Ecofin Hebdo) – « C’est la guerre. » « Pire qu’une guerre ! » « La vraie troisième guerre mondiale » … Le Sars-Cov-2 a remis au goût du jour la rhétorique guerrière. Une exhibition de muscles sans résultat devant cet adversaire d’une centaine de nanomètres devenu soudain ennemi mondial n°1. Mais dans le fond de la classe, des voix habituellement raillées essaient d’attirer l’attention du professeur impuissant devant cette nouvelle équation. « Et si on essayait … » chut !
« Approche méthodologique approximative », « Problèmes de dosage », « Peu de preuves cliniques » … les griefs qui rendent la médecine traditionnelle suspecte à la science moderne sont nombreux. Mais passé les premières réactions allergiques, parfois fondées, ne convient-il pas de mettre de côté les certitudes pour explorer cette science et les possibilités qu’elle offre ? L’impasse thérapeutique (à ce stade) face au Covid-19 a ramené sur le devant de la scène des remèdes parfois centenaires issus des savoirs thérapeutiques traditionnels. Mais longévité n’est pas science, dira-t-on. A raison.
Dans ce concert discordant de remèdes ubuesques qui fleurissent sur internet, des voix crédibles essaient de se rendre audibles. Au premier rang de celles-ci, la voix de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) domine. L’empire du Milieu affirme avoir eu des résultats probants avec sa médecine traditionnelle et propose déjà son expertise aux autres pays touchés par la pandémie. Une idée tournée en ridicule par certaines chancelleries, surtout après la rétractation de Pékin à propos du « shuanghuanglian », un remède inspiré de la pharmacopée chinoise.
Dans cette course contre la mort, deux chercheurs africains essaient, eux aussi, de rassurer le monde. La médecine traditionnelle aurait des solutions thérapeutiques et préventives efficaces contre le covid-19. Le plus médiatisé actuellement est sans doute le Béninois Valentin Agon (photo), un ancien pensionnaire du Collège des médecines douces de Québec, célèbre pour la découverte d’un autre antipaludique (Api-palu). Les autorités burkinabè ont reconnu l’efficacité de son « Apivirine » contre le covid-19 et poursuivent actuellement les tests. Une lueur d’espoir qui semble laisser indifférents la quasi-totalité des pays africains et occidentaux. Le gouvernement béninois a, quant à lui, reconnu du bout des lèvres accompagner le docteur Agon dans ses recherches. Pourquoi ?
Cette incompréhension vire à l’inquiétude quand on se remémore la longue bataille du Dr Jérôme Fagla Medegan pour faire accepter son médicament contre la drépanocytose. « Le VK 500, toujours en vente, n’a jamais prouvé son efficacité. Il est même aujourd’hui remis en cause scientifiquement ». Une insulte parmi tant d’autres à l’endroit de ce médecin et chimiste béninois (encore !), versé en pharmacopée. Inquiétude, parce qu’il est légitime de se demander s’il ne sera pas autant combattu et vilipendé maintenant qu’il affirme détenir le remède contre le covid-19.
Api-palu et VK 500 ne sont toujours pas acceptés par l’establishment. Des preuves scientifiques trop fragiles, selon les ténors de la médecine conventionnelle. Chimistes ou herboristes illettrés sont classés dans la même catégorie : celle des analphabètes de la science.
Cette arrogance de la médecine moderne fera-t-elle amende honorable avec cette nouvelle crise ? Rien n’est moins sûr.
La pratique médicale moderne s’appuie sur une industrie pharmaceutique très puissante. Riche en scandales aussi. Des affaires coûteuses en vies humaines, sans que rien ne vienne remettre en cause cette alliance ou encore son efficacité. « Fluctuat nec mergitur ». Comme Paris. Comme les Laboratoires Gerda qui ont leur siège dans la Ville lumière et à qui l’on doit le Distilbène qui s’est révélé cancérigène et responsable d’anomalies génétiques. Comme Servier juste à côté. Fabricant du Médiator, l’un des plus célèbres scandales de l’histoire des médicaments. Comme Merck avec son Vioxx qui a tué des dizaines de milliers de personnes, rien qu’aux Etats-Unis, et génère annuellement un chiffre d’affaires de 2,5 milliards $.
Les médicaments qui tuent ou rendent malade, ce n’est pas une nouvelle de Stephen King. C’est une réalité qui se vit sur les deux rives du savoir médical. Où est passée la preuve clinique tant reprochée à la médecine traditionnelle dans ce cas ? Elle a disparu avec la compréhension physiopathologique des maladies. Désormais les médicaments sont mis sur le marché sur la foi de preuves théoriques et statistiques. Bonjour les falsifications.
L’argent, le fil conducteur de cette querelle des anciens et des modernes alors ? Puisqu’on parle d’argent que coûterait un pont entre les deux formes de médecine ? Moins de vies humaines en tout cas. Et si l’Organisation mondiale de la santé reconnaît la médecine traditionnelle et ses prestations, ce changement de cap n’a guère amélioré l’opinion de la médecine conventionnelle sur cette sœur inconnue.
Les exemples d’une collaboration réussie ne manquent pourtant pas. En 2015, le comité Nobel a poussé dans cette voie (involontairement peut-être) en attribuant le prix Nobel de médecine à Tu Youyou, pour sa découverte de l’artémisinine, un antipaludique à l’efficacité révolutionnaire. Un résultat que la médecin chinoise doit tant à sa formation en médecine conventionnelle qu’à sa connaissance des techniques de la médecine traditionnelle chinoise.
Le covid-19 n’inaugurera pas l’ère de la fraternisation. C’est un fait. Qui s’observe à l’œil nu.
Les propositions thérapeutiques des chercheurs Valentin Agon et Jérôme Medégan Fagla ont suscité très peu d’écho chez les scientifiques et dirigeants africains qui, pour la plupart, ont le regard tourné vers l’Occident.
Le Burkina Faso, le Bénin et le Togo semblent bien seuls sur la liste des pays décidés à mobiliser la médecine traditionnelle pour enrayer le fléau.
En attendant la fin des essais cliniques de la chloroquine, il devient important d’organiser et de réglementer un savoir africain autonome. Allons-nous sortir mieux avisés de ce traumatisme ?
Stéphane Alidjinou