En Arabie Saoudite, les images des premières femmes à conduire dès la levée de l’interdiction à minuit

Derrière son volant, Samar Almogren, animatrice de télévision désormais conductrice, se sent “libre comme un oiseau”.

INTERNATIONAL – À minuit pile, Samar Almogren a tourné la clef de contact d’une voiture, samedi 23 juin. Elle a fait ce geste sitôt l’interdiction aux femmes de conduire, en vigueur depuis des décennies en Arabie saoudite, levée dans la nuit de samedi à dimanche. Un moment inoubliable pour cette animatrice de télévision et mère de trois enfants, qui dit se sentir désormais “libre comme un oiseau”. Elle n’est pas la seule, plusieurs femmes ont pris le volant.

Comme vous pouvez le voir dans notre vidéo ci-dessus, habillée d’une abaya blanche, Samar est cette fois sur le siège conducteur d’une voiture, sur les routes de Riyad, en pleine nuit. Elle affiche un large sourire. “J’en ai des frissons tout le long du corps. Monter dans ma voiture, tenir ce volant, après avoir passé ma vie assise sur le siège arrière… Maintenant, c’est de ma responsabilité et je suis plus que jamais prête à l’assumer”.

Le blanc pour un jour de paix

“J’ai toujours su que ce jour viendrait. Mais c’est arrivé vite. Soudainement”, dit-elle, la tête couverte d’un foulard, blanc lui aussi. Car “j’ai décidé de m’habiller en blanc ce soir. L’abaya noire est devenue la marque de la femme musulmane. Mais il n’y a pas de texte religieux qui prescrit qu’une femme doit s’habiller d’une abaya noire”, dit-elle. “Je ne suis pas contre l’abaya noire, mais je suis contre forcer quiconque à la porter”, ajoute-t-elle, le blanc étant pour elle la “couleur de la paix”.

“J’ai enlevé mon niqab il y a longtemps. Quand j’ai décidé de montrer mon visage à la télévision, ça ne s’est pas très bien passé. Mes frères étaient très en colère, mais mon père m’a soutenue”, raconte encore cette mère de famille, à bord de son GMC blanc.

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AFP

Samar Almogren au volant de son GMC blanc, comme son foulard et son abaya, couleur de la paix

L’interdiction de conduire, “c’était le plus gros obstacle. Je n’en vois désormais pas d’autre. Pouvoir conduire était le plus important et c’est maintenant chose faite”, se félicite l’animatrice de talk-show et écrivaine. Pourtant, “je déteste conduire”, avoue-t-elle, “mais ce n’est pas la question, le fait est que c’est mon droit. Je peux désormais conduire. Que je le veuille ou non est une autre question”.

Sur le trajet, des hommes et des femmes ne cessent de l’arrêter pour la féliciter et lui exprimer leur soutien.

Pouvoir enfin emmener seule son enfant en voiture

Elle sait d’ailleurs déjà que les occasions de se retrouver au volant ne vont pas manquer. “Beaucoup de personnes me demandent déjà de les conduire au travail ou de venir prendre un café. Ça va être génial de pouvoir emmener ma mère, plutôt que de la faire asseoir sur le siège arrière avec un chauffeur qui est un étranger”, explique Samar.

Sa mère est trop âgée pour se mettre à la conduite mais avec ses soeurs elles ont prévu de la promener en voiture: “On veut la gâter”, dit-elle. Le plus important à ses yeux, c’est que désormais elle peut emmener son bébé toute seule en voiture, au lieu de le confier à un chauffeur. Pour beaucoup de femmes, saoudiennes ou expatriées, cette mesure permettra de réduire leur dépendance à l’égard des chauffeurs privés ou des hommes de leurs famille, entraînant du même coup des économies financières.

Heureuse, comme des milliers de Saoudiennes, elle dit se sentir désormais “comme un papillon….. Non, un oiseau. Je me sens libre comme un oiseau.”

La répression court toujours

La question de savoir si la société saoudienne était prête pour que les femmes conduisent a été l’objet de débats enflammés dans le royaume. Pendant des décennies, les conservateurs se sont servis d’interprétations rigoristes de l’islam pour justifier l’interdiction de conduire, certains allant même jusqu’à dire que les femmes ne sont pas assez intelligentes pour être derrière le volant.

En 2013, un religieux saoudien très connu, le cheikh Saleh al-Louhaidan, assurait que conduire pourrait endommager les ovaires des femmes et déformer leur pelvis, ce qui entraînerait des malformations des nouveaux-nés.

Mais sous l’impulsion du prince Mohammed, devenu héritier du trône il y a un an, le pays a aussi autorisé l’ouverture des salles de cinéma et les concerts mixtes, signe de son intention de revenir à un “islam modéré”.

Toutefois l’enthousiasme créé par l’annonce des réformes semble être entaché par une vague de répression contre les militantes qui se sont entre autres longtemps opposées à l’interdiction de conduire. Selon les autorités, neuf de plus d’une dizaine de personnes, dont des femmes, arrêtées sont toujours en prison. Elles sont accusées d’atteinte à la sécurité du royaume et d’avoir aidé les “ennemis” de l’Etat.

Des journaux pro-gouvernementaux ont publié des photos de certaines en une, accompagnées du mot “traîtresses”. Human Rights Watch (HRW) a également indiqué cette semaine que deux autres militantes, Nouf Abdelaziz et Maya al-Zahrani, avaient été arrêtées.

La résistance à la suppression de l’interdiction est encore vive dans certains secteurs de la société. Des chansons portant des titres comme “Tu ne conduiras pas” sont même apparues ces dernières semaines sur les réseaux sociaux.

Cette fin d’interdiction aux femmes de conduire est bien sûr un pas en avant, mais un pas lourd. Et elle est loin de suffire dans un pays où la femme a encore en 2018 un statut de personne sous tutelle.

 


Source: AFP