Des milliers de migrants perdus sur la route des Balkans

Par Ian Hamel, à Belgrade et Sarajevo

Afghans, Pakistanais, Bangladais, mais aussi Algériens et Marocains tentent d’entrer dans l’Union européenne par des chemins détournés. Ils survivent en Serbie et en Bosnie dans des conditions catastrophiques.     

Depuis mars 2016, la « route des Balkans », qui passait par la Grèce est verrouillée. Les migrants sont renvoyés en Turquie, encouragés à déposer une demande d’asile dans ce pays. De son côté, la Bulgarie érige des clôtures sur les 260 kilomètres de frontière avec la Turquie et y déploie des milliers de policiers. « Ce qui nous oblige à rejoindre la Bulgarie par la mer Noire en versant un maximum d’argent aux passeurs », explique un Afghan. Ensuite, il faut marcher, marcher, de préférence la nuit, dans la forêt. « J’ai mis trois mois pour arriver à Belgrade », raconte-t-il. Il est attablé au Zindabad, un petit restaurant qui fait face au camp de réfugiés d’Obrenovac, installé à quarante-cinq minutes de la capitale serbe.

Réfugiés afghans près du camp d’Obrenovac (Serbie)

Pourquoi passer par la Serbie pour rejoindre un pays de l’Union européenne ? Belgrade n’ayant pas l’habitude de recevoir des migrants venus de pays lointains, manquait de structures pour les surveiller et les encadrer… Résultat, les premiers réfugiés ayant emprunté ce chemin détourné de la « route des Balkans » ont effectivement réussi à passer en Croatie, puis en Slovénie, et en Italie. Ils ont aussitôt téléphoné à leurs familles, à leurs amis, à leurs voisins, et un flux humain s’est brutalement déversé sur la Serbie et même sur la Bosnie. Or, ce petit État, très pauvre, divisé entre deux entités, la Bosnie-Herzégovine et la République serbe de Bosnie, et surtout entre trois communautés qui s’entendent difficilement – croate, musulmane et serbe – est paralysée, incapable de développer une stratégie face à cette crise migratoire imprévue.

Mordu par un chien policier

Le problème, c’est que les pays de l’Union européenne, eux, ont très vite réagi à cette nouvelle situation, en verrouillant leurs frontières. Non seulement la Hongrie et la Croatie refoulent systématiquement les migrants, mais ils utilisent des méthodes musclées pour les dissuader de retenter de passer la frontière. « Je me suis fait tabasser par les policiers croates, ils m’ont piqué tout mon argent, ils ont brisé mon téléphone portable », dénonce un jeune Algérien venu de Tizi Ouzou, rencontré à Bascarsija, le quartier ottoman de Sarajevo. L’un de ses compagnons d’infortune nous montre un pansement sanguinolent à la cheville. Il a été mordu par un chien policier en Croatie.

Jeunes algériens sur une place de Sarajevo

Information confirmée par Stéphane Moissaing, chef de mission en Serbie de Médecins sans Frontières : « Les États membres de l’UE utilisent intentionnellement la violence pour dissuader des enfants et des jeunes de demander l’asile dans l‘Union européenne. Cela ne les dissuade pas d’essayer, mais cela leur cause de sérieux dégâts physiques et psychologiques, les rendant plus vulnérables encore et les repoussant dans les mains des passeurs ».

Ce camp serbe n’accueille que des hommes entre 20 et 30 ans.

5 à 6 000 réfugiés abandonnés à leur sort

Dans le café Zindabad, un ancien interprète de l’armée américaine en Afghanistan, raconte ses malheurs. En quittant le pays, les États-Unis l’ont tout simplement laissé tomber. « J’ai été contraint de fuir pour ne pas être exécuté par les taliban », lâche-t-il. D’autres Afghans, des Pakistanais, mais aussi des Marocains, des Somaliens, lorgnent vers le camp d’Obrenovac. Beaucoup souhaiteraient pouvoir y être accueilli. Mais il ne peut recevoir que 7 à 800 personnes. Uniquement de jeunes hommes âgés de vingt à trente ans. Ils sont logés, nourris, peuvent apprendre l’anglais et le serbe.

Une employée du Commissariat serbe aux réfugiés ne nous a laissé entrer que quelques minutes dans le camp, avant de nous renvoyer à Belgrade chez ses supérieurs, qui souhaitaient savoir le but de notre visite et les questions que nous étions susceptibles de poser aux migrants… En fait, la grande majorité des migrants sont dans les rues. Souvent installés entre le centre-ville de Belgrade et la rivière Sava, qui se jette dans le Danube. Ils sont peut-être 5 à 6 000 dans ce cul-de-sac. Sans argent pour poursuivre leur route ou pour retourner chez eux. Abandonnés à leur sort, que vont-ils devenir ? La Serbie, et surtout la Bosnie, sont trop pauvres pour les accueillir.

Les migrants vivent dans la rue, près de la rivière Sava.

Les musulmans ne sont pas les bienvenus

Le photographe Zalmaï, natif de Kaboul, collaborateur de Human Rights Watch, n’hésite pas à parler dans La Tribune de Genève de « l’enfer afghan de Belgrade », affirmant que certains migrants sont « fréquemment kidnappés, frappés, volés et violés par les représentants des autorités qui gardent les frontières ou par des passeurs qui prétendent les aider ». Nous n’avons pas été témoins de ces crimes. Mais nous avons pu constater que ces réfugiés musulmans ne sont pas vraiment les bienvenues en Serbie. Et que la République serbe de Bosnie ne les veut pas. Vingt ans après la guerre, les Serbes redoutent toujours tout ce qui pourrait changer l’équilibre démographique de l’ex-Yougoslavie. A commencer par cette vague migratoire essentiellement musulmane.

Un groupe originaire du Bangladesh

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