Générations, à la recherche de la mémoire perdue

Entretien avec les commissaires de l’exposition, Naïma Yahi et Driss el Yazami

Comment est né le projet de cette exposition ?

Ce projet est né il y a près de vingt ans. L’exposition France des étrangers, France des libertés comportait déjà en 1989 un hommage à Ahmed Hachelaf, qui fut à la fois journaliste, parolier et producteur des artistes maghrébins de la capitale entre la fin des années 1940 et les années 1990. Le rêve de raconter cette histoire nous habite littéralement depuis. Mais il fallait aussi les avancées de l’historiographie, l’accumulation des archives privées et une connaissance plus fine des archives publiques pour concrétiser le projet, ce à quoi nous travaillons depuis 2005. Il a fallu aussi, vous l’imaginez, convaincre tous nos partenaires.

Quel est l’objectif principal de cette exposition ?

Raconter d’abord une histoire méconnue du grand public, celle de l’enracinement complexe des populations maghrébines en France, de leur point de vue si l’on peut dire, et montrer à partir de leurs productions culturelles dans leur diversité comment elles ont interagi avec l’environnement. Il s’agit donc d’une réhabilitation de cette histoire, non pas idéologique, mais aussi rigoureuse que possible. Sans omettre les points noirs (la xénophobie, la répression durant la guerre d’Algérie, les collaborateurs maghrébins, les luttes fratricides entre nationalistes, etc.) ni les moments fraternels : ceux de la résistance, des luttes ouvrières menées en commun, de l’extraordinaire métissage des troupes musicales mêlant juifs et musulmans, Français et Maghrébins.

Quels points forts avez-vous souhaité mettre en avant ?

D’abord l’ancienneté de la présence maghrébine en France, qui, contrairement à la perception commune, remonte au XIXe siècle, connaît une nette inflexion démographique dès la Première Guerre mondiale et ne cesse depuis de s’amplifier. Nous avons aussi souhaité illustrer la diversité des ressorts de l’émigration, réduite trop souvent à sa seule dimension économique. Celle-ci est évidemment centrale mais ne peut expliquer à elle seule l’ampleur des flux sur le siècle. Bien avant la sphère économique, l’institution militaire a joué un rôle déterminant dans l’enclenchement, le maintien et le renouvellement des vagues migratoires. Mais il y a eu aussi les arrivées des étudiants, des créateurs de toutes sortes, des exilés à la recherche de la liberté, etc. Il y a ensuite cette parole endogène des populations maghrébines de France qui court du tract au roman, de la pièce de théâtre à la chanson, du tableau de peinture à un film. Paroles belles et poignantes, plurielles, qui disent la révolte face à la colonisation et ses crimes, les affres de la séparation d’avec les siens, l’adhésion aux principes universels, la déception face aux promesses non tenues, la quête de la dignité et de l’égalité.

L’élaboration de cette exposition vous a-t-elle permis de faire des découvertes ?

Les découvertes concernent en premier lieu des archives, privées ou publiques, qui ont émergé aussi bien en France que dans les pays du Maghreb, grâce à la disponibilité de nos partenaires : le ministère de la Culture et la médiathèque de l’architecture et du patrimoine pour les superbes et oubliées photos du Studio Harcourt, EMI pour les archives musicales de la maison Pathé-Marconi, l’Institut national de l’audiovisuel pour des images et des sons inédits, la Sacem pour les contacts avec les artistes ou leurs familles… Mais il y a aussi le sens global que l’on peut tirer de cette histoire. S’il faut d’évidence que la République reconnaisse la diversité de son peuplement historique et les apports de cette diversité, il y a à considérer ce que les vagues migratoires successives ont emprunté à ce patrimoine. Le métissage ne s’est pas fait que dans un sens.

Comment vous êtes-vous appuyés sur la recherche historique?

Un comité scientifique pluridisciplinaire s’est réuni pendant deux ans autour de l’exposition, mais nous avons aussi, et la lecture du catalogue de l’exposition vous en donnera une idée plus précise, fait appel à des chercheurs et universitaires qui ne sont pas au sens strict des spécialistes de l’histoire de l’immigration, mais d’une discipline ou d’une autre (histoire de la peinture, de la musique, du cinéma, etc.). Leur apport se révèle essentiel pour élargir la perspective historique.

Cette exposition a déjà été montrée à Lyon, comment y a-t-elle été reçue? Qu’attendez-vous de son arrivée à Paris, à la Cité ?

D’après le livre d’or, pour les uns il s’agit d’une réparation, pour d’autres d’un enrichissement sans précédent de la mémoire collective. La venue de cette exposition à Paris et la programmation qui l’accompagne vont permettre une visibilité nationale et donc de partager avec le plus grand nombre cette histoire riche et prometteuse. Dès le départ, l’exposition a été pensée, conçue pour et avec la Cité, dont nous sommes un partenaire depuis l’éclosion du projet de ce lieu, unique en son genre en Europe.

 

Source: (HTTPS//WWW.HISTOIRE-IMMIGRTION.FR/SITES/DEFAUT/FILES/PHOTOS/DSC 0100.JPG