INTERVIEW/Bamba Moussa (Oustaz) : ISLAM ET LES SCIENCES

 

L’Islam a offert un cadre insoupçonné et idéal au développement de la science, à l’essor de ses différentes branches

 

  1. Islam Info Magazine : Y a t’il contradiction entre l’islam et les sciences ?

Oustaz Bamba Moussa : Par ce qu’il invite à la découverte, impose la rationalité et stigmatise tout ce qui est de nature à s’opposer à la raison, l’Islam ne peut aucunement être opposé à la science.  Mieux, d’un point de vue historique, l’Islam a offert un cadre insoupçonné et idéal au développement de la science, à l’essor de ses différentes branches (art, poésie, architecture, littérature, peinture, inventions scientifiques, médecine, mathématiques, physique, l’astronomie, la biologie…). De même, les capitales des différents califats ont longtemps été l’épicentre de la science dont la ville de Bagdad est à ce titre très illustratif. En effet, savants et scientifiques, qui n’étaient pas toujours de confession musulmane, faisaient l’objet de toute l’attention des califes et leur indépendance intellectuelle était garantie par divers mécanismes. Cependant, l’Islam est tout à fait critique à l’égard du scientisme dont l’attitude condescendante, méprisante et arrogante est foncièrement remise en cause. En outre, il semble que l’Islam ait été victime de l’inimitié et de l’opposition farouche l’église vis-à- vis de la science et des savants durant le moyen âge et les siècles qui ont suivi. Enfin, le phénomène du ‘‘concordisme’’ mérite d’être davantage analysé afin d’éviter que les versets dits ‘‘scientifiques’’ du Coran ne produisent pas un effet boomerang sur l’Islam vu le caractère évolutif des thèses scientifiques. Les vérités scientifiques irréfragables admises à l’époque de Ptolémée et de Galilée par exemple ont été balayées par Copernic et Einstein. D’où l’expression répandue dans les milieux scientifiques : ‘‘ en l’état actuel de nos connaissances’’.

  1. Islam Info Magazine : Quels sont les fondements de la recherche scientifique dans le Coran et les hadith ?

OBM : De nombreux versets et Hadiths valorisent la connaissance, invitent et rendent obligatoire la recherche de la science. Peuvent être cités :

  • Coran : ‘‘Dis : « Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?» Seuls les doués d’intelligence se rappellent’’. Sourate 39 (Les Groupes), le verset 9.
  • Hadith : ‘‘La recherche de la science est une obligation pour tout musulman et toutes musulmanes.’’ Ousoul Kafi, t.1, p.30
  1. Islam Info Magazine : Qu’est-ce que l’islam a apporté à la science ?

OBM : Entre le 8e siècle et le 15e siècle, alors que le monde européen et occidental baignant dans ce qu’il est convenu de nommer ‘‘ le moyen âge’’, la science a enregistré un bond qualitatif dans le monde musulman. L’arabe était la langue scientifique qui, à cette époque, permettait de transmettre les connaissances scientifiques d’un bout à l’autre de l’empire arabo-musulman et du monde entier. Pour de nombreux historiens, le monde musulman connait son apogée scientifique du 8e au milieu du 12e siècle : c’est l’Âge d’or de la civilisation islamique. Cette culture scientifique a pris son essor à Damas sous les derniers Omeyyades, puis à Bagdad sous les premiers Abbassides. Elle a débuté par des traductions accompagnées de lectures critiques des ouvrages de l’Antiquité grecque en physique, mathématique, astronomie ou encore médecine, traductions qui ont contribué à former la culture arabe « classique ». Dans son Histoire des sciences, George Sarton montre comment après les Égyptiens, les Sumériens, les Grecs, les Alexandrins, les Romains, les Byzantins, les savants du monde musulman (d’origine Persanes, Arabes, Berbères, et de confession juives, chrétiennes et musulmanes,) ont pris la relève, en une suite ininterrompue, de 750 à 1100. De ce fait, la civilisation musulmane est considérée comme un incontestable intermédiaire entre la civilisation grecque et latine notamment à travers les maisons de la sagesse (institutions de traduction d’ouvrages grecs destinée à transmettre la connaissance cumulée). Plusieurs inventions et découvertes ont été faites dans le monde musulman, notamment :

  • En médecine: Le monde arabe a connu la médecine grâce à des personnages tels que Avicenne, auteur de l’encyclopédie médicale Qanûn (la référence de la médecine Occidentale), ainsi que Ibn Nafis, qui décrit la circulation sanguine pulmonaire, et Al-Razi, initiateur de l’usage de l’alcool en médecine. Au XIe siècle, Abu-l-Qasim az-Zahrawi (appelé Abulcassis en Occident) écrit un ouvrage de référence sur la chirurgie. Maïmonide, médecin juif (1135-1204), a quant à lui, influencé la médecine dans la civilisation islamique. Les premiers hôpitaux servant à la fois d’école de médecine et de lieux de soins ouvrent, en tant que léproseries au départ, puis évoluent pour traiter les maladies du corps humain comme celles de l’esprit. L’anesthésie, pratiquée dans l’Antiquité par l’ingestion d’opium, de mandragore ou de diverses autres substances donnant envie de dormir, est perfectionnée par l’utilisation d’une éponge imbibée par un mélange de ces substances. Séchée, elle permet au chirurgien d’opérer en soumettant le patient aux vapeurs de l’éponge humidifiée avant l’emploi et qui plongeait les patients dans un état proche de l’anesthésie générale, mais qui ressemble plutôt à un état analgésique accompagné de perte de conscience. On y découvre le fonctionnement de la petite circulation pulmonaire et de la circulation sanguine. La dissection était également pratiquée. C’est ainsi que des connaissances anatomiques nouvelles furent faites. La traduction des textes latins et grecs fut encouragée et les savants venaient à Bagdad et de toutes les régions de l’empire.
  • En mathématique : Elles ont été utilisées par les savants du monde musulman comme auxiliaires d’autres disciplines telles que l’astronomie, les techniques de constructions géométriques (mosaïque, muqarnas, coupole…) ou pour calculer des coordonnées géographiques. Mais elles se sont également développées comme une discipline à part entière. Les deux traités du mathématicien Al-Khwarismi, l’un décrivant le système de numération décimal indien, l’autre présentant en un système organisé les équations algébriques du premier et second degré (Al-jabr w’al muqabala dont est tiré le nom actuel de la discipline algèbre) sont des écrits majeurs pour le développement des mathématiques. Ils étudient les nombres premiers, les nombres amiables ou parfaits, les équations diophantiennes ainsi que les suites et les séries. L’étude des coniques s’approfondit. Nécessaire pour l’astronomie, la trigonométrie sphérique devient une science à part entière. La méthode d’exhaustion mise en place par Archimède pour la quadrature de la parabole est développée et exploitée pour de nombreux autres calculs d’aire et de volume. Dans la branche du dénombrement, les formules sur le nombre de permutations, le nombre d’arrangements ou le nombre de combinaisons sont établies. La formule du triangle de Pascal dans le cadre du dénombrement est démontrée. Des réflexions sur les mathématiques fondamentales se développent (nature du nombre, axiomes de géométrie). L’Occident latin prend connaissance des mathématiques arabes par le biais de traductions entreprises dès le Xe siècle pour le système de numération. Une partie des techniques algébriques arabes est introduite en Europe grâce au livre de Leonardo Fibonacci, le Liber abaci. La trigonométrie est transmise en Occident en même temps que l’astronomie dont elle constitue souvent un chapitre à part.
  • En Botanique, zoologie, agriculture: Les savants en contexte islamique traduisent les traités de Dioscoride (De Materia Medica) et font progresser la pharmacopée. Le mot sirop est d’origine arabe. L’utilisation des alambics permet d’extraire des substances telles que l’essence de rose, l’eau de fleur d’oranger. Ils perfectionnent également le raffinage du sucre et introduisent la confiserie dans l’alimentation et la conservation des végétaux. On leur doit l’extension jusqu’à l’Atlantique de la culture de la canne à sucre, du riz, du coton. Leur acquis principal réside dans la création de jardins botaniques expérimentaux ‘‘Al-munia’’ est à la fois lieu d’acclimatation, de plaisir et d’étude où les plantes sont considérées sous tous leurs aspects : alimentaire, parfum, médicinale, utilitaire et décoratif. La zone de culture de certains fruits (bigarades, citrons, bananes, dattes) et de certaines fleurs (crocus sativus dont on tire le safran, jasmin), de plantes utilitaires (murier à soie) connait une expansion qui suit celle de l’islam. La maîtrise de l’hydraulique permet aux agronomes de faire évoluer la triade méditerranéenne antique blé-vigne-olivier.
  • Physique, chimie, optique : les grands noms de cette discipline sont, entre autres, Ibn al-Haytham, Ibn Sahl, Taqi al-Din et al-Kindi. Certains auteurs voient Ibn Al Haytham (965-1039), de son nom latinisé Alhazen, comme « le père de l’optique ». Notamment dans son texte Kitab al-Manazir (livre d’optique), il a réformé l’optique, introduisant de nouvelles normes mathématiques et expérimentales à l’intérieur d’une problématique traditionnelle où se trouvent unies lumière et vision. […] L’optique d’Aristote, comme celles d’Euclide et de Ptolémée, ne séparait point vision et éclairement lumineux ; il s’imposait à Alhazen de les mieux distinguer et d’aboutir ainsi à une nouvelle représentation fondée sur une analogie entre le mouvement du choc – le rebondissement d’une balle projetée contre un obstacle – et la propagation lumineuse, représentation qui persistera chez Kepler et chez Descartes, et avant eux Roger Bacon (1214-1294) qui a repris et cité ses travaux.
  • En astronomie : Les premières traductions en arabe de l’Almageste datent du IXe siècle. À cette époque, cet ouvrage était perdu en Europe. En conséquence, l’Europe occidentale redécouvrit Ptolémée à partir des traductions des versions arabes : une traduction en latin a été réalisée par Gérard de Crémone à partir d’un texte provenant de Tolède, en Espagne. L’astronomie en contexte islamique s’est attachée à résoudre des problèmes concernant la pratique de l’Islam, comme déterminer les dates du ramadan, calculer l’heure des cinq prières quotidiennes, fixer la direction de La Mecque, mais aussi définir le calendrier lunaire. Jusqu’à l’apparition de la lunette astronomique, l’observation des astres a progressé grâce à l’utilisation de l’astrolabe copié dans le monde islamique, avant d’atteindre l’Europe vers 970, par l’intermédiaire du moine Gerbert d’Aurillac. Ce dernier rapporta un astrolabe d’Al-Andalus. L’astronome al-Farghani écrit beaucoup sur le mouvement des corps célestes ; son œuvre est traduite en latin au XIIe siècle. À la fin du Xe siècle, un grand observatoire est construit près de Téhéran par l’astronome al-Khujandi. Il effectue une série d’observations qui lui permettent de calculer l’obliquité de l’écliptique. De son coté, Omar Khayyam compile une série de tables et réforme le calendrier. Un grand observatoire est construit à Istanbul, pour l’astronome Taqi al-Din. L’astrologie arabe est en relation avec l’astronomie : les horoscopes sont établis en fonction des astres et nécessitent l’utilisation d’instruments d’observation.
  • En géographie : les géographes, tels qu’Al-Idrisi, Ibn Battuta et Ibn Khaldun ont conservé et enrichi l’héritage gréco-romain, syriaque, perse et indien. À partir du VIIIe siècle, les premiers géographes musulmans perpétuent entre autres l’œuvre des géographes de l’Antiquité (Hérodote, Pline l’Ancien ou encore Ptolémée), puis dès le XIe siècle se développent une véritable littérature géographique originale en plus d’un savoir-faire cartographique. Les géographes notables sont : Al-Mas’ûdî, auteur de Muruj adh-dhahab ou Les prairies d’or, le manuel de référence des géographes et des historiens du monde musulman. Il a beaucoup voyagé à travers le monde arabe ainsi qu’en Extrême-Orient ; Al Bakri, auteur du Routier de l’Afrique blanche et noire du nord-ouest ; Yaqout al-Rumi (XIIIe siècle), auteur Livre des pays ; Al Idrissi, (mort vers 1165), Description de l’Afrique et de l’Espagne…
  1. Islam Info Magazine : Quelles sont les grandes découvertes des savants musulmans ?

OBM : Voir question précédente.

  1. Islam Info Magazine : Comment expliquer le retard considérable du monde musulman dans la recherche et la technologie aujourd’hui contraire à ce qui s’est passé dans un passé lointain ?

OBM : Pour le penseur français Dr. Ghaleb ben cheikh, la séquence moment Descartes et moment Freud a été ratée en contexte islamique. Cela, dans la mesure où les 16e et 20e siècle ont marqué l’essor de la science ainsi que de son application dans le monde occidental. Dans le contexte islamique à contrario, il y’a eu l’émergence de mouvements puristes-littéralistes qui ont fermé la porte à l’Idjtihad, l’effort d’innovation scientifique, prétextant qu’il faille se limiter à l’héritage légué par les prédécesseurs. Ainsi, n’y avait-il plus lieu de consacrer temps et énergie pour mener des découvertes vues que tout avait déjà été entrepris par les pieux prédécesseurs. Ce qui entraina la stagnation des découvertes scientifiques puis le retard considérable pris sur les autres aires civilisationnelles.

  1. Islam Info Magazine : Quelles sont les conditions minimales afin que le monde musulman rattrape son retard en sciences et en technologie ?

OBM : Il conviendrait de se réconcilier avec ce que le penseur Franco-Algérien Malek Bennabi appelle ‘‘ l’idée religieuse’’. Selon lui, la civilisation humaine semble faite de cycles qui se succèdent, naissant avec une idée religieuse et s’achevant quand l’irrésistible pesanteur de la terre triomphe finalement de l’âme et de la raison. Tant que l’homme musulman restera dans un état de réceptivité spirituelle et intellectuelle, qui correspond à l’essor et au développement d’une civilisation, les facteurs psychologiques inférieurs à l’âme et à la raison sont, en quelque sorte, refoulés. En clair, l’homme musulman et la société islamique seront soumises aux dispositions spirituelles que l’idée religieuse imprime dans leur âme au point qu’il évolue, dans cette nouvelle condition, selon la loi de l’âme. C’est la signification pratique du fameux verset Coranique : ‘‘ ALLAH ne change l’Etat d’un peuple tant que ses membres n’œuvrent pas dans le sens de changer leur disposition spirituelle’’. S13, V11.