Organiser le culte et les institutions, bâtir à partir de l’échelon local, consulter les musulmans sur leurs besoins, mutualiser les moyens d’action, surveiller les financements, etc. Tout cela est nécessaire mais insuffisant.
Aujourd’hui, l’enjeu principal d’un islam qui veut renouer avec sa dimension universelle réside dans la création de véritables alternatives théologiques et spirituelles. Seules ces dernières permettront de construire un contre-discours pluriel pouvant résister aux forces de dissolution et de fragmentation engendrées par l’obscurantisme, le dogmatisme et le communautarisme islamiste actuel, et qui menacent notre société française. L’urgence qui s’est invitée à la table des musulmans du XXIe siècle est celle de rouvrir les portes de l’effort d’interprétation des textes, des dogmes et des pratiques de cette religion (ijtihâd).
Ne s’occuper que de l’organisation administrative et financière du culte musulman, c’est mettre en place une réforme superficielle et formelle. C’est préjuger que les musulman.e.s se reconnaissent toutes et tous dans une orthopraxie homogène et indiscutable. C’est penser que le culte n’est qu’une affaire sociétale et identitaire qui ne répond pas à de réels besoins spirituels et à des visions du monde très variées voire opposées. De ce point de vue, se focaliser uniquement sur l’organisation du culte ne fait qu’éviter les discussions de fond.
À l’instar des autres traditions monothéistes, l’islam contemporain n’échappe pas aux questions qui se situent au cœur de la modernité. Sur ce plan, il est peu probable que les gestionnaires actuels du culte musulman soient prêts à ouvrir ne serait-ce que des espaces de débat sur la possibilité d’inaugurer des mosquées mixtes, de donner le droit aux femmes de venir prier sans voile et de diriger l’office des hommes en tant qu’imam. De leur côté, les instituts de théologie et de formation de cadres religieux musulmans ne proposent que des contenus d’enseignement homogènes en grande partie obsolètes face aux défis que doit relever un islam ancré dans l’universel et dans le monde moderne.
À titre d’exemple, ces cursus ignorent le plus souvent l’apport philosophique et théologique des autres courants comme le soufisme, le mutazilisme, le chiisme ou l’ibadisme. De même, ils méprisent à tort la contribution des sciences humaines qui permettraient de mieux comprendre ce patrimoine dans toutes ses dimensions. Quand sera-t-il possible d’interpréter différemment les éléments traditionnels du dogme et des pratiques de cette religion sans être accusé de mécréance, de trahison et de « collaboration » avec l’Occident et l’État français ?
Les débats théologiques, au sein de l’islam, ont toujours existé. Le danger, aujourd’hui, ne réside pas tant dans les divergences et dans le pluralisme des interprétations mais dans la volonté aveugle d’ignorer, voire de faire taire, ces différences pour se garder d’une prétendue révolte (fitna) au sein de la communauté islamique (oumma). Or, cette attitude confond unité et homogénéité. Le malheur qui frappe aujourd’hui cet héritage est d’avoir tracé des lignes rouges illusoires au-delà desquelles il est devenu impossible non seulement d’exercer son esprit critique, mais aussi de proposer de nouvelles approches pour avancer dans la compréhension des textes sacrés.
Quoi qu’en prétendent certains, il n’existe pas de consensus général, chez les musulmans, sur la définition de l’islam. Aujourd’hui, beaucoup de nos coreligionnaires veulent faire exister d’autres manières de vivre cette spiritualité. Il est donc temps de faire entendre les voix qui émergent en dehors de la vision traditionaliste proposée par certains protagonistes du culte musulman français.
Le mouvement pour un islam spirituel et progressiste, « Voix d’un islam éclairé (V.I.E.) » (www.voixislam-eclaire.fr), constitue l’une de ces voix. Il a pour but de tisser un réseau de collaboration et de coordination entre les acteurs qui incarnent le discours d’un islam universel et humaniste et proposent des alternatives à la pensée religieuse extrême.
Chaque membre de la V.I.E. conserve son autonomie, le but étant de rendre visible la diversité des sensibilités spirituelles de chacun, mais tous s’engagent à respecter les principes de notre manifeste fondateur (www.voix-islam-eclaire.fr/manifeste-fondateur/), à savoir la liberté et l’esprit critique ; l’ouverture et le pluralisme ; l’humanisme et l’universalisme ; et l’engagement pour le progrès de l’humanité avec l’ensemble des membres de la société.
Avec plus de 8500 personnes qui suivent son actualité sur les réseaux sociaux (https://www.facebook.com/groups/738833172825069/?ref=nf_target&fref=nf), et plusieurs centaines de soutiens et de relais sur le terrain, c’est un vaste mouvement qui est en train de voir le jour, construit par et pour ceux qui incarnent un islam éclairé, spirituel et progressiste, et que chacune et chacun peut soutenir sur le lien suivant (www.voix-islam-eclaire.fr/soutenir/).
Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, fondatrices des « Voix d’un islam éclairé (V.I.E.) – Mouvement pour un islam spirituel et progressiste »
oumma.com