Intimidations, viols, violences, meurtres… : ces exactions qui salissent l’industrie minière

Ecofin Hebdo) – Chaque année, des dizaines de personnes meurent dans le monde en tentant de défendre leurs terres, leurs environnements. Activistes, militants, et mêmes journalistes subissent des violences, reçoivent des menaces de mort, sont assassinés, pour s’être dressés contre des exploitations minières censées améliorer leurs vies. Si la question est peu évoquée, elle n’en demeure pas moins importante dans cette course à l’exploitation des ressources naturelles où, souvent, les populations locales ne pèsent rien face à des enjeux industriels et financiers considérables.

Pour développer une mine dans un pays, les compagnies minières ont besoin de plusieurs permis accordés par les autorités. Et de plus en plus, elles oeuvrent pour obtenir « le permis social d’opérer », c’est à dire le consentement et la coopération des populations locales. C’est lorqu’elles négligent ce permis, où qu’elles peinent à l’obtenir, que les choses se gâtent et peuvent parfois virer au cauchemar.

 

Le récent cas malgache

A Madagascar, l’actualité minière est marquée par les manifestations et protestations contre le développement, par la compagnie australienne Base Resources, du projet de sables minéraux Toliara. Lesdites protestations, qui durent depuis des années, ont pris de l’ampleur en mars dernier lorsque la société a publié une étude de préfaisabilité qui a présenté les nombreux avantages du développement de Toliara pour le pays. Le projet devrait ainsi, selon les estimations, rapporter plus de 900 millions de dollars en termes d’impôts directs et redevances à l’Etat malgache, contribuer annuellement à hauteur de plus de 200 millions $ au PIB de l’île et créer 3800 emplois. Base Resources a indiqué que le projet pourrait entrer en production fin 2021, suffisant pour raviver l’ire des détracteurs.

1Toliara Sands

Tulear, manifestation contre le projet de Base Resources.

 

« C’est inacceptable qu’il y ait des étrangers, qui viennent chez nous pour piller notre richesse ! Cette terre, elle est à nous ! Quand le peuple malgache coupe les arbres, on lui tombe dessus en disant « ah non ! Protection de la forêt ! Fais attention, c’est pas bien ! » Mais quand il y a des multinationales avec des bulldozers, la radioactivité, des déversements chimiques, là, plus rien ! Mais ils sont où les WWF, les Madagascar National Parks, et toutes les ONG internationales ?! C’est pas dangereux ça ?! », dénonçait Théo Rakotovao, chanteur originaire de la zone impactée, dans des propos relayés par RFI.

« Quand le peuple malgache coupe les arbres, on lui tombe dessus en disant « ah non ! Protection de la forêt ! Fais attention, c’est pas bien ! » Mais quand il y a des multinationales avec des bulldozers, la radioactivité, des déversements chimiques, là, plus rien ! »

Cette déclaration à elle seule traduit les principales objections mises en avant par ceux qui s’opposent au développement du projet, des questions de droits fonciers aux impacts environnementaux et sociaux.

«Nil novi sub sole» a-t-on l’habitude de dire dans ce genre de cas (rien de nouveau sous le soleil), les protestations contre les exploitations minières sont monnaie courante. Cependant, si le gouvernement reste trop passif et qu’aucun processus de dialogue n’est instauré, la situation peut rapidement dégénérer. En mai, la police malgache a arrêté des habitants du district de Toliara après une manifestation durant laquelle des équipements et objets appartenant à la société ont été détruits et incendiés. Les habitants seront finalement libérés en juin, mais condamnés à six mois de prison avec sursis.

 

200 défenseurs de l’environnement assassinés en 2016, et le secteur minier en pole position

En 2016, dans un rapport intitulé «Defenders of the Earth» (Défenseurs de la Terre), l’ONG Global Witness a indiqué que 200 défenseurs de l’environnement, des activistes aux populations indigènes, ont été tués dans le monde, un record.

2Jagendra Singh

Jagendra Singh, brulé vif, en Inde, pour avoir dénoncé un trafic de sable.

 

Depuis 2002, année à partir de laquelle l’organisation a commencé par recenser les assassinats, c’est le chiffre le plus élevé qu’elle a enregistré. Global Witness a indiqué que 33 personnes sont mortes en 2016 en luttant contre l’exploitation des mines, faisant du secteur, le plus meurtrier, devant l’industrie agroalimentaire, l’exploitation forestière, le braconnage et les barrages.

Global Witness a indiqué que 33 personnes sont mortes en 2016 en luttant contre l’exploitation des mines, faisant du secteur, le plus meurtrier, devant l’industrie agroalimentaire, l’exploitation forestière, le braconnage et les barrages.

«La bataille pour la protection de la planète s’intensifie rapidement et son prix se compte en vies humaines (…) alors que de plus en plus de gens n’ont pas d’autres options que de s’opposer au vol de leurs terres et la détérioration de leur environnement», commente l’organisation.

A en croire l’ONG, ces chiffres ne seraient que la partie émergée de l’iceberg, car tous les décès ne sont pas enregistrés. La plupart des assassinats concernent l’Amérique latine, qui compte pour 60% des cas. Ils visent essentiellement des populations indigènes. Mais cette violence s’étend. En 2015, 16 pays étaient concernés contre 24 un an plus tard, y compris des pays développés comme l’Australie ou les États-Unis qui sont aussi touchés.

Et une année plus tard, la situation ne s’est pas améliorée. Pour s’être opposé à des projets miniers, forestiers ou agro-industriels, au moins 207 personnes ont été tuées en 2017, un nouveau record. En Afrique, sur 19 meurtres (12 en RDC), 17 étaient liés à du braconnage ou des activités minières illégales. Global Witness n’a noté aucune traduction en justice, «signe d’une culture d’impunité et d’inaction du gouvernement à l’égard des activistes environnementaux». En dehors des gouvernements, l’ONG accuse également les compagnies et les investisseurs.

 

«Green Blood», des journalistes réduits au silence pour avoir enquêté sur les «exactions» des compagnies minières

«Ils ont réduit des journalistes au silence. Pas leur enquête», c’est ainsi que commence la série d’enquêtes «Green Blood» réalisées par réseau de journalisme d’investigation Forbidden Stories et publiées en juin 2019.

40 journalistes de 30 médias différents y compris les journaux français Le Monde et britannique The Guardian. Les enquêtes racontent comment des journalistes investiguant sur les violences et les dégâts environnementaux se trouvent pris en étau entre les gouvernements répressifs et les compagnies minières.

Dans le premier volet des enquêtes portant sur la Tanzanie, la société britannique Acacia Mining, dont la compagnie mère n’est autre que Barrick, le leader mondial de l’industrie aurifère, est accusée d’exactions dans sa mine North Mara. Suite à la privatisation de la mine, les habitants de la région se sont retrouvés privés de terre sans indemnisation et le site serait devenu le théâtre de confrontations constantes et parfois sanglantes entre ces habitants, les gardes de sécurité et la police. Ces confrontations sont dues au fait que les locaux – parfois armés de machettes – s’introduisent à l’intérieur de la mine à la recherche de granules d’or dans les stériles et au bord du bassin de résidus.

3Jabir Idrissa

Jabir Idrissa, un journaliste tanzanien qui enquête sur les cas de violences dans le secteur minier

 

«J’ai vu beaucoup de gens se faire tirer dessus, certains à côté de moi. On entrait dans un groupe et on courait s’ils nous voyaient. Nous entendions le lendemain qui était mort. La police dépose les corps à l’extérieur des maisons», déclare un habitant relayé par The Guardian.

«J’ai vu beaucoup de gens se faire tirer dessus, certains à côté de moi. On entrait dans un groupe et on courait s’ils nous voyaient. Nous entendions le lendemain qui était mort. La police dépose les corps à l’extérieur des maisons»

Au-delà des cas de meurtres, de viols, la mine est également accusée de polluer les eaux de la région à travers «une fuite d’eau contaminée d’un barrage-réservoir de résidus miniers». Les journalistes qui décident d’enquêter sur le sujet sont victimes d’intimidations et de menaces.

«On dirait que lorsqu’un journaliste fait son travail, il devient un ennemi. S’il enquête trop sur les puissants et leurs méfaits, il s’attire des ennuis, le journal ferme et il doit affronter de longues procédures judiciaires», témoigne Jabir Idrissa, un journaliste tanzanien qui a travaillé sur le dossier.

4conflit North Mara

North Mara, en Tanzanie : des villageois aux prises avec la compagnie Acacia Mining.

 

Les autres volets portent sur la mort mystérieuse d’un pêcheur qui accusait Solway, une entreprise de mine de ferronickel de polluer le lac Izabal. Egalement sur le journaliste Jagendra Singh, qui enquêtait en Inde sur un trafic de sable, et qui a été brûlé vif.

 

Entre enjeux économiques et bien-être des populations

Dans plusieurs pays africains, on assiste à des manifestations contre le développement de projets miniers pour des questions foncières ou environnementales, lesquelles protestations sont finalement écartées au profit des retombées économiques. Cependant, dans la plupart des cas, l’exploitation des ressources n’améliore pas la vie des populations, syndrome défini comme la «malédiction des matières premières». Ainsi, malgré les grandes richesses du sous-sol de la RDC, les Congolais restent parmi les plus pauvres du monde. Dans la même lignée, on peut citer des pays comme le Niger et son uranium, ou le Nigéria et son pétrole.

Bien sur, toutes les compagnies minières ne sont pas à mettre dans le même sac, certaines d’entre elles développent même de larges programmes sociaux et environnementaux dans leurs zones d’intervention. Mais ensemble, elles disposent d’une telle puissance économique qu’elles pourraient largement réguler leur propre secteur, arbitrer les conflits, fixer des limites et les faire respecter.

Il y a une perte de confiance en l’industrie minière qui s’accroît au fil des années. Pour rétablir cette confiance, les compagnies doivent prouver qu’elles suivent le rythme du changement, en passant de « transformateurs de saletés » en « constructeurs éminents de capital économique et social », préconise le cabinet international PwC.

 

Louis-Nino Kansoun