Interview avec la PDG DE UNILEVER COTE D’IVOIRE

Manon KARAMOKO

PDG UNILEVER CÔTE D’IVOIRE

Jeune patronne dynamique La Côte d’ivoire peut être fière de ses ressources humaines féminines. Dans tous les domaines émergent, des femmes formées dans les écoles les plus prestigieuses. Le profil de Manon KARAMOKO, Pdg du groupe Unilever, à 38 ans, est un exemple à enseigner dans les écoles du leadership féminin. Focus sur l’une des patronnes les plus précoces de l’industrie panafricaine.

C’est une grande première de voir une jeune dame qui truste la casquette de PDG d’une multinationale. Chose qui n’est pas arrivée par hasard… ?

Effectivement je ne suis pas arrivée à ce poste par hasard. Je suis ivoirienne. Tout a commencé ici même en Côte d’ivoire où j’ai eu mon BAC à 17 ans. Mais avant, j’ai eu un parcours scolaire sans embûches. Puis, je suis allée en France où j’ai pris des cours de management et de finances dans une école franco-américaine, précisément à Lyon et qui s’appelle le CEFAM. Ensuite j’ai été transférée dans une université à Boston où j’ai fini mon Bachelor en finances et en même temps avec mon diplôme de Maîtrise en management délivré par mon université française. J’ai travaillé pendant deux ans. Et je suis allée pour mon Masters de comptabilité dans une université dans L’État de Washington DC, J’ai travaillé un peu aussi aux États-Unis avant de revenir dans mon pays. J’ai eu la chance d’être prise à Microsoft en tant que comptable. J’ai bossé dans cette boîte à peu près 5 ans. J’ai rejoint Le groupe Novartis qui est aussi une multinationale dans Le domaine pharmaceutique. Là-bas, j’ai joué plusieurs rôles. Je suis passée de fanion manager à business planning analyste, assimilable au rôle de contrôleur de gestion. Je bougeais dans la sous-région entre la Côte d’ivoire, le Sénégal. Je suis allée au Nigéria où j’ai passé deux ans, Revenue au pays, j’ai occupé le poste de directeur financier chez Novartis pendant un an et quelques mois avant d’être débauchée par Unilever pour jouer le même rôle. Je suis arrivée dans cette multinationale en janvier 2018. A partir de novembre de cette même année, j’ai été promue au poste de présidente directrice générale, suite au départ de mon prédécesseur. Et jusqu’à février 2020, j’ai assuré la fonction de directeur financier et présidente directrice générale. J’ai le plaisir aujourd’hui d’assumer pleinement et entièrement mon rôle de PDG.

C’est un parcours exceptionnel et vous vous trouvez en train de gérer une usine de transformation industrielle, après avoir exercé en tant que financier. Comment s’est faite la mutation ?

C’est vrai que j’ai un background qui est totalement financier, mais la réalité est que j’ai une personnalité un peu volubile. Donc je m’intéresse à tout. Je «dérange» un peu quelques fois les autres par ma présence. Parce que je questionne très souvent. Au-delà de mes compétences financières, j’ai tendance à m’intéresser à ce que font les autres, Et avant de valider quoi que ce soit, dans Les autres domaines, je m’assure que j’ai bien compris. Avec cette manière de faire, j’ai forcément une vision un peu plus globale. D’où la passation qui n’a pas été facile mais plus évidente pour moi à la direction générale.

Madame Evelyne TALL, ex numéro 2 à  ECOBANK qui a été l’une des guest speaker de l’AFTERWORK que nous organisons régulièrement «les BLAMO’O», disait lors d’une interview que la position de patronne est bien solitaire dans l’exercice du pouvoir pour une femme. Comment faites-vous pour gérer cette situation ? Autrement dit, avez-vous des piliers sur lesquels vous vous adossez pour jouer pleinement votre nouvelle casquette de Présidente Directrice Générale de UNILEVER ?

Oui. Arriver à ce niveau et ne pas avoir de conseillers ou de coach, c’est presque impossible de réussir sa mission. Et j’attends que quelqu’un me dise le contraire. Tout au long de mon parcours, je me suis toujours attachée aux personnes qui m’apportaient quelque chose. Quand j’avais des lacunes, il fallait que je me dirige vers ces personnes- là pour m’aider à les combler. Depuis toujours je me suis accrochée aux gens qui pouvaient me projeter. La première personne pour moi, en termes de support en tout cas, est mon père. Parce que c’est Lui qui m’a toujours accompagnée. Il n’est pas Le seul. C’est vrai que ma mère est à mes côtés. Mais lui, particulièrement. Parce que chacun de mes accomplissements est une véritable source de joie pour lui. Je me réfère à Lui chaque fois que je dois prendre une décision un peu difficile.

Bien qu’étant gendarme de formation et pas spécialiste en administration, il a cette sagesse là à me prodiguer de bons conseils. Au- delà de mon père, j’ai quand même rencontré des personnes tout au long de mon parcours, des femmes mais aussi des hommes avec qui j’ai échangé positivement sur mes ambitions de carrière. J’avoue qu’ils m’ont souvent fait des propositions pour me permettre de m’élever un peu dans Les structures où j’ai travaillé. J’ai aussi des coaches qui sont assez spécialisés dans tous les domaines. Que ce soit à Unilever ou en privé. Dans la vie, il faut savoir se faire accompagner et se faire supporter.

Quand on a votre âge aussi jeune et catapultée au poste de PDG, on se dit qu‘on a atteint le sommet. Il n’y a plus de challenge. Est-ce qu’il vous arrive souvent de vous regarder dans un miroir dans votre chambre et de vous dire «waouhhh», je suis arrivée ?

J’avoue que oui. Je pense que psychologiquement, il faut être fort pour ne pas prendre la grosse tête. Ce qui est important, c’est que cette humilité doit rester. Parce qu’à cet âge, je me retrouve un peu plus chanceuse. Car, j’ai réussi à accomplir quelque chose que je me projetais à 45 ans en tant que directrice générale d’une structure. Mais pas à 39 ans (Je ne cache pas mon âge) où j’ai été nommée PDG. C’est venu un peu vite. Je ne m’attendais pas à cela. Ça m’a surpris au début.

Mais j’ai à peine eu le temps de m’étaler sur mes propres émotions. Parce qu’en fait le boulot était Là. Il fallait justement prouver qu’à cet âge-là, une femme peut Le faire. J’ai donc mis la main, La tête en sommes, tout mon corps là-dedans.

Je me suis dite que je n’ai pas le droit d’échouer. Pas seulement pour moi, mais pour mon père et aussi ces jeunes filles qui me regardent et qui se disent que c’est possible aujourd’hui.

Le management on le sait, recommande d’avoir des aptitudes spécifiques. C’est quoi vos méthodes ?

Je ne sais pas si je suis un manager parfait. J’en doute. Parce que je pense que ça n’existe pas. Par contre, chacun a son modèle

Dans le mien, c’est une question de confiance. Je ne serai pas arrivée à ce stade toute seule. Je travaille en équipe. Ça commence par là. Pour ça, je dois faire aussi confiance à mon groupe. Je ne suis pas du genre (Vous pourrez vous renseigner sur moi) à être perchée là-haut et puis regarder les autres en bas, pour donner des instructions.

Je fais et tous ensemble on s’accompagne. C’est ce qu’on appelle chez nous, le road Modling. Je préfère aspirer Les gens à travailler avec moi plutôt que de les forcer à le faire. Pour moi, c’est plus important que quand on se casse la gueule, on reconnaît ensemble ou bien on célèbre ensemble Les victoires. Être leader, ce n’est pas juste être manager. Pour moi, c’est l’être et inspirer les gens à vouloir travailler et s’accomplir ensemble.

Quel est le regard des hommes vis à vis de la géante» que vous constituez dans une telle boite comme Unilever ? Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?

C’est difficile d’être une femme présidente directrice générale en Afrique où la tradition présente la gente féminine comme celle qui doit rester derrière. Il y a forcément des hommes qui ont du mal à recevoir des instructions de ma part. Peut-être pas dans mon organisation directe, parce que je pense qu’on a dépassé ce cap, mais avec quelques clients dans certains pays, Je vais donner l’exemple d’une mission à Bamako où j’étais allée rencontrer un client dont je ne citerai pas le nom. C’était à l’occasion des visites marchés. J’étais en jeans et on est arrivé. IL y avait trois hommes avec moi. Et quand nous sommes rentrés, ils m’ont présenté en tant que La patronne de Unilever Côte d’ivoire. Pendant les travaux, chaque fois que je posais une question, pour répondre, il avait le regard tourné vers l’un de mes collaborateurs sans s’en rendre compte. Je pense que quand on lui a dit c’est La PDG, il a juste entendu un bruit. Mais il ne s’est pas forcément rendu compte que c’était moi qui dirigeais. A un moment donné des échanges, mon collaborateur était obligé de Lui dire que c’est à moi qu’il devrait répondre (Rires). C’est à ce moment qu’il a su que c’était à la dame que je suis, à qui il devrait s’adresser. Le client a même demandé à La délégation si c’était la femme qui était la patronne. Et ils ont répondu oui. Ce sont des anecdotes de ce genre que je vis souvent quand j’arrive dans des événements. Et comme on assimile Le poste de PDG au masculin, des fois quand je suis dans une rencontre, on me dit madame on attend Le PDG. Je suis obligée de répondre que c’est bien moi en question. J’avoue qu’au début, c’était un peu frustrant. Aujourd’hui, je trouve cela beaucoup plus drôle et comique.

N’avez-vous pas une autre anecdote toujours à ce sujet ?

Bien sûr. Je l’ai vécue avec un ministre en son temps qui était venu à une visite à Unilever. Il était assis. Je me souviens que j’étais arrivée avec un tout petit peu de retard. Et puis il m’a dit: on attend Le PDG d’Unilever. J’ai répondu que c’était moi et il s’est exclamé en disant ceci : « Quoi ! Ce n’est pas possible. Je m’attendais à un monsieur un peu baraqué, costaud et gros. C’est quand même le grand Unilever ». Et j’ai rétorqué : « Oui .le grand Unilever avec une petite femme à la tête ». On a rigolé. IL en a gardé un très beau souvenir et il voulait m’envoyer ses filles. J’aime bien cet effet de surprise. Mais, en même temps, ça aide à changer certaines mentalités. Mais j’ai un beau témoignage.

Lequel ?

Il y a un monsieur qui m’avait contactée quelques années quand le premier article est paru sur moi. Il mentionnait que je suis la plus jeune PDG de Côte d’ivoire. Le monsieur en question m’a dit qu’il regarderait différemment sa fille de 8 ans à partir de cet instant-là. Pour moi, c’est Le plus beau témoignage. Et ça prouve que ce que je fais, qu’il soit couronné ou pas reste un véritable succès. Car, à travers cette image, j’aurai réussi à inspirer des parents à regarder leur fille différemment.

Il y a forcément eu des couacs dans votre mode de gestion. Des jours «sans» comme on pourrait le dire. Si oui, comment expliquez-vous ces erreurs de gestion ?

Oui. Il y en a eu forcément. Il y a eu des fois où |’ai pris des décisions qui n’ont pas été très positives. Je suis quelqu’un qui va très vite. J’ai cette capacité à accepter quand j’ai fait une erreur. Aussi douloureux que cela soit, je reconnais que je me suis trompée. Pour moi, il faut savoir s’arrêter quand ça ne va pas et ne pas vouloir foncer tout droit dans Le mur quand il y a un couac. Personnellement, je sais m’arrêter, retrousser Les manches, changer La direction du gouvernail et puis prendre le bon chemin. Mais, c’est ensemble qu’on se plante et c’est ensemble qu’on se relève. Je refuse de me planter toute seule. On est tous humain. Naturellement il y a des fois où on va prendre de mauvaises décisions. Il faut savoir se ressaisir.

Justement à côté de toutes ces erreurs que vous venez de relever dans votre carrière, il y a des actions positives. Quel est le succès dont vous êtes le plus fier ?

IL y en a plusieurs. Le premier pour moi, ce sont mes enfants. Parce qu’être une femme à ce poste très important, où en ayant deux rôles, c’est-à-dire directeur financier et PDG, j’avais du mal à trouver du temps pour moi. Je me disais que je n’étais pas une mère parfaite. Et dans la casquette des postes à haute responsabilité, c’est difficile de s’occuper des enfants autant qu’on Le fait pour son boulot. Et on a souvent ce sentiment de culpabilité qui n fait dire que nous ne sommes p; bonne mère. Aujourd’hui, mon plus grand succès, ce sont mes enfants, parce qu’ils sont totalement épanouis, En effet, ils sont parmi Les premiers en classe. Et ils communiquent avec moi comme des adultes. Je dirai qu’ils comprennent ma carrière professionnelle et n’hésitent pas à m’accompagner. Je suis contente de savoir qu’ils n’en font pas un frein à Leur développement. Je pense que c’est comme ça qu’on doit élever nos enfants pour éviter qu’on continue de regarder la femme comme un être qui doit rester à la maison, et qui est responsable de couvées des gosses. Ce n’est pas forcément la quantité du temps qu’on passe avec eux. Mais la qualité. C’est pourquoi, mes week end leur sont entièrement dédiés. J’estime que c’est nécessaire pour mon propre équilibre.

On sait qu’on vît actuellement une pandémie liée à la Covid-19. Quelles sont donc les mesures que vous avez prises pour faire face à cette situation sanitaire aussi bien à Unilever que dans votre vie de tous les jours ?

Chez Unilever, j’aime à dire que nous sommes un peu paranoïaques. Mais pour les bonnes raisons. Depuis le 17 mars 2020, nous sommes en télé travail pour toutes les équipes qui ne sont pas à l’usine. Nous avons La chance d’avoir ce qu’on appelle Le “travail agile”. Ça veut dire qu’en semaine, un employé peut demander à bosser depuis la maison. D’autant plus que quand nous sommes connectés sur le serveur, on n’a plus besoin d’être assis au bureau. Quand on a une tâche qui ne nécessite pas notre présence dans nos locaux, c’est quelque chose de normale et Logique. On est donc tous à la maison à la date que j’ai indiquée plus haut. Naturellement, les débuts ont été un peu difficiles. Surtout quand on a des enfants autour de soi. Il y a des habitudes qui changent. J’ai redécouvert La cuisine (rires), alors que je n’étais pas une grande cuisinière. Du coup je me retrouve en train de faire du gâteau, du dêguê etc. Je devrais aussi aider les enfants à faire leurs exercices. IL fallait aussi faire les calls avec tous ceux avec qui on travaille. C’est un gros changement dans Les habitudes. Surtout avec Les gosses. Après, il faut trouver son propre équilibre. Il fallait un exutoire pour évacuer son stress. Le mien c’était d’aller faire 5 à 10 km de marche dans la petite forêt au campus. Au bureau, ce qui est bien, c’est que les équipes de l’usine ont continué à travailler. Ce qui a demandé beaucoup de changements. Les mesures sont strictes. Au lieu de 1 mètre de barrière, à Unilever c’est 1 mètre 80. Il a fallu réadapter toute l’usine. A la cantine, nous avons été obligés de mettre trois personnes par table à manger pour respecter les consignes. Personne ne pouvait faire autre chose sans mon approbation. On a mis partout des seaux de lavage. Nous avons offert des masques à tout le monde. Tous Les mois, chaque employé reçoit un kit. En sommes, tout ce qu’il faut pour respecter les mesures barrières. Nos travailleurs sont tellement importants à nos yeux. Car, sans eux, il n’y a pas Unilever. Nous faisons tout pour ne pas avoir à fermer l’usine si quelqu’un est contaminé.

Ces dispositions sont prises parce que nous fabriquons d’autres choses que les savons. On fait aussi de la mayonnaise. Nous avons un comité de santé qui se réunit une fois par semaine, la preuve que nous accordons une grande importance à cette Lutte contre La Covid-19. C’est Le cœur de notre métier que de veiller sur La santé de nos agents.

N’avez-vous pas songé à réorienter la publicité par rapport à cette situation sanitaire vu que vous fabriquez du savon ?

Bien sûr. Ça a été La première chose. D’autant plus que nous sommes aux premiers rangs de La Lutte contre cette pandémie. Dès Le début, nous avons même fait un don de 10 millions de valeur de savon au ministre de la solidarité. Mariatou Koné. Au-delà de cela, on a aussi fait de la publicité, On a Lancé le savon Rexona antibactérien et tous les savons qui servent à laver les mains. On a même confectionné des affiches, et préparé des supports digitaux pour sensibiliser sur La pandémie. Nous avons lancé récemment un gel hydro alcoolique qui permet d’aider les populations à se Laver Les mains régulièrement.

Très peu de femmes arrivent à ce niveau de responsabilité, parce que les compétences il y en a en Côte d’ivoire. Quand on vous regarde si jeune, et on se demande bien qu’est- ce qui a milité à votre choix de passer au rôle de directeur financier à celui de PDG d’une multinationale ?

Je ne dirai pas que c’est de la chance. Je suis très croyante. Je pratique La religion musulmane. Je crois qu’il y a un destin pour tout le monde. C’est vrai qu’il y a le travail, l’accompagnement et les compétences. Mais j’ai quelques amis, qui sont plus diplômés que moi. Ceux-Là, je les considère quelques fois beaucoup plus intelligents que moi cela dit, je pense qu’il y a la foi en Dieu et un destin tracé qui a milité à mon choix. Mais mieux, il faut cultiver cette humilité là pour pouvoir s’accomplir ou réaliser ses ambitions. Chacun de nous doit pouvoir Laisser une empreinte positive de sorte que demain, on puisse se souvenir de Lui. Rien n’est arrivé par hasard. Ça n’a pas forcément été facile. J’ai eu des moments difficiles, que ce soit ailleurs ou à Unilever. Je n’ai jamais baissé Les bras. Je suis restée toujours concentrée.

Personnellement, tant que je n’ai pas n’aussi, j’ai du mal à Lâcher prise. Je pense que Dieu y est pour beaucoup dans mon accomplissement.

Les femmes sont de moins en moins à montrer un intérêt pour l’exécutif. Qu’est-ce qui selon vous éloigne les femmes des postes de hautes responsabilités ?

Il y a beaucoup de raisons. A mon avis, ça commence déjà par nos traditions. On vit dans des sociétés qui sont très traditionnelles. Où la femme vient derrière l’homme. Pourtant, on avance que derrière un grand homme, se trouve une grande dame. Quelques fois, c’est derrière une grande dame qu’on retrouve un grand homme. Je pense qu’on devrait apprendre à marcher ensemble un peu plus côte à côte. La tradition à mon sens tire beaucoup trop vers le bas La femme. On a tendance à ne pas vouloir voir un peu trop une dame qui émerge. Ça arrive souvent qu’on soit interpellé sur ce fait. Il est nécessaire de briser barrière là et avoir l’ambition bien sûr pour la femme d’arriver à un certain niveau. On doit aussi avoir des modèles. Déjà même dans mon rôle de directrice financière, j’inspirais d’autres jeunes filles. Elles voulaient savoir comment est-ce j’ai pu arriver à ce niveau. IL faut donc éduquer nos filles à épouser les compétences. IL faut qu’elles sachent que l’école est la seule issue. On peut être jolie, (d’ailleurs je ne pense pas que je suis moche), mais il faut avoir un peu dans la tête pour s’affirmer. L’ambition et la motivation sont donc des armes qui peuvent nous aider à y arriver.

J’estime que les hommes doivent nous soutenir à ce niveau. C’est vrai que les femmes ont des voix qui ne portent pas. Mais il y en a qui sont assez compétentes pour lorgner des postes souvent attribués aux personnes de sexe masculin. Si on veut atteindre cette diversité du genre, il faut leur reconnaître une place autant que Les hommes.

Faut-il sonner ” la révolte ” parce qu’en général quand une femme pointe du nez, on fait tout pour la casser ?

Non, on ne parlera pas de révolte. Même Les femmes font tout pour casser une autre. C’est ce qui est dommage et difficile surtout que cette pratique est très souvent l’apanage des hommes. La gente féminine ne se fait pas de cadeau. Nous devons apprendre à être beaucoup plus solidaires dans le bon sens. On a besoin nécessairement d’une volonté managériale. Il faut une parité du genre dans les recrutements. Si, Les femmes ont les compétences requises, on va les coacher.

On parle de parité du genre, les femmes essaient de se battre. Mais parfois, elles se heurtent à l’égo des hommes. Au-delà des séminaires et des colloques organisés çà et là, y a-t-il des solutions pour vaincre cette situation ?

J’ai bien envie de vous demander pourquoi les hommes ont aussi peur de voir Les femmes monter ? J’étais allée à la remise des Awards à mon fils quand il était au Cm2. J’ai remarqué qu’il y avait 15 filles contre 3 garçons qui ont reçu ces prix, la preuve que le sexe féminin sort beaucoup plus major de sa promotion. Cependant, qu’est-ce qui les détruit au passage quand elles arrivent au lycée ? Ce sont des grossesses précoces. Il y a des parents qui les déscolarisent. Déjà on perd une bonne flopée de filles intelligentes en chemin, Et les quelques-unes qui se projettent vers le haut ne sont pas aidées par les hommes qui pensent que les plus grands rôles leur reviennent. On a besoin du soutien. Avec en tête les hommes eux-mêmes. J’en appelle aussi à la solidarité des femmes. Nous devons nous serrer les coudes et accepter que nous sommes des modèles pour les plus jeunes de notre gente. Je voudrais à ce sujet raconter une petite anecdote.

Laquelle ?

Lors d’une de mes visites à mes neveux à Toulouse, il y en a un qui n’avait pas sa chambre clean. Son cousin à côté lui demandait de vite faire pour se trouver une copine. Alors, je lui pose la question de savoir combien ils sont dans la classe, notamment Le sexe féminin et masculin. IL me répond qu’il y a 3 garçons et 15 filles. Je lui rétorque de savoir s’ils vont au cabinet d’audit pour revenir tard, qui fera le ménage ? IL est resté sans dire un mot. Je pense qu’il faut éduquer les garçons pour qu’ils comprennent qu’une femme doit travailler. Si c’est fait, je pense que les autres générations auront plus de facilité que nous n’en avons eue. On a vraiment besoin d’une volonté politique et des hommes pour équilibrer les choses. On a vu des pays où ça s’est fait et le résultat est positif. Comme exemple, les structures dans le monde pour la Covid-19 où les femmes gèrent les affaires, tout se passe bien.

Il y a une kenyane (Wangari Mathaai) qui a porté un projet majeur en écologie… Elle a eu toutes les difficultés du monde à le réaliser. A force d’insister, elle a finalement réussi. Que vous inspire son exemple ?

C’est une preuve qu’il ne faut jamais baisser les bras ni se laisser démoraliser par tout ce qui se passe autour de nous. Il y aura des embûches et des barrières. Ça, c’est normal. Mais, il est impérieux de croire toujours aux objectifs qu’on s’est fixés. J’invite les femmes à se motiver, à s’encourager et à avoir des groupes de support pour pouvoir y arriver. Certes il y en a beaucoup, qui comme la kenyane, ont relevé des défis qu’on croyait inimaginables. Mais c’est quelqu’un que j’admire énormément. Des modèles comme elle, on devrait en parler tout le temps. Il faut les mettre en avant pour qu’on sache que tout est possible.

DANGOTE, l’un des hommes les plus puissants d’Afrique dit avoir du mal à trouver une femme malgré toute sa fortune. Est-ce le cas de dame KARAMOKO en tant que PDG d’une grosse firme ? Avez-vous une famille ?

Oui. Ça a été difficile. Je l’avoue tout de même. J’ai fini, cependant, par trouver la perle rare (Rires aux éclats). Lui aussi me considère comme telle. J’ai un mari adorable qui m’accompagne dans toute cette bataille. Il soutient beaucoup les femmes parce que dans la maison, on a un petit groupe de féministe.

Quel est le secret de votre épanouissement quand on sait qu’il n’est pas évident de s’occuper d’un poste à haute responsabilité et gérer sa famille ?

Il n’y a pas de secret particulier. Avant tout, il faut trouver son propre bonheur. Je ne sais pas si vraiment je fais 50% vie professionnelle et 50% vie privée. Mais je trouve mon propre bonheur dans les petites choses. Je suis toute naturelle au bureau. Je ne mets pas de distance entre moi et un cadre en dessous de moi. J’ai les mêmes conversations avec toutes les catégories de cadres. C’est pareil à la maison où tout le monde à mes yeux est au même niveau. A la vérité, je me suis entourée de personnes ressources. J’ai une véritable équipe autour de moi que je remercie. Les gens font un super boulot que ce soit mon chauffeur ou encore ma nounou de même que mes parents. Dieu merci, j’ai un système de support qui fonctionne très bien. C’est une sorte de puzzle où tout le monde a sa place. L’essentiel pour moi, c’est la famille. Et la base doit être beaucoup plus solide.

Le constat qu’on fait dans la sous- région, c’est que le savon BF ou encore la pâte dentifrice coûte moins cher qu’en Côte d’ivoire, alors qu’on les fabrique chez nous en Côte d’ivoire. Qu’est-ce qui explique cela ?

Nous fabriquons tous ces produits et nous recommandons Le prix de vente aux consommateurs. C’est très difficile pour nous de confirmer que les distributeurs, les boutiquiers ou encore Les supermarchés ont tous les mêmes prix. D’ailleurs, si vous faites le tour, vous verrez bien que ce que je dis est avéré. Pour la simple raison que chacun des distributeurs a une chaîne des valeurs’ qui Lui est propre. Il y a des fois où ils vont avoir une situation particulière sur un certain volet indépendamment de leur capacité à optimiser sur La chaine de valeur Le prix de Leur produit. Ce qui fait que Les produits ne coûtent pas La même chose partout. Ce n’est pas seulement un problème inhérent à la sous-région.

Abordons à présent un autre sujet.

Notamment la contrefaçon. Quelles sont vos stratégies pour lutter contre ce fléau?

Ce qui est bon de savoir, c’est qu’on essaie tous les jours de copier ce qui est bon. Ça nous permet de nous positionner et de savoir qu’on est bon. C’est pourquoi souvent les consommateurs verront des changements de packaging et de modèles de formes de savons. Nous le faisons exprès pour essayer d’éviter au mieux la contrebande. De sorte que La contrefaçon ne prenne le dessus. Sachez que nos frontières sont poreuses. Et ça rentre de partout. Nous faisons très souvent appel à des tiers pour essayer de rattraper ces produits contrefaits et les détruire. Nous travaillons avec le programme de lutte contre la contrefaçon. Cette structure nous accompagne de façon très sérieuse. Les produits les plus contrefaits sont notamment les dentifrices. A ce niveau, il y a beaucoup d’usines de fabrication dans la sous-région. Il y a certaines qui sont légales et officielles. Par contre d’autres ne le sont pas. Récemment, on a pu en démanteler quelques-unes. Comme je le dis souvent, quand on est bon, on est copié. La contrefaçon nous oblige à nous dépasser et à nous challenger pour offrir le meilleur à nos consommateurs.

Vous avez accompagné avec brio, un projet dénommé «Maman BF». Ce qui a captivé l’attention de nombreuses personnes. On a même vu des affiches magnifiant la femme ivoirienne. Y a-t-il d’autres projets dans ce sens ?

Oui. Aujourd’hui plus que jamais. C’est quand même une femme qui est à la tête de Unilever Côte d’ivoire. Ça va de soi. On va prioriser les femmes et continuer ces activités sous d’autres formes. A travers la journée mondiale de la femme, la fête des mères et même La journée de la femme africaine. Des périodes qui nous permettent de participer à des événements qui vont mettre en exergue la gente féminine. Nous avons bien évidemment un joli projet. Notamment la catégorie BF femme de valeur. Elle viendra sous une autre forme. Nous allons la digitaliser. On ne peut pas faire la même chose. Il faut se réinventer. Il y a un projet qui est en cours. Il va sortir pour sublimer et mettre à La lumière des femmes qui ont des succès cachés quelque part.

Au Gabon, on a nommé 21 ministres dont 11 femmes. Si on vous proposait aujourd’hui un poste de ministre en Côte d’ivoire, lequel choisirez-vous ?

Aujourd’hui, je ne brigue pas forcément un poste de ministre. Mais si on m’appelle et que je peux avoir une valeur ajoutée, naturellement, ça va dépendre du domaine de compétences. A vrai dire, je ne veux pas être dans un compartiment où je vais me casser la gueule. Si c’est dans un domaine que je maîtrise au-delà d’inspirer d’autres femmes, je ne dirai pas non.

Avez-vous des conseils à donner aux jeunes filles sur les bancs en train de faire des Masters, des PHD, notamment à celles qui vous perçoivent comme un modèle ?

Je leur dirai de ne pas se focaliser à tout prix sur leur genre. On reste des femmes. Peut-être qu’on sera un peu plus émotives, avoir un peu plus d’hormones quelques fois. Mais à la fin. C’est la tête et la compétence qui vont compter. Être jolie est bien, mais la beauté ça se fane. Il faut surtout maintenir la tête. Et rester concentrée. On ne doit jamais occulter de se faire accompagner par des coaches. Je dis à ces filles de briser les barrières de glace qu’on nous a imposées pendant tout ce temps. Je leur demande de tout mettre en œuvre pour s’accomplir intellectuellement. Qu’elles soient sans complexe et se disent qu’elles peuvent à la fois gérer leur carrière et leur foyer. Pour moi tant qu’on le fait bien et sans aucune pression, il faut juste s’accomplir en tant que femme.

Moses DJINKO [email protected]

Source: www.blamoo.net – septembre 2020 page 9 – 20