Immigration Illégale: Sur les traces mortifères de ces Ivoiriens de retour au bercail

 

Vêtus d’une capuche, un jeune homme d’une vingtaine d’années, très amaigri, tente de fuir les regards et les flashs et autres appareils photos. Difficilement, Il descend les marches de I ’échelle de coupée du vol charter affrété par les autorités ivoiriennes. A peine ses deux pieds touchent-ils te bitume qu’il pousse un grand ouf, signe évident de soulagement, embrasse le sol du pays qui l’a vu naitre, avant de Jeter un regard vers les cieux, comme pour dire merci à Dieu. Juste à côté, une Jeune mère, légèrement, vêtue serré contre son nourrisson. Quelques mots à peine audibles sortent de sa bouche : « nous sommes sauvés ! ». Nous sommes dans la soirée du 1er septembre 2020. Un avion vient de s’immobiliser sur te tarmac de l’aéroport International Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Au bas de l’échelle coupée, on peut voir le ministre de l’intégration africaine et des ivoiriens de l’extérieur d’alors, Albert Flindé, qui avait à ses côtés des responsables do l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations), organisme des Nations Unies en charge des questions migratoires. Tous y sont pour accueillir 32 Ivoiriens, des deux sexes dont des nourrissons, de retour d’Algérie après avoir tenté irrégulièrement de joindre l’Europe. Avant eux, de nombreux autres compatriotes ont regagné la mère patrie, via des vols affrétés par l’Etat de Côte d’Ivoire. Pour tous ces bras valides, la recherche d’un mieux-être s’est transformée en un véritable cauchemar qui a hanté de jour comme de nuit leur quotidien. Nous sommes allés sur les traces de trois d’entre eux, qui ont eu te courage de nous conter leur mésaventure.

 

Ce mercredi 29 janvier 2021, sous un soleil de plomb, nous sommes au grand marché d’Adjamé, plus précisément au « Black Market ». L’endroit grouille de monde et connaît son vacarme quoti­dien. Des commerçants, hommes et femmes de tous âges, s’adonnent à leur jeu favori : héler les passants, considérés comme de potentiels clients. S’ils ne vocifèrent pas à tue- tête, c’est par le biais de décibels toni­truants de mini-chaînes qu’ils s’évertuent à attirer la clientèle, tout en vantant les mérites de leurs différents produits. D.Y., vêtu d’une chemise rayée assortie d’un pantalon « bleu jean », est l’un d’entre eux. Devant son magasin, il apostrophe tous les passants. Il crie à en perdre haleine pour allécher la clientèle et la détourner ainsi vers le magasin de vente de vêtement qu’il tient. Agé de 32 ans, l’homme est dans ce maga­sin, malgré lui. Vendre à Adjamé, dans ces conditions, on le saura plus tard, n’était pas dans ses plans. D.Y, rêvait grand. Il voulait sortir de la précarité dans laquelle ses parents et lui vivaient. Le saut pour lui ne pouvait se trouver que ce l’autre côté de la Méditerranée. « Derrière l’eau » comme on dit chez nous. Sa décision est donc résolument prise quitter son pays pour l’Eldorado au pays de la Sicile et de la Sardaigne. Le 14 avril 2017 il met son projet a exécution. Le voilà qui saute sur la première occa­sion oui s’offre à lui. D.Y décide de ranger scie et marteau, et renonce aux 2000 FCFA, jugés par lui très insuffisants, qu’il pouvait épargner quotidiennement, fruit de son métier de menuisier. « J’ai pu épargner 150.000 FCFA et avec l’aide de mes frères, j’ai pu avoir 250.000 FCFA. C’est avec cette somme que j’ai pris la route de l’aventure », raconte-t-il, Il explique alors que c’est l’un de ses amis vivant en Tunisie qui lui a envoyé sa lettre d’invitation et payé son billet d’avion. « Je n’ai eu aucun problème au départ de l’aéroport d’Abidjan, puisque j’ai indiqué aux agents que j’y allais pour des vacances », souligne-t-il. Si le départ s’est passé sans grabuge, le calvaire de ce trentenaire débutera une fois sur la terre des Aigles de Carthage. Car, contrairement à l’hôtel de luxe que lui avait miroité son ami, c’est dans l’appartement de ce dernier qu’il logera, durant six mois, dans le quartier Clinique de la Soukra, près de la capitale Tunis. Notre Interlocu­teur dit avoir pu s’offrir un job dans une boulangerie et contribuait ainsi aux charges de la maison. Très vite, D.Y sera en situation Irrégulière, son passeport n’étant valable que pour trois mois, après quoi. Il lui fallait un titre de séjour. Commence alors la clandestinité. « Quand nous voyions la police, nous nous cachions. Parce que désormais, nous travaillons dans l’illégalité ». Six mois après son arrivée en terre tunisienne, D.Y et son ami décident alors de se rendre en Italie par la mer. Ils entrent tout de suite en contact avec des passeurs appelés “coxers”. Des Maliens et Burkinabés parlant parfaitement la langue arabe. Mais la prudence étant de mise dans ce type de transaction, c’est à des entremetteurs ivoiriens qu’ils remet­tent la modique somme de 400.000 FCFA, quitte à eux de l’acheminer aux passeurs.

« On a été punis et frappés. (…) La traversée de l’eau était l’étape la plus difficile »

Puis vient le jour du départ où II leur est demandé de ne se vêtir que d’un short et d’un et d’un débardeur. Ils sont 130 passagers au total. Avec eux, des Camerounais et des Maliens, au nombre desquels des femmes, dont certaines sont enceintes. Tout ce beau monde est invité à prendre place dans le coffre de véhicules de type pick-up. Il est 1 heure du matin, selon D.Y, quand sonne le moment fatidique du départ. Entassés par lot de 5 ou 10 personnes dans les cof­fres, pour minimiser tous risques d’être débusqués au contrôle policier, leur assure-t-on, Ils n’ont comme seul Indicateur de l’effectivité du voyage, que le vrombissement du moteur qui déchire le silence de la nuit. « Nous savions que nous nous déplacions d’un point A à un point B, sans plus ». Ce périple nocturne vers l’inconnu, selon D.Y., Ils le feront durant une heure. Après quoi, Ils sont extraits du véhicule sans ménagement et littéralement abandonnés dans le désert par leurs convoyeurs. « Il fallait faire le reste du chemin à pied, sur environ un kilomètre », se souvient D.Y. Au bout du chemin se trouvent l’océan et, surtout, le zodiac ! Ce fameux bateau en pneumatique dont la seule vue cristallise chez nos aventuriers la somme d’espoir et de rêve d’accession à l’Eldorado européen. L’engin est vite gonflé par des passeurs trouvés sur place. Un moteur y est installé et un « pilote » désigné au hasard parmi les aventuriers. C’est à ce dernier, forcement pris de court et d’inquiétude, que revient la lourde tâche de conduire ses cama­rades de fortune à bon port. « Nous avons compris dès cet instant que notre destin ne tenait qu’à un fil et que nous étions livrés à nous-mêmes et pris à notre propre piège », raconte D.Y. Parce que bien entendu, nos passeurs s’étaient gardés d’embar­quer avec les malheureux candidats à l’immigration.

Embarquement et fin d’illusions

Désormais leur sort est entre les mains de leur propre compagnon d’aventure et d’embarquement dans le zodiac peut alors commencer « Galanterie » oblige, ce sont d’abord les femmes, puis les enfants ensuite les hommes qui prennent place dans l’engin. Ils sont en tout 130 migrants clandestins à tenter la traversée marine. « Pendant le trajet, les malaises, du lait de la brise, ne tardent pas à se signaler. Mais il est interdit de vomir, d’uriner encore moins de faire ses selles. Coté nourri­ture, c’est déjà la disette. Presque plus rien ne reste du peu de provision emporté », se souvient-t-il.

Quatre heures après les premiers ronflements du moteur, les aventuri­ers peuvent savourer leur première victoire : le basculement dans les eaux occidentales. Soulagement bientôt conforté par l’apparition d’un gros bateau : celui du dernier embar­quement avant « la terre promise », croient rêver nos voyageurs. Enthou­siasme de très courte durée cepen­dant. Car raconte notre malheureux aventurier : « avant d’atteindre le bateau, un hélicoptère s’est mis à tourner autour de nous. Pour faire l’é­tat des lieux du zodiac et nous orien­ter », nous a-t-il dit. Mais à proximité du mastodonte, les passagers du zodiac sont informés que le ; gros bateau en question appartenait à la marine tunisienne et qui était là pour venir les chercher, Traduction : pour les 130 passagers du zodiac, l’aventure venait de tourner court.  Presque si près du but !  Il fallait s’apprêter à retourner à la case départ. C’est-à-dire à Tunis. Dans un silence □e cathédrale, ponctué de sanglots du désespoir de quelques-uns d’entre eux, que l’embarquement des voyageurs clandestins pouvait se faire. « Nous sommes montés à bord la peur au ventre. Nous savions très bien que nous venions de nous faire prendre la main dans le sac et que, en tant que fraudeurs, nous devrions nous atten­de à des représailles », relate D. Y. Et on peut dire que leurs craintes étaient justifiées. « Si n’y a pas eu de désagrément majeur, de décès notamment le supplice a été terrible », se souvient-il. Les marins tunisiens ne nous ont pas fait de cadeau. Nous avons été sévèrement punis pour notre “Crime’’. Frappés et violentés, que n’a-t-on pas subi comme traitement inhumain durant les deux jours qu’a duré ‘’notre Voyage retour ‘’ raconte le trémolo dans la voix de D. Y, pour qui la traversée de l’eau reste le moment le plus difficile pour eux. Difficile fut sans doute également l’arrivée de nos aventuriers en Tunisie. Car ce sont de véritables camps de déportation qui les accueils et où ils séjournent pendant plus d’un mois. « On ne mangeait qu’une fois par jour et des bénévoles de Médecin Sans Frontière Sans (MSF), qui venaient parfois nous ausculter, ne pouvaient que con­stater les dégâts physiques que la faim causait sur nos corps amaigris », se remémore -t-il. Mais la fin du calvaire fini par arriver quand l’ambassade de Côte d’Ivoire alertée, vient les sortir des griffes de leurs bourreaux et le rapatriement, qui intervient dès le lendemain même, fut comme une grande délivrance.

Filière Koweitienne, quand l’esclavage ne dit pas son nom

Le lendemain, c’était un 30 janvier nous mettons le cap sur Yopougon, précisément à la maison d’arrêt de correction d’Abidjan (MACA), pas pour y visiter un détenu. Mais pour rencontrer dame B.M, qui habite dans l’un des immeubles de la cité qui jouxte la célèbre prison abidjanaise et qui abrites les employés de l’établissement caséral. Agée de 39 ans, notre interlocutrice est vêtue ce jour-là d’un ensemble pagne assorti d’un cache- nez. Il est 16h15, lorsque cette musul­mane venait de finir sa prière et nous rejoint. Les échanges d’usage terminés, la voix nouée d’émotion, notre hôte entreprend de se décharger du lourd fardeau qui l’écrase depuis bien longtemps. Titu­laire d’un baccalauréat, elle nous informe que jusqu’en 2014, elle travaillait dans une maison d’assurance. Mais face au poids des dépenses de la famille, l’envie de quitter le pays lui traverse l’esprit L’occasion se présente un jour alors qu’elle est au service. Lors d’échanges avec un de ses clients, ce dernier lui fait une con­fidence que B.M. prend tout de suite au sérieux : La confidence en ques­tion, c’est une possibilité de voyage au Kenya pour y travailler. Une aubaine inespérée que notre candi­date à l’aventure saisit immédiate­ment au vol. D’autant que l’offre d’em­ploi est particulièrement alléchante : un organisme international serait à la recherche de jeunes dames, ayant au moins le niveau bac. B.M, qui remplit cette condition, croit son heure de gloire arrivée. Sauf qu’un détail, et non des moindres, lui a échappé : le nerf de la guerre. Une telle offre a nécessairement un coût un peu plus probant que la norme. « J’ai dû renoncer à la dernière minute, parce que l’argent que j’escomptais n’a pu être réuni », explique-t-elle. Ce signe, peut-être divin, n’attire pas l’attention de la jeune dame. Le client en ques­tion, comme un fauve qui vient de voir une proie lui échapper, ne s’avoue pas vaincu. Il revient à la charge, quelques jours plus tard, avec une autre proposition. Devant cette sec­onde chance, notre Interlocutrice, tou­jours tête baissée, fonce tout droit, cette fois avec l’assurance de la femme avertie, qu’on ne saurait plus prendre à défaut. La destination est du reste un motif supplémentaire de sa détermination à ne pas laisser cette autre chance filer. Cette autre chance s’appelle le Koweït Une filière dont beaucoup d’aventuriers rêvent. B.M. se lèche les babines quand on lui brandit les avantages autrement plus affriolants que tous les autres. La jeune dame se résout à ne pas laisser filer entre ses doigts cette autre occa­sion, qui sera peut-être la dernière. D’autant que, au plan finance, B.M. a eu le temps de s’aménager une petite réserve. Très vite, elle réunit donc les 700.000 FCFA exigés par le fameux client L’idée de quitter la Côte d’ivoire, se fait plus forte et rien ne semble l’ar­rêter. Même le changement de l’it­inéraire initial ne la fait pas tiquer. En effet, en lieu et place de l’aéroport d’Abidjan, ou elle devrait prendre son vol, B.M est priée de se rendre au Mali pour s’envoler pour le pays de l’Emir. Le voyage Abidjan – Bamako se fera par la route. Aidée par une sœur, c’est par un jour de soleil ardent qu’elle arrive dans la capitale malienne quartier « plaque ». Là-bas, elle est logée chez un homme qui lui a été présenté comme un imam. « Cette présentation a dissipé mes doutes et créé plus de confiance en moi », reconnaît-elle. Une confiance décuplée par l’arrivée les jours suivant de plusieurs autres filles, parmi lesquelles six Ivoiriennes et une Burk­inabè, qui du reste s’envolera le lendemain même pour l’eldorado koweïtien.

Dans la prison de salmiya au Koweït, les migrantes seraient battues et violées

C’est beaucoup plus tard que B.M. et ses camarades d’aventure obtien­dront le précieux sésame : le billet d’avion pour te Koweït.  A 8 heures du malin, elles peuvent donc quitter Bamako pour la destination tant convoitée. Après près de 20 heures de vol, avec escale à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne-, c’est aux envi­rons de 3 heures du matin que la petite légion ivoirienne, atterrit à l’aéroport international du Koweït Et c’est à cet endroit que sont percepti­bles les prémices d’un séjour difficulteux, et qui auraient dû mettre la puce à l’oreille de B.M. En effet, alors qu’elle est encore sous le charme du réceptif aéroportuaire ultramoderne, surgit de nulle part une dame qui exige de lui remettre son passeport. Surprise par cet accueil pour le moins inattendu, elle s’entend dire par l’inconnue que c’est la règle à laquelle se sont soumises plusieurs autres filles dans son cas (des Philippines, Indi­ennes, Ethiopiennes…) arrivées elles-aussi au Koweït. Ce serait la condition sine qua non avant de quit­ter les lieux. La mort dans l’âme, elle ne peut que s’exécuter. « Je me suis dit, si les autres l’ont lait, pourquoi pas moi ? », Justifie-t-elle. Elle peut alors, avec ses autres camarades, fouler le sol de leur pays de rêve. « A ce moment-là, je me suis dit que ma témérité avait fini par payer et les pro­jets que j’avais longtemps caressés se sont mis à défiler dans ma tête », raconte-elle. Mais la témérité peut être parfois source de tous les tour­ments et notre aventurière ne tardera pas à l’apprendre à ses dépens.

La première désillusion de, B.M. s’est présentée sous la forme d’un quidam, un Malien se disant basé dans le pays, qui s’est proclamé son tuteur et lui a demandé de le suivre chez lui. Là-bas, elle se retrouvera avec une vingtaine de filles ivoiriennes, excepté une seule, nigérienne. « Nous étions à peu très 25 filles. Certaines étaient très souffrantes. Elles disaient vouloir rentrer. Quand nous avons échangé, elles m’ont expliqué qu’en lieu et place du travail qu’on leur avait promis, elles devaient se contenter d’être de simples femmes de ménage. Toutes les filles pleuraient ainsi pour avoir été volon­tairement trompées. Evidemment, j’ai été à mon tour prise de panique », relate-t-elle. Mais selon B.M., son tuteur l’a aussitôt rassurée en lui indi­quant qu’elle ne travaillerait que quelques jours dans une famille d’ac­cueil avant de rejoindre son poste de caissière dans un supermarché, comme convenu à Abidjan. Une chose qu’elle a dû concéder en s’ac­crochant à l’espoir que la promesse à lui ainsi farte soit tenue, le moment venu.

Après donc un mois de « sacrifice », quelle ne fut la surprise de dame B.M de ne recevoir comme salaire que la modique somme de 70 dinars koweï­tiens, soit 125.056 FCFA, en lieu et place de 300.000 FCFA promis à Abidjan. C’est ainsi qu’elle dit avoir tenté en vain de joindre son tuteur malien. « Le deuxième mois, mon patron m’a demandé si j’avais un compte afin qu’il expédie mon argent. J’ai demandé qu’il le fasse sur le compte de mes frères, qui devaient payer leur scolarité. Nous sommes allés dans une agence pour l’expédi­tion. Et à ma grande surprise, il était mentionné sur le document de transfert la somme de 300.000 FCFA pour deux mois de salaire. C’est à partir de là que j’ai commencé à me rebeller. Parce que le total de deux mois de salaire devait être 600.000 FCFA, c’est en ce moment que ma patronne m’apprend que mon tuteur a été arrêté par la police pour trafic », con­fesse-t-elle.

Après cette déconvenue ; B.M. dit être restée durant plusieurs mois dans sa famille d’accueil. « Le salaire me dérangeait, parce que le travail était énorme. Je me plaignais chaque fois pour cela », dit-elle. Mais notre inter­locutrice n’était pas au bout de ses peines. Elle sera encore plus abattue quand elle saura qu’elle a été vendue depuis Abidjan. « Ma patronne m’ap­prend qu’ils ont déjà fait venir la moitié de mon salaire de deux ans au pays, c’est-à-dire 700 dinars, soit à peu près 1300.000 FCFA afin d’assister ma famille », dit-elle la gorge nouée. En clair, sa famille d’accueil avait donné l’avance de deux ans de salaire à celui à qui elle avait remis la somme de 700.000 FCFA à Abidjan. « Il a fait croire que j’étais une démunie et que j’avais besoin d’aide. Je me suis rendu compte que j’ai été presqu’achetée », s’indigne-t-elle. C’est ainsi que B.M travaille pendant quatre ans dans sa famille d’accueil avec un salaire dérisoire. Après plusieurs con­flits entre elle et ses patrons, ceux-ci sont résolus à se débarrasser de leur fille de ménage. Ils appelant la police à la rescousse au motif que cette dernière refuse de travailler. Voilà comment la jeune Ivoirienne passe huit mois dans une prison koweïti­enne dans des conditions de déten­tion déplorables et pénibles. « C’était l’horreur. Nous subissions des sévices corporels graves. Nous étions violées à n’importe quel moment On nous versait de l’eau chaude dessus, au motif que nous étions venues chercher des problèmes dans leur pays. Nous étions plus de 300 femmes dans cette prison et on mangeait à peine une fois par jour », se souvient-elle en larmes. B.M aura son salut grâce à un Ivoiro-burkinabé du nom de Saïd Kouaman, ayant vécu plus de 20 ans au Koweït, ainsi que sa fille restée au pays. Ce dernier ne ménagera aucun effort pour entreprendre des démarches auprès de l’ambassade de la Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite, à l’effet de sortir cette ivoirienne de cet enfer. Comment cette rencontre divine a pu avoir lieu ? « Ma fille a rencontré un imam burkinabé dans la commune de Koumassi à qui elle a expliqué ma situation. Celui-ci a demandé a demandé une photo de moi qu’il envoya à ses frères burkinabés résidant au Koweït. C’est ainsi que J’ai été reconnue par certains qui ont dit que j’étais dans la prison de Salmiya. Ces personnes venaient me rendre visite régulièrement avec de quoi me vêtir, me nourrir et me soigner », témoigne-t-elle. Après les échanges de coordonnées et les vérifications appropriées, l’ambassade a établi un laissez-passer pour la libération de B.M. « J’ai pu payer mon billet d’avion retour grâce à l’argent envoyé par ma fille », relate-t-elle.

Dosso Adam’s et 129 migrants arrêtés par les rebelles libyens avant leur entrée en Italie

Le vendredi 31 janvier 2021, nous voici à Abobo. Comme à son habitude la commune du maire Hamed Bakayoko (décédé le 10 mars dernier) est noire de monde. Il est un peu plus de 10 heures, quand nous arrivons au quartier Andokoi, non loin du dépôt 9 de la SOTRA Dosso Menéné Adam ‘s et ses parents vivent dans l’une des nombreuses cours communes de ce quartier populaire. C’est en cet endroit qu’il nous reçoit Prolixe à souhait, notre interlocuteur ne met pas assez de temps pour nous relater sa mésaventure.

Agent de santé, l’homme avait, après sa formation, trouvé un emploi dans une clinique privée de la « commune martyre ». Son salaire lui permettait, tant bien que mal, de joindre les deux bouts. Il se prend même une maison. Mais très vite, l’envie de faire fortune lui monte à ta tête De plus en plus, ses conversations avec certains amis du quartier, une fois à la descente du boulot, tourner, autours d’une envie d’aller voir ailleurs. Pourquoi ne pas partir à la recherche d’un mieux-être hors de son pays ? s’interroge-t-il de façon insistante. Plus encore depuis que, de temps en temps, il entre en contact avec l’un de ses amis basés en Tunisie et qui lui envoie des photos de lui où on le voit dans un certain confort Des clichés qui ont un effet stimulateur immédiat sur Dosso Menéné Adam’s, et le poussent à prendre son destin en main. C’est donc avec joie qu’il se précipite sur l’occasion que lui offre son « ami tunisien », en 2015. Il s’en souvient comme si c’était hier. « Un soir, alors qu’on échangeait, il me dit qu’il pou­vait me faire aller en Tunisie, y tra­vailler et gagner suffisamment d’ar­gent pour ensuite regagner l’Europe ». Dosso Adam’s, qui décide de n’en souffler mot à personne, réunit les 600.000 FCFA que lui exigeait son ami et les lui expédie. Ce dernier, comme convenu, lui fait venir un billet d’avion. Sans autre forme de procès, notre interlocuteur se retrouve un soir à l’aéroport d’Abidjan d’où il embar­que pour la Tunisie, sûr de gagner beaucoup d’argent. Le voyage se passe dans les meilleures conditions qui soient. Dans la commune d’Arianna du quartier Mansoura de Tunes, où il atterrit, notre interlocuteur déchante. Il se rend compte que l’ai­sance dans laquelle semble vivre son ami, n’est qu’un leurre. Ce dernier, le saura aussitôt, exerce dans le bâti­ment en tant qu’aide maçon. Au lieu d’un travail dans le domaine de la santé comme prévu, Dosso Menéné Adam’s se retrouve lui aussi sur des chantiers immobiliers à soulever des briques. Le temps s’écoule et les trois mois de validité de son séjour, avec son passeport, arrivent à terme. Voici notre aventurier obliger de travailler au noir. La clandestinité étant une situa­tion très difficile pour un migrant, DMA songe à une autre destination : la Libye. Obéissant au même mode opératoire décrit plus haut DMA dit avoir alors pris contact avec un passeur, qui lui a réclamé la somme de 1000 euros, soit 650.000 FCFA avec la promesse de le faire traverser de l’autre côté de ta rive. « Une fois cette somme réunie, les candidats au départ pour la Libye. Se souvient notre interlocuteur, sont camouflés dans des pick-up ou des camions de type Kia où ils sont couverts avec des bâches comme des marchandises ». Par des voies détournées, Dosso Menéné Adam’s et ses camarades d’infortunes traversent la frontière à pied, par le désert. La traversée dure deux heures. De l’autre côté de ta frontière, ses camarades et lui sont récupérés par d’autres passeurs qui les hébergent te temps de les pro­grammer pour la traversée, dans un camp hors de la ville. « C’est un réseau où chaque passeur a son camp. Certains sont des policiers, mais ne veulent pas se faire prendre par leur collègues », soutient-il. Dans le camp où il s’est retrouvé, l’attente aura duré deux mois. Vint enfin le jour de « l’affranchissement ». 129 voyageurs ont ainsi embarqué à bord d’un zodiac. Ils n’arriveront jamais à destination, parce que pris à partie par des rebelles libyens. Lourdement armés, qui finissent par envoyer tout l’équipage sur la rive, direction une prison libyenne. « Nous avons échoué la première fois. Parce qu’on a été attaqué par des rebelles libyens au moment où nous étions presqu’arrivés sur les eaux occidentales. Les rebelles se sont interposés entre nous et un gros bateau. Ils ont même mitraillé l’hélicoptère de l’armée itali­enne qui tentait de nous orienter », explique-t-il. Là, commence alors le calvaire. Les hommes sont dépouillés de tous leurs biens et les femmes deviennent des proies sexuelles pour les gardiens des lieux. « Mes parents m’ont envoyé une fois 250.000 FCFA pour la nourriture et les besoins sur le camp. Mais je n’ai reçu que 50.000 FCFA. Parce que l’argent transite par les passeurs qui sont en contact avec des intermédiaires sénégalais, ghanéens ou maliens », raconte-t-il. Selon Dosso Menéné, la rigueur était de mise sur le camp. Quand vous ne respectez pas les conditions dictées par les tenanciers des lieux, vous en subissiez immédiatement les con­séquences. « On vous tirait dessus à bout portant », note-t-il. Après plusieurs semaines de détention, notre malheureux voyageur est tiré d’affaire par son passeur qui décide de lui offrir une seconde chance. Un autre zodiac est affrété pour une autre tentative de traversée. Comme la pre­mière fois, Dosso Menéné Adam’s et ses compagnons de malheur sont rat­trapés par des hommes en armes. Des larmes s’échappent alors de ses yeux. Avec sa chemise, II essaie de les essuyer. Car, nous dira-t-il, cette fois-ci, c’était l’enfer sur terre. Dans la capitale à Tripoli, au quartier Tank Matai où ils ont été enfermés dans une prison par l’armée libyenne, la souffrance va durer 5 mois. « Je veux vous épargner ce que nous avons vécu », nous souffle-t-il à voix basse. Ce châtiment à l’en croire, va prendre fin avec l’entrée en jeu du consul ivoirien en Tunisie. « C’est lui qui nous a sorti de prison et nous a permis de retourner au pays ».

 

 

Fait par Fousseny Touré

LE PATRIOTE N°6466 du Mardi 27 Juillet 2021,  Pages 6 à 8