HISTOIRE SECRETE DE LA CONSTRUCTION DE LA BASILIQUE DE YAMOUSSOUKRO

 

HOUPHOUËT, LA BASILIQUE, LE SAINT PERE ET LES IMAMS, TEMOIGNAGE DU Dr BERRAH

 

Le rêve du président Houphouët était de construire avec sa famille une basilique à Yamoussoukro en l’honneur de la Vierge Marie, qui porterait le nom de basilique Notre-Dame de la Paix. Depuis la bénédiction de la première pierre par le pape Jean-Paul II lors de la consécration de la cathédrale Saint-Paul d’Abidjan, il continuait de prier et de méditer sur le projet. Je savais combien grande pour lui en était la signification, et je le sentais vibrer toutes les fois qu’il me parlait de sa vision.

Dès la pose de la première pierre, des critiques s’élevèrent de toutes parts à travers le monde. Pendant toute la période de construction, l’on put relever une série d’ambiguïtés dans les articles publiés autour du globe. Pour des raisons inconnues, les journalistes occidentaux en particulier se focalisaient essentiellement sur la taille monumentale de l’édifice et rien d’autre. Les critiques, auteurs de nombreux articles récalcitrants sur la basilique, n’émouvaient en rien le président, il attendait plutôt avec impatience la fin des travaux et nourrissait intensément le souhait d’un nouveau déplacement du Saint-Père pour la consécration. M. Antoine Césaréo, le maître d’œuvre, s’immergea de façon totale dans la construction et s’attela à respecter l’intégrité architecturale du début à la fin. Il contrôla tous les aspects du chef-d’œuvre de Pierre Fakhoury. Après cinq ans d’un labeur méticuleux avec une attention au détail poussée à l’extrême, jamais déployée pour aucun projet en terre ivoirienne, la basilique fut enfin achevée et s’élevait en pionnière dans sa capacité, parmi les meilleurs exploits architecturaux. Aujourd’hui, cette magnifique structure se dresse dans le ciel comme un joyau historique.

1) Les Musulmans ivoiriens et la Basilique

Rien ne pouvait garantir le déplacement de Sa Sainteté. Des voix dissonantes et des critiques spéculaient sur le fait qu’il pouvait surgir des obstacles risquant d’empêcher le Saint-Père d’entreprendre le voyage. Le président Houphouët fut bouleversé d’apprendre la per version des faits par les critiques qui répandaient des contre-vérités, prétendant que la construction de la basilique avait pour dessein de freiner la progression de l’islam en Côte d’ivoire et qu’elle causait le mécontentement de la population musulmane, en plus grand nombre dans le pays, alors qu’il n’en était rien. La réaction du Vatican devenait de plus en plus réservée et la venue du Saint-Père semblait réellement compromise. Le président et moi savions que la négativité de la presse avait placé le Saint-Père dans une position délicate et que le discours public pourrait le pousser à ajourner son voyage de crainte de froisser la population musulmane et de provoquer des frictions en Côte d’ivoire. Le président Houphouët fut surpris par l’intensité et la magnitude de la rhétorique virulente épousée par de nombreux sceptiques. En tant que musulman, préoccupé par la tournure des événements, je décidai finalement de me lancer dans une mission au Vatican pour balayer une fois pour toutes les critiques dénigrantes.

La Basilique de Rome (Italie)

 

A mon arrivée, je fus reçu par le cardinal Angelo Sodano, secrétaire pour les relations avec les États, en présence de l’ambassadeur de Côte d’ivoire près le Saint-Siège, M. Joseph Amichia. « Pour les musulmans de Côte d’ivoire, il n’y a rien de trop grand, de trop beau pour Dieu », tels furent les premiers mots que j’émis en toute franchise au cardinal Sodano. Nous parlâmes quelques minutes et nous nous connectâmes spirituellement, mais la pleine force de mon approche candide et la pureté de mes dispositions résonnèrent au-delà de la sincérité de mes paroles. À la fin de ma visite, il promit de transmettre mon message au Saint-Père. Nous débordions tous deux d’émotion. Après que le cardinal nous eut escortés à travers les halls magnifiquement décorés, l’ambassadeur Amichia m’exprima que le fait d’accompagner des invités au-delà de la salle de réunion était de sa part un geste absolument inhabituel. Nous admirâmes une dernière fois les espaces à s’en faire tomber la mâchoire, ornés de fresques de la Renaissance, et les décorations novatrices dans la résurgence architecturale du bâtiment. Bien que m’étant rendu au Vatican quelques années auparavant, je ne me lassais pas de sa majesté. À l’époque, j’étais en compagnie du ministre Usher et de Charles Aillot-About, l’ambassadeur de Côte d’ivoire en Italie, pour des pourparlers formels avec le pape Paul VI en vue de l’ouverture de la première ambassade de Côte d’ivoire près le Saint-Siège.

 

          2)  Le Saint Père confirme son voyage à Yamoussoukro

Le pape Jean Paul II

Le cardinal Sodano transmit mon message, qui fut bien accueilli par Sa Sainteté, et peu après mon retour en Côte d’ivoire, nous reçûmes la confirmation que le pape était décidé à effectuer le voyage.

Quelques semaines plus tard son avion atterrissait à Yamoussoukro pour cette occasion historique. Je me rendis au palais présidentiel pour accueillir le Saint-Père la veille de la consécration et je tins sa main serrée dans les paumes de mes mains. « Très Saint-Père, je suis l’ambassadeur Berrah. Je suis celui qui s’est rendu au Vatican pour affirmer que la communauté musulmane serait très heureuse de vous voir dans la basilique. Soyez le bienvenu en Côte d’ivoire, et je voudrais vous exprimer ma sincère gratitude pour avoir effectué ce long voyage en cette occasion historique. »

Je me mêlai aux quelques privilégiés présents pour la réception. Une énergie spirituelle intense transparaissait, et l’on pouvait littéralement ressentir dans l’atmosphère la tendresse exceptionnelle du Saint-Père. Après ce qui semblait être des mois sans fin de construction au milieu de la frénésie des médias, le jour tant attendu était finalement arrivé. Nous savourions tous ces minutes mémorables d’indulgence mystique, par la présence de Sa Sainteté assise humblement parmi nous, avec un sourire modeste et recevant chacun de nous dans ses bonnes grâces. Il présentait des signes perceptibles de fatigue, conséquents à un voyage tourbillonnant qui l’avait mené à travers la Méditerranée vers trois pays d’Afrique de l’Est avant d’arriver dans notre chère Côte d’ivoire. Le président conversa tranquillement avec lui, environ une demi-heure avant de l’escorter vers sa limousine spéciale pour le conduire à la résidence papale, dans l’enceinte de la basilique.

 

                  3) Tractation avec les Imams

Immédiatement après son départ, mon épouse et moi rendîmes visite à un groupe sélectif d’imams pour confirmer leur engagement d’assister à la cérémonie de consécration. Chacun des leaders musulmans de Côte d’ivoire avait été convié à la cérémonie prévue le 10 septembre 1990 et nombre d’entre eux étaient déjà dans la cité. Quelques jours plus tôt, Mgr Mullor était arrivé de Genève où il était en poste pour demeurer avec nous à Abidjan. Nous voyageâmes ensemble en voiture jusqu’à Yamoussoukro afin de nous assurer que la logistique était bien en place. Extrêmement serviable, il se portait toujours volontaire pour apporter son assistance. Nous nous attelâmes à notre devoir chacun de notre côté et avions prévu de nous retrouver dans la soirée pour le dîner. J’avais une dette particulière de reconnaissance à son endroit pour son engagement moral, un trait naturel de son caractère, ancré dans sa personnalité vibrante et déterminée, qu’il manifesta de façon suprême dès la pose de la première pierre, jusqu’à la fin de la construction.

Après une série de rencontres brèves avec les imams, Titi et moi étions rassurés par leur engagement formel d’être présents. Nous étions apaisés lorsque nous fumes convaincus de l’issue heureuse de nos ouvertures dans la communauté musulmane, au nom de la paix et de l’harmonie continuelles entre les deux religions majeures. Nous rejoignîmes ensuite Mgr Mullor pour dîner à l’Hôtel Président. Le restaurant était bondé, fréquenté en grand nombre par des dignitaires et des membres de l’entourage du souverain pontife. « Mon cher frère, je voudrais faire parvenir un message au Saint-Père. Pouvez-vous lui faire savoir que je suis assuré de la présence des imams de Côte d’ivoire à l’événement de demain ? J’ai l’engagement formel de chacun d’eux. » Les mots s’écoulèrent de mes lèvres et montèrent vers les oreilles ravies de Mgr Mullor, qui tenait à peine sur sa chaise: «Ah, Ghoulem, c’est très très important. » Il s’excusa et se hâta de retrouver Joaquin Navarro- Valls, le porte-parole personnel de Sa Sainteté, qu’il invita à notre table. Avec beaucoup de finesse et une retenue prudente typique de l’Opus Dei, M. Navarro-Valls me regarda dans les yeux, affichant une curiosité expectante. Je lui livrai le même message, il me remercia, nous serra la main et promit de le notifier au Saint-Père.

Le lendemain, le pape Jean-Paul II commença son homélie revigorante par une phrase mémorable: «Je voudrais remercier les imams de Côte d’ivoire de leur présence dans la basilique pour participer à la cérémonie de consécration. Bienvenue à chacun de vous. » Lorsque les caméras du monde entier se braquèrent Finalement sur eux dans la basilique, les téléspectateurs autour du globe furent pratiquement aveuglés par la mer de bon bous blancs sur les bancs d’église. La scène historique transforma nos détracteurs en admirateurs instantanés, ceci nous permit de ne pas oublier que la paix et l’harmonie avaient prévalu contre les négateurs, et que le monde entier était devenu une plateforme d’unité entre les êtres humains pour la célébration de notre foi commune.

 

Extrait de  »Un rêve pour la Paix » du Dr Ghoulem BERRAH, ancien conseiller du Président Houphouët Boigny

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