Dr Dominique Sighoko : « voici pourquoi le cancer du sein fait des ravages chez les femmes noires !« 

A l’occasion de la cérémonie de dédicace de son livre : « De mon cauchemar français à mon rêve américain : ma vie d’immigrée légale », Dominique Sighoko, Docteur en pharmacie, Master et PhD en santé publique, a donné une conférence le 25 Août dernier a Chicago sur le thème : « Le cancer de sein chez la femme d’origine africaine : mythe et réalité ». Dans cet entretien, nous revenons sur les notions essentielles développées lors de cette présentation.

Vous venez d’animer une conférence à Chicago avec pour le thème : « Le Cancer du sein chez la femme d’origine africaine ». Pourquoi cette focalisation sur la femme noire ?

J’ai découvert le cancer du sein de façon hasardeuse. Après avoir obtenu mon diplôme de pharmacien au Mali, j’avais cette envie de faire dans la santé publique et de travailler pour l’organisation Mondiale de la Santé (OMS). Par la force des choses, j’ai pu obtenir une inscription en master de sante publique en France et un stage au Centre International de Recherche sur le Cancer qui est une branche spécialisée de l’OMS. C’est pendant ce stage que j’ai découvert le cancer et le cancer du sein en particulier. Je me suis rendu compte que la profile de cancer du sein chez les femmes de type africain était atypique et différent de celui des femmes de type caucasien (blanches). C’est ainsi que je me suis intéressée a ce sujet.

Pour avoir fait vos études doctorales et vos premières recherches en France, quelles sont les différences fondamentales que vous avez notées au niveau de la méthodologie de la recherche comparativement aux Etats-Unis ou vous exercez depuis 2012 ?

La principale différence c’est qu’en France il est interdit par la loi de faire des statistiques basées sur l’ethnicité. En d’autres mots,en France il est impossible de caractériser le profil des femmes de type africain (Martinique, Guadeloupe, etc.) atteintes de cancer du sein. Pourtant,aux USA, toutes les statistiques sont bases sur l’ethnicité…La race n’y est pas un sujet tabou. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai entre autres décider d’immigrer vers les USA où je pouvais approfondir mes travaux de recherche sur le cancer du sein chez les femmes de type africain.

Quel impact cette disparité au niveau de la méthodologie peut avoir sur la prévention et le traitement de la maladie ?

Les mesures de dépistage en France ne sont pas adaptées aux femmes de type africain. En France, le dépistage systématique (même s’il reste une controverse à ce sujet) commence à l’âge de 50 ans, or il est bien établi que les femmes de type africain ont une probabilité plus élevée de développer des cancers à des âges plus jeunes ; généralement dans la quarantaine. Ces cancers du sein développés dans la quarantaine sont pour beaucoup non hormonaux-dépendants et très agressifs. Donc en France il y a probablement un sous dépistage chez les femmes de type africain de cette tranche d’âge-là. Et ceci doit impacter négativement la survie, car plus tôt le cancer est détecté (d’où la nécessité de faire un dépistage adapté à toute la population) plus le pronostic est favorable. Or si le cancer est diagnostiqué à des stages tardifs, le pronostic devient très peu favorable.

Aux USA (même s’il y a également une controverse qui persiste) le dépistage commence à l’âge de 40 ans ce qui prend en compte la susceptibilité qui existe chez les femmes de types africain. Les femmes noires sont d’ailleurs classées comme facteur de risque pour le cancer du sein non hormonaux-dépendant.

 

Pendant la conférence, vous avez affirmé que la situation en ce qui concerne le cancer du sein au Cameroun est tragique. Pourquoi et comment faire face à une telle tragédie ?

N’ayant pas de moyens adaptés pour le diagnostic complet du cancer du sein qui n’est pas une maladie homogène et dont le traitement dépendant du sous type moléculaire dont est atteint la patiente, beaucoup de pays d’Afrique francophone suivent malheureusement le protocole de dépistage Français ; celui-là même qui ne prends pas en compte la diversité ethnique de sa population.

En l’absence du diagnostic complet qui se fait grâce a la technique d’immun histochimie (qui détermine le sous type moléculaire)qui reste quasi inexistante dans beaucoup de pays africains, les femmes atteintes du cancer du sein sont généralement traitées par l’hormonothérapie qui est le traitement le plus répandu dans les pays comme la France car la majorité des femmes de type caucasien font des cancers hormonaux-dépendants. Quand ce traitement ne marche pas, on essaie la chimiothérapie, mais entretemps la tumeur aura eu le temps de progresser et la suite on la connait.

Il est impératif pour l’Afrique noire de se rapprocher des protocoles de dépistage américain qui eux dans leurs études prennes en compte l’ethnicité.

L’une des surprises de votre présentation se rapporte au cancer du sein chez les hommes. Faut-il penser à une campagne de sensibiliser des hommes aussi là-dessus ?

Le cancer du sein chez l’homme est généralement considéré comme un signe de mutation génétique héréditaire dans la famille. Il est conseillé aux personnes ayant eu un parent de sexe masculin atteint de cancer du sein de faire un test génétique pour voir s’ils ne sont pas porteurs de la mutation génétique (BRCA) qui augmente de 50 à 70% le risque de développer le cancer du sein. Cela est encore plus fortement recommandé si une femme de la même famille à également fait un cancer du sein ou de l’ovaire.

Mais le cancer du sein chez l’homme reste extrêmes rare, l’incidence est en moyenne de moins 1 cas pour 100,000 personnes. Par contre me basant sur les données américaines, les hommes noirs ont une incidence plus élevée de cancer du sein que les hommes blancs.

Pour les personnes qui se rendent à l’hôpital pour le dépistage ou alors pour les soins, qu’est-ce que ces personnes doivent poser comme questions au personnel traitant ?

Il est impératif de savoir le sous type moléculaire de la tumeur car celui-ci détermine le type de traitement qu’on recevra. Il faut également connaitre le stade du cancer ; plus le cancer est détecté tôt mieux est l’espérance de vie. Enfin, il faut également se préparer psychologiquement car les effets secondaires du traitement ne sont pas faciles à supporter.

Je finirai par dire, qu’il ne faut jamais souhaiter détecter un cancer quand il est déjà symptomatique. C’est-à-dire, quand le sein est déjà déformé. Lorsqu’on ressent une boule dans le sein surtout quand on est dans la quarantaine, il faut immédiatement se rendre chez le médecin qui prescrira soit une échographie (ultrason) soit une mammographie.

Pour terminer, quels sont les mythes les plus populaires en rapport à cette maladie qui ne reposent sur aucune vérité scientifique ?

Comme pour beaucoup de cancers, l’histoire naturelle du cancer du sein n’est pas encore connue ; en d’autres mots on ne connait pas ce qui cause le cancer du sein et beaucoup d’autres cancer. Il ya des facteurs de risque établis (d’autres modifiables et d’autres non) qui en plus varient d’un sous type à l’autre, mais la cause centrale n’est pas encore connue. Enfin on ne prévient ni ne guérit pas du cancer du sein en mangeant ou en buvant un aliment particulier. Il faut un traitement qui cible les cellules tumorales pour guérir d’un cancer.