Dieu et des choses, et dès qu’il cesse de pâtir, aussitôt il cesse aussi d’être. Alors que le sage, au contraire, considéré en tant que tel, a l’âme difficilement émue ; mais étant, par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être, mais c’est toujours qu’il possède la vraie satisfaction de l’âme. » Ne voit-on pas là l’exacte reformulation de la Parole : Faisons-Nous goûter à l’homme un bienfait de Notre part et l’en privons-Nous ensuite, il est alors livré au désespoir et plein d’ingratitude ! Lui faisons-Nous goûter un bienfait de Notre part, après qu’un malheur l’a frappé, alors aussitôt il s’écrie : « C’en est fini enfin de mes malheurs ! », plein de joie et de gloriole. Seuls ceux qui patientent et pratiquent de bonnes œuvres obtiendront pardon et belle récompense (Cor. 11:9-11) ?

Ne craignons pas de nous montrer contemporains. Un jour, alors que j’exposais assez maladroitement à l’oral ce que j’écris ici, je m’entendis dire : « si ce que tu dis était vrai, j’abjure immédiatement l’Islam car cela signifie que Dieu a fait Brazzers et tous les scénarios pornographiques ! » (un musulman plus âgé que moi a effectivement tenu ce discours). En cela, ce musulman tenait qu’il y avait, hormis Dieu, un autre Déterminateur : et ceci découle immédiatement et strictement du fait qu’il conçoit de Dieu ce qu’Il n’est pourtant pas puisque Dieu est bien par Qui tout s’explique ; et il n’est d’ailleurs pas à douter que prise indépendamment, il s’accorderait avec cette dernière affirmation ; mais ainsi que je l’exposai, il faut accorder plus de prix à laisser agir les humains qu’à directement leur demander quoi que ce soit pour se faire une idée de ce qu’ils pensent, c’est-à-dire ce qu’ils sont. Talleyrand ne disait-il pas que la parole a été donnée à l’homme pour dissimuler la pensée ?

Afin d’être mieux entendu, que je synthétise tout ce que je viens d’exposer.

Par «dieu», tous entendent «ce qu’on considère». Ainsi, il est un Dieu, ou plutôt un dieu objectif, Qui est ce que tous considèrent. En cela, nous y voyons les quelques valeurs et idées universelles partagées par tout humain. Il est toutefois une infinité de dieux subjectifs, c’est-à-dire ce que chaque humain en vient à considérer. Ces dieux subjectifs sont des représentations de Dieu en tant qu’elles conservent de Lui la qualité «ce qu’il y a à considérer» tout en en expurgeant l’Objectif, le Contenu. La différence entre Dieu et les représentations qu’on En fait est similaire à celle entre le modèle et son portrait peint : le différentiel qualitatif est radical et indubitable ; et on approximerait assez bien la situation de beaucoup à cet égard en disant qu’ils préféreraient embrasser non leur conjoint mais sa photographie. On pourrait encore illustrer cette différence en tant que les uns veulent savoir (Dieu) et les autres, seulement voir(représentation).

Il suffit de savoir ce qu’un tel considère, c’est-à-dire son dieu, pour adéquatement conclure à son propos. La plupart de l’Humanité vit dans la représentation du fait de nombreuses causes qui toutes procèdent de la volonté de Dieu en tant qu’Elle régente le Tout.

Poursuivons avec la seconde partie de notre examen en nous demandant si il est seulement possible d’accéder à Dieu.

Certains se demanderont la raison de cet écrit car si Dieu a déjà décidé que de nombreux humains n’auront, la plupart du temps, de Lui que des représentations, on ne voit ce que ce texte rédigé par un quidam y changera. Mais j’ai déjà répondu : le déterminisme n’est autre que reconnaître l’enchaînement obligé entre la cause et son effet. C’est ainsi que je suis, en tant que musulman et en règle générale, astreint à une obligation de moyens et non de résultat. Suis-je à blâmer si, en apportant un conseil adéquat à un pécheur, ce dernier refuse de s’y conformer ? Ici, ma seule obligation consiste à faire de ce conseil un bonne chose en plus, autant que possible, de le formuler respectueusement afin de ménager la susceptibilité du conseillé.

Je le répète donc : tout procède de la Volonté de Dieu et Elle est la cause de ce que tant d’humains ne L’adorent qu’à travers des représentations (Cor. 12:106). Il importe de préciser que je n’ai pas (ni ne puis) à répondre de ce que Dieu a voulu et fait. Toutefois, je puis dire que l’une des nécessaires causes à la représentation est la séparation entre objet et sujet. Si nous avons tant de représentations de Dieu, c’est notamment parce qu’Il nous paraît éloigné. La conscience juive, dont j’ai exposé un trait fondamental, a réalisé de profonds dégâts en la conscience de nombreux humains (d’ailleurs, n’est-il pas commun d’entendre de la bouche de musulmans même que Moïse était un juif ?) : c’est ainsi que la grande part des membres des religions abrahamiques professent un Dieu dans le Ciel en nous Le faisant paraître comme strictement extérieur au Monde. En cela, ils disent s’appuyer sur leurs Livres qui tiendraient que Dieu a créé le Monde. Or en l’ayant créé, il faut bien que cette chose créée n’ait tout d’abord existé ; qu’elle ne participe nullement de son Créateur. Cela vient de la même façon que le menuisier créé la table : nul ne tiendra que l’essence de la table et l’essence de l’ouvrier se confondent.

Mais on pourrait se demander si cette vision ne serait pas un excès d’orgueil bien qu’elle nous parût découler d’une véritable piété. Car considérer que Dieu serait extérieur au Monde parce qu’Il l’a créé n’est autre qu’un certain anthropomorphisme. De plus, tenir qu’il existerait en dehors de Dieu quelque chose, quand bien même cette chose aurait été créée par Lui, c’est affirmer que Dieu n’est pas le seul Étant. Davantage : cela vient permettre la division des choses de ce monde en sacré et en profane, de sorte que certaines choses serviront au culte et devront par conséquent être tenues en haut respect quand d’autres, ne l’étant pas, seraient disposées à notre guise. Or le profane a une tendance naturelle à s’étendre puisque la césure entre sacré et profane est arbitraire, c’est-à-dire injustifiée et nulle.

Cela se prouve aisément en s’intéressant aux travaux du crétinisme universitaire que l’on nomme sociologie, économie et assimilés : ils voient la société en sectionnements arbitraires, de sorte qu’il existe pour eux une multiplicité de classes (ceux gagnant 1000 à 2000 ; 2000 à 3000 ; et ainsi de suite) sans voir que parce qu’arbitraire, le procédé est vain, car les comportements divergent, qu’il est possible que la classe 2000-3000 compte un rentier et un salarié qui n’auront pas les mêmes intérêts, qu’il est loisible de créer une classe 1500-2500, 1530-2530, 1600-2600, et ainsi de suite à l’infini. J’ai par ailleurs eu vent de certains qui, en croyant s’appuyer sur le Coran (28:15), prétendent que la maturité se ferait à l’âge de quarante années, comme si à trente-neuf ans, onze mois et vingt-huit jours, nous étions débiles et que le jour prochain verrait naître en nous la graine du génie.

Bref, il est des divisions proprement aliénatoires ; et diviser les choses de ce monde en sacré et profane, c’est donc faire que le profane croisse ainsi que nous le constatons nous-mêmes chaque jour : il faut même dire que cette division induit l’athéisme puisqu’à terme, il ne sera plus de sacré, c’est-à-dire les fondements mêmes de la Religion ainsi qu’on nous la présente habituellement. Est-ce un hasard si l’avortement, le divorce, et tant d’autres, sont désormais profanes, autorisés, banaux ? D’après Guillemin, Gerson (un contemporain de Jeanne d’Arc) relate : « les cloîtres de nonnes sont aujourd’hui des loges de prostituées ; les monastères ressemblent à des boutiques et les cathédrales sont devenues des cavernes de voleurs. » Aujourd’hui, soit six siècles après cette profanation, ces mêmes édifices sont pour large part désaffectés et la pratique du culte catholique en France est clairement en voie d’extinction.

Mais qui donc en vient à interroger profondément cette croyance qui veut que Dieu soit strictement extérieur au Monde ? Le manque de logique, c’est-à-dire la perte de la possibilité de reconnaître instantanément ce qui est important et ce qui est mineur ou hors de la question ; ce qui est incompatible ou inversement pourrait bien être complémentaire ; tout ce qu’implique telle conséquence et ce que, du même coup, elle interdit ; cette maladie a été volontairement injectée à haute dose dans la population par les anesthésistes-réanimateurs du spectacle, nous dit Debord. Car j’ai connu bien plus de musulmans tenant que Dieu est strictement hors de ce monde qu’autre chose ; et si je leur tenais cet exposé, je ne doute qu’ils se raviseraient. Ainsi, je dis qu’une religion vraie se reconnaît au moins à deux aspects : elle est intrinsèque à l’Humain, c’est-à-dire qu’elle lui convient parfaitement, lui est adéquate, n’exige nul apprentissage ni effort sinon celui consistant à se défaire du Faux qui nous empêche de la voir ; elle ne connaît que du sacral, et c’est pour cela que l’Islam tient tant et tant d’actes de la vie quotidienne comme des adorations bien qu’il puisse nous paraître ne pas être le cas. Je préciserai néanmoins que Dieu ne Se limite pas à être Immanent : Il l’est tout en étant Transcendant et bien plus ce qu’un cerveau humain pourra jamais concevoir.

La seconde partie de mon examen étant de savoir si il est possible de croire en Dieu malgré ces représentations tenaces, et ayant démontré que la croyance en un Dieu strictement Transcendant était une erreur fondamentale qui entretenait ces représentations, il est temps que je quitte la théorie pour le champ pratique.

Je ne crois pas ennuyer le lecteur en exposant ce en quoi il se retrouvera aisément : en effet, j’ai connu des épisodes en ma courte vie que je qualifie volontiers de déplaisants et regrettables ; toutefois, j’ai beau vouloir m’en extirper en me disant que je ne pouvais ne pas les vivre, il n’en demeure pas moins que mon esprit s’y retourne encore et toujours. Je pris conseil auprès de quelques uns qui tous me dirent que je souffrais de ce que la passion et le désir me dominaient. C’était donc que j’excogitais de Dieu une tenace et féroce représentation ou, reformulé, que la divinité à laquelle j’étais présentement en adoration était tel ou tel fétiche et non Dieu. Je compris enfin que cette représentation était le produit d’une conscience en souffrance en tant qu’elle n’embrassait le Tout.

Puis vint le jour où ton Seigneur dit aux anges : « Je vais installer un représentant [calife] sur la Terre. » Et les anges de repartir : « Vas-Tu établir quelqu’un qui y fera régner le mal et y répandra le sang, alors que nous chantons Ta gloire et célébrons Tes louanges ? » Le Seigneur leur répondit : « Ce que Je sais dépasse votre entendement. » Et Il apprit à Adam tous les noms ; puis les présenta aux anges en leur disant : « Faites- Moi connaître les noms de tous ces êtres, pour prouver que vous êtes plus méritants qu’Adam ! » Et les anges de dire : « Gloire à Toi ! Nous ne savons rien d’autre que ce que Tu nous as enseigné ; Tu es, en vérité, l’Omniscient, le Sage. » Dieu dit alors : « Ô Adam ! Fais-leur connaître les noms de ces choses ! » Et lorsque Adam en eut instruit les anges, Dieu ajouta : « Ne vous avais-Je pas avertis que Je connais le secret des Cieux et de la Terre, ainsi que les pensées que vous divulguez et celles que vous gardez dans votre for intérieur ? » (Cor. 2:30-33)

En effet, les Anges ont tenu ce discours parce qu’ils pressentaient en notre nature humaine une absence de Savoir et partant, une propension au Faux, au Mal —il faut dire qu’en cela, ils n’avaient pas tort, puisque Dieu a effectivement dû nous apprendre ces quelques Noms. Cet épisode nous indique que l’apparent puisse, de la Volonté de Dieu, diverger de la Réalité. C’est donc là le mal dont tous pâtissent, à savoir n’embrasser du Tout que trop peu.

Il est rare que dans mes écrits, je fonde ma pensée sur les seuls versets coraniques car il m’importe de me faire entendre et surtout de convaincre du bien-fondé de mes positions même celui qui voit en l’Islam une fausse religion. De plus, il faut que le musulman ne soit pris pour un gogo crédule, puisque de ce même verset que je cite, il y aurait vraisemblablement des interprétations. Ainsi, et afin de me conformer à cette double exigence, supposons que nous voyions un individu agir et que nous voulions comprendre ce qui le meut : «leur seule ressource est de se rabattre sur eux-mêmes et de réfléchir aux fins par lesquelles ils ont coutume d’être déterminés à des actions semblables, et ainsi jugent-ils nécessairement de la complexion d’autrui par la leur» (Spinoza). Il en est essentiellement de même ici : puisque Dieu m’est inconnu et parce que cela créé chez moi un vide —la nature a horreur du vide, dit-on—, il me vient naturellement que je doive excogiter de quoi combler ce vide ; toutefois, et ainsi que chacun de nos cours de vie médiocres le sussure quotidiennement, il n’est de remplacement adéquat à Dieu. Car si j’embrassais de mon savoir Dieu, il n’y aurait lieu d’excogiter quoique ce soit en remplacement.

Il faut préciser ce qui vient d’être exposé. J’appelle le lecteur à distinguer Savoir et Connaissance : par lui, j’entendrai une globalité, une totale appréhension des choses (au moins dans leurs principes —c’est d’ailleurs ce qui importe en réalité—) ; par elle, j’y verrai le synonyme de discipline, ou d’expertise. Par suite, nous avons tous des connaissances ; il se peut même que nous naissions avec certaines bien que la plupart proviennent de l’expérience. C’est pourquoi le dogme de la tabula rasa demeure vrai (Cor. 16:78) car est similaire à une tablette vide l’individu qui n’aura lié les connaissances pour en tirer la substance logique, charnelle, dialectique qui explique le Tout (et je n’ignore pas que cette affirmation appelle une redéfinition de l’Intelligence que nous entendrons comme étant l’échelle qualitative d’appréhension de Dieu). Si je reformule : il faut voir que nous ne savons pas et qu’au mieux, nous ne faisons que connaître qu’un nombre limité de choses. Notre grand’peine ici-bas, c’est que nous ne les lions pas entre elles pour faire émerger le Tout, le Vrai, la Rationalité organique, bref, Dieu. C’est ici que se manifeste très clairement cet aphorisme : « le Tout est supérieur à la somme de ses parties. » Ainsi, un grand nombre d’humains meurent comme ils naissent, c’est-à-dire n’ayant jamais saisi ce Tout quand bien même certains parviendraient à accumuler un grand nombre de connaissances. Mais malgré tout, nous percevons toujours ce manque, ce vide, cette part d’inexpliqué et c’est elle qui est douloureuse, c’est elle qui nous conduit à la représentation et c’est elle que prétendent traiter par de faux discours les psychologues, les prétendus oulémas, etc. Et en cela, l’on se tromperait lourdement si l’on s’imaginait que la chose ne concerne que des non-musulmans.

En effet, et relativement à notre sujet, nous poserons que l’Humanité se divise en quatre catégories : ceux étant avec Dieu intérieurement et extérieurement ; ceux l’étant seulement intérieurement ; ceux l’étant seulement extérieurement ; ceux ne l’étant ni intérieurement ni extérieurement. Ces deux premières sont élues et seuls les humains embrassant leur Seigneur s’y trouvent. Quant aux deux autres, elles sont très similaires puisque leur intérieur est vide. Notons toutefois que la catégorie des musulmans étant avec Dieu seulement extérieurement est peut-être plus néfaste que la dernière ; en effet, précise al-Dabbâgh : « ce sont des gens dont l’adoration ne fait qu’augmenter leur éloignement de Dieu. » Et ils sont aussi, en grande partie (selon al-Ghazâlî), la cause de l’impiété en tant qu’ils sont considérés comme pratiquants et donc des guides alors que, par leur éloignement de Dieu, c’est-à-dire du fait de la représentation qu’ils En ont, ils montrent trop souvent le mauvais exemple. C’est très à propos que Henri Guillemin notait qu’il était «(…) un athéisme salubre qui nie ce que Dieu n’est pas. Et Dieu n’est certainement pas ce despote qu’on nous a représenté : un despote barbu ; ce despote qui voudrait du sang pour s’apaiser ; ce despote qui est affamé d’hommages ; ce despote qui serait entouré d’une cour qui passe son temps à chanter des hymnes ; ce despote qui est si peu miséricordieux qu’il exige qu’il y ait une quantité de saints autour de Lui à gémir pour obtenir de Lui quelque miséricorde à l’égard des pécheurs… tout ça, c’est de l’imagination primitive, ENFANTINE ! Il serait temps que nous ayons, si nous voulons en avoir une, une religion d’adultes. Il y a tellement de choses qu’il nous faut réformer, ne serait-ce que dans le vocabulaire de l’Église. Quand l’on parle d’un Christ, d’un Seigneur qui serait au plus haut des CieuxVous vous rappelez que le Russe Gagarine, le premier cosmonaute, en redescendant, a dit : « Je suis monté mais je ne L’ai pas vu. » Réponse : « C’est que tu n’es pas monté assez haut. » Comprenez que c’est imbécile des choses comme ça ! Et ce mot gloirequ’on nous fait répéter à l’église tout le temps : mais c’est un mot du vocabulaire monarchique —comme si Dieu était un super Louis XIV ou un super Napoléon ! Alors il faut qu’il soit entouré d’une gloire ! Il y a tout ce vocabulaire qui serait à changer. (…)»

Et c’est ce dont pâtissent beaucoup de non-musulmans, colonisés qu’ils sont des représentations qu’en font ceux qui étaient supposés les prévenir. Ainsi, la différence réelle entre le non-musulman et le musulman d’apparence est que celui-ci a seulement reconnu par l’Attestation de foi qu’il y avait un Dieu unique. Malgré les préjugés, il n’y a d’autre critère car nous connaissons tous de nombreux non-musulmans agissant bien mieux que ces musulmans dont nous parlons, preuve que la bienfaisance n’est pas consubstantielle au simple fait de prononcer de l’Attestation de foi. Quant à la raison qui les fait agir mieux que Ses prétendus serviteurs, c’est parce qu’ils sont plus proches de Dieu qu’eux en tant que la représentation qu’ils En ont est plus proche de la Vérité (ce qui toutefois ne change pas sa fausseté). On illustrerait assez bien mon propos en se référant à la parabole qu’emploie Schopenhauer afin de distinguer le talent du génie : « le talent, c’est le tireur qui atteint un but que les autres ne peuvent toucher ; le génie, c’est celui qui atteint un but que les autres ne peuvent même pas voir. » Ainsi, il y aurait un individu qui serait tout simplement incapable non seulement de voir mais encore de tirer le moindre trait car n’ayant été initié à l’art du tir à l’arc : il s’agit ici de celui rejetant Dieu ; le non-musulman vertueux et le musulman pervers parviendraient à tirer sans réussir : la différence est que celui-ci est un fanfaron qui a juré pourtant y parvenir quand celui-là s’est tu ; le musulman vivant Dieu intérieurement est ce talent qui atteint la cible inatteignable pour les autres ; quant au musulman véritable, qui vit et manifeste la Divinité, la chose est bien autre : il est le génie qui atteint la cible invisible pour quiconque en tant qu’il se voit tireur, flèche et cible, sans toutefois s’y limiter.

L’on me rétorquera sûrement : « le Paradis n’est-il pas promis aux musulmans ? » À quoi je réponds : « je garantis seulement qu’il soit promis à ceux qui auront été admis par Dieu. » Et il me paraît acquis que ceux L’ayant au moins intérieurement en soient ; quant aux autres, et malgré le matraquage que l’on nous a fait subir en tenant que le dit musulman serait toujours supérieur au non-musulman alors que l’expérience démontre bien trop souvent l’inverse, je ne me prononcerai pas, contrairement à tant de téméraires.

Ainsi, il est donc question de briser définitivement ces représentations afin que la pureté de Dieu apparaisse enfin.

Il importe de se demander si il s’agit de faire un travail ou non. Je ferai noter que la solution souvent donnée par des insensés consiste à fréquenter assidûment les bibliothèques, à s’intéresser aux sciences, à apprendre le Coran et des milliers de hadiths : ce faisant, —et sans même s’en apercevoir (ce qui est le plus grave)— ils maintiennent l’Illusion générale en fermant la Voie de Dieu à la grande part des humains qui n’ont accès à ces moyens.

J’en dirai qu’il nous suffit ici d’identifier avec précision la représentation en laquelle nous sommes empêtrés : par nécessité, par définition même, il en sortira au moins une fausseté, une inconséquence, une noirceur qui, si nous sommes de bonne foi, nous poussera à l’abandonner. Il en est ici de même avec tous les artifices humains (un État, un bâtiment, une idéologie, etc.) : prenons-nous-en à leurs fondements qu’ils s’évanouiront. Ce n’est d’ailleurs pas en vain que les États disposent de forces de l’Ordre, d’armées et d’instances de justice ; ce n’est pas en vain non plus que les bâtiments soient l’objet de soins constants d’ingénieurs et de techniciens ni que les idéologies ne se maintiennent que par un lavage de cerveau permanent ; le constat est le même relativement à toute culture qui ne peut admettre des « étrangers » qu’à une certaine limite sans quoi elle se dissout. C’est parce que ces choses n’ont pas leur substance en elles-mêmes qu’elles requièrent, pour persister, un dispositif de sauvegarde. Ce n’est pas non plus un hasard si les humains pris en leur idéologie tribale ne se marient qu’entre eux —ici, les juifs en sont la meilleure illustration car ils disent, par leur interdiction écrite, que la tendance, la nature serait bien qu’ils s’ouvrissent à l’Humanité entière.

Et pour cette tâche, il n’est point nécessaire de recourir à un accompagnateur, un gourou, une confrérie, une méthode, des livres de développement personnel, des faux oulémas, des exercices de mortification, des drogues… Que l’on soit lettré ou non, arabisant ou non, femme ou homme, jeune ou âgé, riche ou pauvre, la capacité de l’accomplir nous a à tous été octroyée par le Seigneur Qui est accessible par tous si tant est que nous en fassions l’effort. Il suffit d’être de bonne foi, rien de plus ! En réalité, c’est déjà ici que se distingue le vrai du faux ouléma en tant que ce dernier aura la tendance obligatoire de maintenir l’autre en une sujétion quelconque quand le véritable ouléma a l’objectif sincère de le conduire autant que possible et le plus loin possible sur le chemin lui permettant d’embrasser Dieu, soi et les choses (il s’agit ici de pléonasmes).

 

Dans ces lignes, je n’ai prétendu à rien d’autre qu’à rappeler, qu’à reformuler, qu’à transcrire ce que chacun eût pu comprendre de lui-même. Ainsi, je me mets hors cet abominable chemin d’aliénation consistant à créer parmi les humains une différence entre « penseurs » (& assimilés) et les autres. Debord le notait fort bien : « Tous les experts sont médiatiques-étatiques et ne sont reconnus experts que par là. Tout expert sert son maître, car chacune des anciennes possibilités d’indépendance a été à peu près réduite à rien par les conditions d’organisation de la société présente. L’expert qui sert le mieux, c’est, bien sûr, l’expert qui ment. Ceux qui ont besoin de l’expert, ce sont, pour des motifs différents, lefalsificateur et l’ignorant. Là où l’individu n’y reconnaît plus rien par lui-même, il sera formellement rassuré par l’expert. »

Je ne doute point que l’on me demandera la raison qui fait persister cet état si la chose était si simple. À cela, je cite : maxima superbia vel abjectio est maxima sui ignorantia [le suprême orgueil, de même que la suprême abjection, est l’extrême ignorance de soi. —Spinoza]. Les dits « penseurs » étant du « bon côté du manche » tendront volontiers vers superbia (à savoir faire de soi plus de cas qu’il n’est juste) quand nous autres, c’est-à-dire les ignorants en tant que non-titulaires d’une ijâza, aurons tendance à faire de nous moins de cas qu’il n’est juste, ce qu’on exprime en latin par abjectio. Ceci se démontre aisément : lesdits savants conservent jalousement leur statut de référent en ayant érigé comme barrière la possession d’un diplôme qui nécessite plusieurs années d’investissement personnel, de sorte que seule une infime fraction des musulmans en soit capable ; le pendant dialectique n’est autre que ce qu’on entend de la bouche de nombreux musulmans : « il nous faut suivre les savants car nous ne savons rien », et ceci, quand bien même il est impossible de les suivre en tant qu’ils se contredisent presque tous, quasiment sur tous les sujets et même les plus graves. Et l’abjection chez eux est telle que l’idée même de voir les problèmes posés par cette organisation sociale est impossible. Ainsi ne faut-il s’étonner lorsque le musulman dans l’abjectio confronté à la multiplicité d’avis contradictoires y voie la Miséricorde divine et non un giga bordel à foutre à la poubelle, précisément parce que pressentant l’immense remise en question qu’il s’obstine à ne point effectuer. Mais comme je l’ai dit, les représentations de Dieu expriment adéquatement notre être réel, de sorte que l’on peut se poser de sincères questions quant à l’état mental de gens qui, face à des contradictions évidentes, n’y voient que Vérité.

Il résulte de ce qui précède que superbia et abjectio ont en réalité une racine identique, à savoir que l’on s’ignore profondément et que cette maladie est entretenue de façon nécessaire par cette division des tâches.

On peut le prouver autrement. En effet, que, de ma personne, je conçoive une sur-estimation ou une sous-estimation, il n’empêche qu’en ces deux cas je suis dans l’opinion et non dans la Vérité ; or Dieu est la Vérité, d’où il vient qu’il importe peu que l’on soit dans l’orgueil ou l’abjection : dans le fond, je m’ignore, et, par suite, j’ignore Dieu, c’est-à-dire la Vérité. Ici l’on me rappellera que plus haut ai-je tenu qu’embrasser Dieu, moi-même et les choses était une tournure pléonastique ; par là, certains penseraient qu’en ne pouvant discuter de la structure de la matière, des mouvements des astres, de la nature du temps et d’autres du même genre, il serait donc prouvé que je m’ignorasse. Or je dis tout simplement que ne plus s’ignorer est un préalable et qu’il y a des degrés, faisant que l’on parle toujours de la même chose sous des rapports différents, et que la Vérité sur notre être est le plus bas degré dans le cheminement vers Dieu, précisément car ne plus être étranger à soi-même est ce que tous doivent faire et ce que tous peuvent faire.

 

« Peut-être, mais vous avez bien dit que le Tout procédait strictement de Dieu ! »

En effet. Mais cette vérité n’a jamais prévenu quiconque de manger pour ne point dépérir, de se vêtir et de se loger pour ne point subir le climat, de copuler pour enfanter, et ainsi de suite. Ce que j’ai écrit ici vient dans le même esprit et sera une cause pour qui le veut, tout en rappelant que ce que nous voulons n’est autre que ce que nous considérons et que ce que nous considérons nous qualifie précisément en tant qu’exprimant exactement notre ego. Notre œuvre, notre seule œuvre, notre unique œuvre est de DÉTRUIRE CET EGO (ou, et c’est exactement la même chose, BRISER LES IDOLES QUI GISENT EN NOUS) afin que s’ouvre la porte de l’Impersonnel, de l’Universel, du Tout, bref : de Dieu, contre toutes les divinités subjectives, étriquées, particulières, narcissiques et égotistes d’où naissent le Faux, le Mal et la Discorde. C’est là, je le crois, ce que Muhammad (ص) a voulu nous inculquer quand il entra en la Kaaba qui représenterait l’individualité (ego/נפש/نفس) de chacun de nous et que les figures taillées s’y trouvant symboliseraient alors nos penchants, nos obsessions, nos travers que pourtant nous adulons ; alors Muhammad, ou l’Islam en acte, vient et purifie le tout : par suite, et tant que l’Islam que nous prétendons pratiquer n’aura eu les mêmes effets de purification de sorte que notre ego (נפש/نفس) soit redéfini, qui donc pourra se dire véritablement musulman, c’est-à-dire tourné vers le Dieu Unique ?

Synthèse et Conclusion.

Trop croient en un Dieu qu’ils tiennent comme strictement Transcendant, c’est-à-dire hors de ce Monde, avec le corollaire immédiat qui vient régenter la Matière en sacré et profane ; leur tort évident est de restreindre Dieu à cela en Lui attribuant une définition ; leur tort logique, que peu ont vu, consiste en ce qu’ils promeuvent contre leur gré l’athéisme puisque la division étant stérile et arbitraire, il faut bien que l’un des deux l’emporte sur l’autre et c’est bien évidemment le profane ainsi que le démontre le cours de l’Histoire ; et si les bases sacrées des Religions ne sont plus, elles n’ont plus qu’à disparaître (et ce n’est pas en vain que leur pratique s’affaisse, ou qu’elle prenne des formes caricaturales qui précèdent sa disparition). C’est pourquoi il convient de tenir que le Tout est Dieu sans toutefois dire que Dieu S’y limite.

En réalité, toute représentation naît d’une incompréhension. C’est ainsi que l’antidote n’est autre que le Savoir, que j’ai distingué des diverses Connaissances : celui-là implique celles-ci mais la réciproque n’est point vraie. Le Savoir (ar. علم) n’est l’apanage que du Sachant (ar. عالم) Qui embrasse le Tout (ar. عالمون; hé. עולם; arm. עלמא; syr.ܥܠܡ —les racines trilitères de ces trois concepts sont strictement identiques) : reformulé, cela donne que Dieu, par Dieu, va vers Dieu. Et malgré ce qu’il y paraît, ceux qui se réclament de Dieu n’accomplissent généralement pas ce qui est attendu d’eux. D’où il sort que la différence n’est pas tant selon l’Attestation de Foi puisqu’il en est tant et tant qui, sans jamais l’avoir prononcée, sont des bienfaisants évidents ; et cette différence entre humains réside en l’Intelligence, que j’ai dite être la mesure qualitative du Savoir, du Tout, de la Vérité, bref : de Dieu, dont nous sommes dépositaires : c’est donc que plus j’embrasse le Tout et plus je suis intelligent, et il n’y a de possibilité d’intelligence que si je cesse de m’ignorer. Ceux qui agissent de façon bienfaisante sont plus proches de Dieu en tant qu’ils voient en tout, sans même avoir l’idée de le verbaliser, la création de Dieu, c’est-à-dire eux-mêmes, quand le musulman pervers y verra tout autre chose. C’est donc que certains, même sans être musulmans, peuvent avoir une représentation qui se rapproche davantage du Vrai que d’autres (mais ils demeurent condamnables en tant que ladite représentation n’est toujours pas le Vrai). Ce Savoir est de forme actualisée chez les individus qui au moins ont leur intérieur tourné vers Dieu, c’est-à-dire ayant mis fin à l’existence de leur ego en cessant de s’ignorer. Malgré les spécialisations modernes et le mode d’organisation économico-social qui prédomine et nous voulant perpétuellement assujettis à d’autres, cette actualisation est susceptible de survenir chez tout humain, de lui-même et par lui-même, si tant est qu’il se penche de bonne foi sur ce qu’il a excogité comme représentation de Dieu afin de la détruire, ou, et c’est la même chose, qu’il détruise son ego. Pour me faire pardonner d’une éventuelle prolixité, je n’ai rien fait sinon développer ce verset : « Et n’invoque nulle autre divinité que Dieu ! Il n’est de divinité que Lui ! Tout est voué à périr, excepté la Face du Seigneur (Cor. 28:88). »

Marx prétendait que l’on pouvait expliquer le tout par des considérations économiques et sociales. Je dis plutôt : la représentation de Dieu que chacun excogite, en plus de la représentation qui prédomine dans la société, est suffisante et adéquate à la chose, et que la représentation que toute société ou tout individu fera lui correspond adéquatement. Et une fois détruites, parce que considérer purement Dieu nous préserve d’être en tort comme de porter tort, l’Humanité, peut-être, sera libérée de ses aliénations.

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