Eric Zemmour, autoproclamé « intellectuel » avec la complicité coupable et complaisante des médias, vient encore de s’illustrer par une réflexion non seulement d’une bêtise insondable relevant du racisme le plus éculé, mais aussi d’une grande violence envers de nombreuses personnes et d’une grande irresponsabilité sociale et historique.
Ces propos ne sont pas seulement d’une stupidité ahurissante, le nom et le prénom de chacun n’ayant évidemment aucun lien avec la personnalité de celui qui le porte. C’est surtout une agression des plus blessantes contre la personnalité même de l’individu, contre un élément constitutif et intime de son identité depuis la naissance.
Dans une émission de télévision, il reproche à une participante, Hapsatou Sy, de porter un prénom qui serait « une insulte à la France », affirmant que sa mère aurait dû lui donner un prénom « issu du calendrier » ! Cette partie de l’échange a certes été coupée pour la diffusion, mais après sa révélation sur les réseaux sociaux, Thierry Ardisson a manifesté plus son hostilité envers la victime que sa solidarité contre de tels propos.
Le prénom est aussi un élément constitutif de la personnalité sociale de chacun. Il peut être porteur d’une identité, mais il faut être aussi ignorant que Zemmour pour croire que celle-ci se limite à la nationalité : être français ou pas. Le prénom peut témoigner d’un héritage familial, régional, social ou culturel … L’immense variété des prénoms portés par les citoyens français est justement l’expression d’une population riche de ses multiples composantes et origines.
Et c’est ça la France, Monsieur Zemmour, ce n’est pas la caricature abstraite et figée que vous en avez ! Caricature figée et datée, celle de l’époque coloniale où il fallait imposer aux « sauvages » de remplacer ou accompagner leur nom réel par un prénom « issu du calendrier » chrétien. Eric Zemmour est-il candidat à l’Académie Française, au siège de Léopold Sedar Senghor qui a si brillamment illustré, sous son double prénom, la richesse d’une double culture, celle de « nègre » et celle de Français ? Ce qui est la honte de la France, ce ne sont pas les femmes qui s’appellent Hapsatou, c’est d’avoir affublé des milliers d’Africains du prénom de Fêtenat parce qu’ils étaient nés un 14 juillet.
Mais ce qui est cruellement d’actualité, ce sont les dégâts qu’une telle idéologie peut engendrer dans notre société. L’intégration harmonieuse de toutes les composantes de la population suppose que chacun soit convaincu qu’avec toutes ses différences, il est pleinement membre de la société française et qu’il ne soit pas tenté d’opposer au communautarisme étroit de Zemmour un autre communautarisme. L’action éducative du MRAP ne cesse d’enfoncer ce clou : seuls ceux qui sont bien avec leurs origines peuvent trouver leur place dans une communauté nouvelle, pas ceux qu’on a contraints à l’oubli ou au reniement d’une partie d’eux-mêmes, le rapport avec les origines restant une question profondément individuelle.L’histoire nous enseigne aussi l’importance de cette identité portée par les noms. En assignant les individus à des appartenances réelles ou supposées, cette référence aux noms a accompagné toutes les haines racistes, depuis les sociétés d’apartheid, les guerres civiles jusque dans les génocides, comme en Bosnie ou au Rwanda. Monsieur Zemmour, seriez-vous nostalgique d’une période de l’histoire où ceux qui s’appelaient Bloch préféraient se faire appeler Dassault ?