Le 7e Forum sur la coopération sino-africaine qui se tient actuellement à Beijing va avec son lot d’interrogations et de remarques alarmistes quant au « piège » que pourrait constituer pour les pays africains un face à face de plus en plus fort et exclusif avec l’empire du Milieu. Plusieurs raisons à cela : l’augmentation exponentielle de la dette de l’Afrique à l’endroit de la Chine, la crainte d’une autre colonisation qui ne dira pas son nom mais qui y ressemblera beaucoup.
La crainte de l’étau d’un endettement croissant
Cela se voit sur le terrain. La Chine a changé la donne dans nombre de pays africains en finançant à coups de milliards les infrastructures souhaitées par ces derniers pour se mettre sur le sentier de « l’émergence ». Seul hic, et de taille : les prêts chinois ont gonflé le service de la dette de beaucoup de pays au point que le Fonds monétaire international s’est senti obligé d’attirer leur attention sur cette réalité. Alors qu’en cinq ans, les investissements directs cumulés du géant asiatique dans les pays concernés ont dépassé 60 milliards de dollars et que la valeur des projets signés par des entreprises chinoises a atteint plus de 500 milliards, l’institution de Bretton Woods précise que ces partenariats peuvent, du fait de leur impact sur le niveau d’endettement, limiter les moyens et dépenses vers certains autres fronts prioritaires en raison des frais liés aux intérêts de ces prêts. Comme le disait récemment sa directrice générale Christine Lagarde : « Ce n’est pas un repas gratuit. »
Réponse de la Chine par l’entremise de Ning Jizhe, vice-président de la puissante agence de planification chinoise (NDRC) : « Ces prêts existaient avant et les critères d’évaluation des projets sont rigoureux. » « Ce n’est pas un club chinois », a renchéri le président Xi Jinping, qui n’a pas hésité à mettre en avant « les coopérations mutuellement bénéfiques » qui lient la Chine à l’Afrique.
Il faut dire que la Chine n’y est pas allée par quatre chemins. Avec le programme « Routes de la soie » qu’elle a mis en œuvre dès l’été 2013, elle a enchaîné les chantiers d’édification de routes, de ports et de chemins de fer en mettant sur la table des dizaines de milliards de dollars. Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que de plus en plus de critiques fusent ici et là. Parmi elles, celle-ci : Pékin utilise sa force de frappe financière pour étendre son influence. Et cela ne vaut pas seulement pour la position de la Chine par rapport à l’Afrique.
Autre aspect du problème : la Chine accorde ses prêts en dollars et conduit ses débiteurs à devoir rechercher des excédents commerciaux importants pour les rembourser alors que, d’un autre côté, leurs réserves de changes risquent de s’épuiser. « Souvent, les prêts chinois sont en nature – tracteurs, livraisons de charbon, services d’ingénierie – mais doivent être remboursés en dollars », explique ainsi à l’AFP Anne Stevenson-Yang, chercheuse à J. Research Capital.
Prenons l’exemple de Djibouti : selon le FMI, sa dette publique extérieure a bondi de 50 à 85 % du PIB en deux ans. L’explication : ses créances croissantes dues à l’Exim Bank, banque institutionnelle chinoise dont on mesure la puissance quand on sait qu’elle possède la moitié de la dette du Tadjikistan et du Kirghizistan. Et l’emprise chinoise peut être suffisamment forte pour que finalement lui soit confiée la gestion des infrastructures construites au travers de concessions s’étalant sur 20 ou 30 ans, si l’on en croit l’agence de notation Standard & Poor’s.
La crainte d’une nouvelle colonisation
La vérité est que Pékin réussit à se donner le bon rôle dans une équation où les pays africains en particulier, les pays peu développés en général, ont d’énormes besoins d’infrastructures. La Chine fait d’une pierre deux coups : au-delà de trouver des débouchés à ses capacités industrielles hors normes, elle construit les routes, les ports et les oléoducs dont elle a besoin pour l’acheminement de ses approvisionnements en matières premières qu’elle va d’ailleurs chercher, notamment, en Afrique.
Quoi qu’il en soit, la manière dont le Sri Lanka s’est retrouvé en situation difficile par rapport à la Chine donne à réfléchir. Après avoir emprunté 1,4 milliard de dollars auprès de Pékin pour aménager un port en eau profonde, il s’est vu contraint fin 2017, en raison de son incapacité à rembourser, de céder le contrôle complet de l’infrastructure… à la Chine pour 99 ans. Un système donc à même d’installer une colonisation rampante ?
La question mérite d’autant plus d’être posée que toute cette dynamique nourrit une politique d’influence orchestrée à partir du programme des « Routes de la soie » pas seulement vanté par les Chinois. Antonio Tajani, président du Parlement européen, ne s’est pas gêné pour affirmer que « le continent africain » devenu l’un des principaux partenaires économiques de Pékin, « risque aujourd’hui de devenir une colonie chinoise ». S’exprimant en juillet dernier dans le quotidien allemand Die Welt, il a indiqué que « les Chinois ne veulent que les matières premières » et que « la stabilité ne les intéresse pas ».
De quoi interroger la présence croissante des entreprises chinoises au cours des dernières décennies, notamment dans le domaine des ressources naturelles. Pour rappel, en 2015, les échanges entre le continent et Pékin étaient estimés à quelque 180 milliards de dollars. Pour 2020, Pékin s’est fixé l’objectif de 400 milliards de dollars. À n’en pas douter, le profil des produits et services concernés ne manquera pas de nous instruire sur le cap de cette coopération sino-africaine.
Le Point Afrique