Franc CFA : tout changer pour que rien ne change

Le président français veut maintenir le système en vigueur. Quitte à abolir les vestiges les plus symboliques du passé. On se croirait dans Le Guépard de Visconti !

Quand il n’était que candidat, Emmanuel Macron ne mâchait pas ses mots face à la contestation du franc CFA : il demandait aux chefs d’État de la zone franc soit de cesser de faire porter le chapeau de leurs problèmes à ce système monétaire, soit de le quitter ! Devenu président, il ne s’est pas montré moins tranchant, le 28 novembre 2017, en répondant à l’interpellation d’un étudiant de l’université Joseph-Ki-Zerbo, à Ouagadougou. À en croire le dirigeant français, « le franc CFA est un non-sujet pour la France ». Il a donc invité son interlocuteur à s’abstenir de toute « approche bêtement anticoloniale ou anti-impérialiste » et promis d’« accompagner la solution qui sera portée par l’ensemble des présidents de la zone franc ».

Lesdits présidents sont bien embarrassés pour décider de l’évolution des accords monétaires qui lient à la France quatorze pays subsahariens*, plus les Comores.

Gérer soi-même sa monnaie est le gage premier de la souveraineté, estime  Kako Nubukpo

D’un côté, une partie de la jeunesse et plusieurs économistes africains honnissent le franc CFA, accusé d’être une survivance du colonialisme. « Gérer soi-même sa monnaie est le gage premier de la souveraineté », estime par exemple le Togolais Kako Nubukpo.

Les opposants dénoncent l’humiliation infligée aux États africains, contraints de déposer la moitié de leurs réserves en devises (environ 11 000 milliards de F CFA, soit 16,8 milliards d’euros) sur un compte du Trésor français. Ils accusent l’arrimage du franc CFA au franc français, puis à l’euro d’avoir bridé depuis un demi-siècle la croissance de leur région : 1,4 % en moyenne, contre 2,5 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne. Peut-être en raison de la surévaluation du franc CFA, qui résulte de cet arrimage et rendrait les exportations africaines moins compétitives.

De l’autre côté, les partisans du statu quo, à l’instar de Lionel Zinsou, l’ancien Premier ministre béninois, font valoir que le système en vigueur a épargné à ses membres l’hyperinflation qui a ravagé la RD Congo ou l’Angola. En cinquante ans, l’inflation a été de 6 % en Côte d’Ivoire, mais de 29 % au Ghana, selon The Economist.

Une garantie de convertibilité illimitée

Ils rappellent que l’accord monétaire qui fonde le franc CFA garantit sa convertibilité illimitée par le Trésor français, quel que soit le niveau des réserves des pays membres. Cette garantie a évité la création de marchés parallèles, qui ont été la plaie du Zimbabwe, par exemple. Et elle a apporté aux investisseurs étrangers l’indispensable sécurité monétaire

Ils soulignent également que les devises déposées au Trésor français sont rémunérées 110 points de base au-dessus de ce que perçoit l’État français lui-même pour ses dépôts – c’est donc le contraire d’une spoliation – et estiment que si les banques centrales de l’Uemoa et de la Cemac conservaient leurs devises dans leurs coffres, il leur faudrait accumuler beaucoup plus que trois mois d’importations, comme c’est le cas actuellement, pour rassurer les marchés quant à leur solidité.

Macron persiste à penser que le franc CFA est bon pour les Africains, mais il veut solder le passé. Il est donc prêt à discuter de ce que prépare Alassane Ouattara, le président ivoirien, pour l’Afrique de l’Ouest, à savoir une suppression symbolique de quelques vestiges du système afin de le maintenir en l’état.

Changer le nom, pas le système

Ainsi, le franc CFA changerait de nom ; les réserves en devises resteraient sur le sol africain ; et la zone monétaire serait élargie à la Gambie et au Ghana, mais pas au Nigeria, ce mastodonte dont la taille (75 % de l’économie de l’Uemoa) représenterait un risque insupportable pour la France, garante de la convertibilité de la monnaie new-look.

Exigée par les contestataires, l’éviction des représentants français des organes des banques centrales africaines n’ira en revanche pas de soi. Beaucoup plus tard, la parité pourrait être adossée à un panier de monnaies, et non plus au seul euro.

Il reste un énorme travail à mener pour éviter que les marchés ne paniquent devant ces bouleversements et pour harmoniser les économies de quinze États aux trajectoires jusqu’ici très divergentes. Une dévaluation non maîtrisée risquerait en effet de faire exploser l’inflation et de provoquer de graves troubles sociaux.

Le choix s’annonce délicat.

* Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo. Afrique centrale : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad.

Par jeuneafrique