Approuvée par certains, vertement critiquée par d’autres, la hausse des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers extra-européens, annoncée par le Premier ministre Edouard Philippe le 19 novembre, dans le cadre d’un plan baptisé « Choose France », continue de faire débat. L’UNEF et une quinzaine d’associations appellent d’ailleurs à une manifestation contre ce projet le 1er décembre. Une pétition circule également pour réclamer l’abrogation de cette hausse.
La mesure, à vrai dire, est à ranger dans la catégorie des sujets complexes à appréhender, qui mettent en jeu de multiples paramètres. Et pour lesquels, en dépit des prises de position tranchées et des protestations de certains, il n’y a pas de réponse simple et évidente. Les arguments des uns et des autres méritent d’être entendus. Rappelons simplement ici quelques éléments, pour tenter d’éclairer le débat.
1. Commençons par l’aspect purement « comptable » de la décision des pouvoirs publics – même si l’on peut juger cette approche bien étriquée. La mesure annoncée pourrait concerner environ 324.000 extra-européens présents dans l’Hexagone, les étudiants des pays de l’Union (en échange Erasmus, notamment) n’étant pas concernés. Passer de 170 à 2.770 euros en licence, et de 243 ou 380 euros en master ou en doctorat à 3.770 euros, comme cela est prévu, représente une manne que l’on peut évaluer autour de 900 millions d’euros par an pour les universités françaises. C’est loin d’être négligeable – même si cela ne va pas changer radicalement leur situation.
Rappelons aussi que, même avec ces hausses, on est encore très loin de la « vérité des coûts » : en moyenne, on estime qu’une année d’études coûte un peu moins de 10.000 euros par étudiant – voire nettement plus pour certains cursus spécifiques. La France continuera ainsi d’accorder à chaque étudiant extra-communautaire un « coup de pouce » d’environ 7.000 euros par an. Ce qui, pour un cycle d’études de trois ans, représente plus de 20.000 euros. Là encore, ce n’est pas rien.
Évidemment, la hausse annoncée pénalisera d’abord de nombreux étudiants de milieux modestes. « Loin de permettre aux étudiants étrangers de vivre dans de bonnes conditions, les mesures annoncées vont augmenter les difficultés qu’ils rencontrent, estiment les associations qui se mobilisent contre le plan gouvernemental. En augmentant très fortement les frais d’inscription, le gouvernement va renforcer la précarité. » Pour éviter cela, le gouvernement prévoit d’augmenter fortement le nombre de bourses qui leur sont allouées : d’environ 7.000 aujourd’hui, celles-ci passeront à quelque 15.000. Mais à l’évidence, cela risque de ne pas suffire, et de pousser un certain nombre d’étudiants à renoncer à leurs études en France. 2. La logique consistant à rapprocher le montant des frais du « coût réel » des cursus, et donc à faire financer leurs études par les étudiants et leurs familles, s’oppose frontalement à une autre logique, plus « généreuse » : celle qui consiste à considérer que l’éducation – y compris au niveau supérieur – doit être accessible à tous, et donc entièrement (ou quasiment) gratuite. En pratique, cela signifie qu’elle doit être payée par l’Etat, donc par les contribuables… Depuis la nuit des temps, le débat est vif entre ces deux approches.
3. Le projet du gouvernement s’inscrit dans un mouvement de hausse généralisée des frais de scolarité, en France et dans le monde. En France, cette hausse touche non seulement les grandes écoles, mais aussi l’enseignement privé en général. Et pour ce qui est des universités, nombre de présidents se déclarent favorables à une augmentation (modérée). La Cour des comptes, de son côté, vient aussi de proposer d’augmenter le niveau des frais – ce qui a été refusé par le gouvernement. Mais il est clair que le sujet est dans l’air du temps…
4. La décision annoncée par le Premier ministre intervient en outre dans un contexte budgétaire, social et politique très tendu : difficultés pour l’Etat à équilibrer son budget, mouvements de protestation contre le niveau des taxes et impôts (cf. les « gilets jaunes »), besoins accrus de financement dans de multiples domaines (les routes, les hôpitaux, les universités, les Ehpad, etc.), pressions accrues de la Commission européenne pour réduire le déficit, appels de nombreux responsables politiques à diminuer la dépense publique… Bref, à tous les niveaux, il s’agit de « serrer les boulons ».
5. Un autre élément de contexte à rappeler est celui de la « guerre des talents ». Maintes fois annoncée par le passé, elle est aujourd’hui une réalité partout dans le monde, notamment avec le boum des technologies et les besoins accrus de compétences. Résultat, un nombre croissant de pays (Etats-Unis, Chine, Allemagne…) ont mis en place des politiques visant à attirer les cerveaux les plus brillants, en leur offrant des bourses et des conditions d’études avantageuses. La Chine, par exemple, multiplie les créations d’instituts Confucius, notamment en Afrique. La France, quatrième pays au monde pour l’accueil d’étudiants internationaux (derrière les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie), est aujourd’hui en recul. Elle ne peut se désintéresser du sujet : il lui faut avoir sa propre stratégie en la matière. C’est l’une des ambitions du plan annoncé par Edouard Philippe, et présenté comme une « stratégie nationale d’attractivité des étudiants internationaux ». Le gouvernement vise 500.000 étudiants internationaux à l’horizon 2027, contre 324.000 aujourd’hui. Soit une hausse de 46 %.
6. A priori, la hausse annoncée ne paraît ni scandaleuse, ni injuste : il n’est pas anormal que les étudiants internationaux, dont les parents ne paient pas d’impôts en France, acquittent des frais de scolarité plus élevés que les enfants de contribuables français. C’est d’ailleurs la règle un peu partout dans le monde.
D’autant que, contrairement à un argument souvent avancé, la quasi-gratuité des études ne profite pas seulement à des étudiants internationaux dans le besoin : une bonne part des étudiants internationaux sont au contraire issus de familles aisées, qui ont largement les moyens de financer leur cursus.
7. Beaucoup avancent, à l’appui du maintien de la quasi-gratuité pour tous, l’argument du « rayonnement » de la France dans le monde. Les étudiants étrangers qui ont étudié en France sont réputés francophiles « à vie ». Ils participeront par la suite à l’essor de la francophonie, achèteront des produits français, défendront les intérêts de notre pays dans la compétition internationale… Argument recevable, certes, mais qui doit être manié avec précaution. Dans le contexte de la mondialisation de l’enseignement supérieur, nombre de jeunes qui viennent étudier en France choisissent la France avant tout parce que les études d’un bon niveau y sont quasi-gratuites, alors qu’elles sont payantes ailleurs, et parfois fort onéreuses – notamment dans les pays anglo-saxons. 8. La gratuité (ou quasi-gratuité) peut être contre-productive : outre qu’elle coûte aux finances publiques, elle ne donne pas forcément une bonne image de l’enseignement supérieur français. Au contraire, nombre de jeunes étrangers et de moins jeunes ont tendance à considérer que « ce qui est gratuit ne vaut rien ». Il est vrai que le manque de moyens criant de certaines universités françaises les renforce dans cette conviction…
De façon peut-être paradoxale, augmenter les frais de scolarité pourrait ainsi engager les universités concernées dans une spirale positive : hausse des frais, d’où plus de ressources, d’où davantage de moyens, d’où meilleure qualité de l’enseignement, d’où attractivité renforcée, d’où un nombre accru de candidats de bon niveau, d’où à nouveau amélioration de la qualité, etc. C’est cette logique que le gouvernement souhaite enclencher. Même si, reconnaissons-le, le pari est loin d’être gagné.
9. Le débat se focalise notamment sur la situation des étudiants africains en France, souvent présentés comme les premières victimes de la décision, alors qu’il faudrait aider les pays d’Afrique à développer leur économie. On estime leur nombre à 142.000, soit environ 40 % du total des étudiants internationaux présents dans l’Hexagone. En réalité, il faut relativiser le constat. D’abord, nombre d’étudiants africains sont issus des bourgeoisies locales, et parfois de milieux très favorisés (familles de diplomates, de hauts fonctionnaires, d’entrepreneurs…). Ensuite, comme le soulignent de nombreux commentateurs sur les forums, l’enseignement supérieur est une des sources bien connues de l’immigration clandestine. Enfin, beaucoup de jeunes Africains viennent étudier dans des disciplines (sociologie, histoire, psychologie…) qui n’ont qu’une utilité limitée dans la perspective du développement de l’Afrique. Ajoutons que le gouvernement souhaite « rééquilibrer » les pays d’origine des étudiants, et accueillir davantage d’étudiants d’Afrique anglophone, d’Asie et d’Amérique.
10. Comme souvent, au-delà des effets d’annonce, des grands principes… et des polémiques, c’est dans la mise en oeuvre des réformes que tout se joue. La hausse des frais de scolarité peut donner des résultats positifs et être mieux comprise à trois conditions. D’abord, qu’elle soit assortie d’un vaste programme d’aides (sous forme de bourses, de prêts d’honneur, etc.) aux étudiants internationaux qui en ont réellement besoin pour financer leur cursus. Ensuite, il faut que soient considérablement réduites les contraintes administratives (délivrance de visa, renouvellement, accès au logement, etc.) auxquelles sont soumis les étudiants internationaux. Enfin et surtout, la France doit améliorer fortement son dispositif d’accueil des étudiants étrangers. Beaucoup d’observateurs soulignent à quel point, indépendamment du coût des études, les étudiants étrangers sont souvent mal reçus dans l’Hexagone : logements chers et souvent peu confortables, campus parfois en piteux état, contacts difficiles et parfois inexistants avec les étudiants français, échanges rares et difficiles avec les profs, phénomènes de ghetto…
Sur ces différents points, le plan annoncé par le gouvernement comporte plusieurs mesures qui vont dans le bon sens : simplification de la procédure d’obtention du visa pour les étudiants, création d’un statut de « référent » pour chaque étudiant, mise en place de cours de français intensif… Mais il reste beaucoup à faire pour que la France devienne une destination de choix pour les étudiants du monde entier.
LEMONDE.FR