Rêver ou rêver ?
Le rêve peut revêtir deux formes différentes, de laquelle des deux veut-on parler ?
Le rêve, au sens classique du terme, est quelque chose qui se passe à l’état de sommeil et qui nous permet de vivre une situation sans que nous l’ayons décidé vraiment.
Puis, il y a le fait de rêver sa vie, rêver d’un monde meilleur etc. Et ceci, en réalité, est plus en lien avec l’imaginaire, la faculté de l’imagination à partir du présent construit une idée que l’être humain voudrait réaliser.
Pour ce qui est du rêve que l’on fait en état de sommeil, il peut selon les soufis être de plusieurs catégories :
- Le rêve simple qui permet d’évacuer les charges psychiques trop importantes, emmagasinées par l’âme au cours de la journée ;
- Le mauvais rêve qui peut s’apparenter aux cauchemars ou à toute autre vision négative ;
- Le songe véridique, qui est décrit par le Prophète Muhammad, sur lui la grâce et la paix, comme une quarante sixième partie de la prophétie.
Il est de coutume chez les maîtres spirituels, à l’instar de ce que faisait le prophète lui-même, de demander à ses disciples au matin s’ils avaient eu quelques beaux rêves. En effet, il est de coutume de raconter un beau rêve et de ne surtout pas ébruiter un mauvais rêve comme pour conjurer sa possible réalisation.
Le songe véridique fait donc office de nouvelles des Cieux.
Le meilleur exemple demeure celui de Joseph, fils de Jacob (salut sur eux), dont l’existence fut prédéterminée par les visions qui se sont concrétisées. Il vit la fameuse vision des étoiles, du soleil et de la lune :
« Quand Joseph dit à son père : « Cher père ! J’ai vu (en rêve) onze étoiles ainsi que le soleil et la lune, je les ai vus prosternés à mes pieds. » (Coran12 : 4).
Son père lui conseilla de ne pas conter sa vision à ses frères par crainte de leurs représailles. Ce fut ce qui arriva par le piège tendu par eux à son encontre, en vue de l’éloigner de Jacob. Il fut séparé effectivement de sa famille pendant longtemps. Le destin le fit vivre en Égypte où ses talents furent découverts. Quand le roi d’Égypte eut la vision de sept vaches grasses mangées par sept maigres et sept épis verts et d’autres desséchés, ce fut Joseph qui interpréta la signification du songe :
« Joseph, toi qui ne dis que la vérité ! Donne-nous ton avis sur la signification de sept vaches grasses que mangent sept maigres et de sept épis verts et d’autres desséchés ; peut-être retournerai-je aux gens et peut-être alors qu’ils connaîtront (la vérité sur ton compte). Il dit : « Vous sèmerez sept années de suite. Ce que vous récolterez laissez-le dans ses épis sauf un peu pour votre manger. Puis, après cela, viendront sept (années) dures qui mangeront ce que vous leur aurez préparé sauf un peu de ce que vous mettrez en lieu sûr. Puis, après cela, viendra une année où les gens recevront des pluies bienfaisantes et où ils presseront » Coran (12 : 46 à 49).
Le roi d’Égypte attribua à Joseph le pouvoir de mettre en œuvre le plan d’action lié à sa vision. Les événements se réalisèrent. Une grande famine se déclara dans tout le Moyen-Orient. Ses frères, comme d’autres populations déshéritées, vinrent en quête de nourriture se ravitailler en grains en Égypte. Ils ne reconnurent pas Joseph tellement il avait changé par rapport à son enfance. Il conçut alors des stratagèmes pour réunir toute sa famille. Après une longue séparation, ils se retrouvèrent de nouveau ensemble devant lui, comme dans son rêve d’enfance.
C’est ainsi que se réalisa doublement le songe du Roi d’Égypte et celui de Joseph : d’une part, le Moyen Orient fut sauvé de la famine, et d’autre part, le soleil est son père, la lune sa mère et les onze étoiles représentent ses frères.
De là, une véritable science de l’interprétation des rêves s’est mise en place dans le monde musulman.
Pour ce qui est de la faculté imaginative, je vous renvois à l’excellent ouvrage d’Henri Corbin : l’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabî
Rêver le monde est une possibilité pour l’être humain qui lui ouvre des possibilités illimitées, encore faut-il qu’il apprenne à maîtriser cette imagination afin de ne pas en être le jouet !
C’est ce que nous apprennent les maîtres soufis.
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