Dans un contexte de transformation numérique du continent, la nécessité de préparer les prochaines générations aux futures exigences professionnelles se pose avec de plus en plus d’acuité. Au regard de l’impact que la quatrième révolution industrielle aura sur des segments stratégiques comme la finance, la santé, l’éducation, le transport, l’agriculture, etc., l’Afrique se doit d’accélérer l’acquisition de compétences TIC par sa jeunesse.
Au regard du niveau d’intérêt que l’Afrique accorde à la formation de sa jeunesse aux sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM), il ressort que le continent se prépare mal au futur monde de l’emploi, induit par la quatrième révolution industrielle. Dans son étude intitulée: « The Future of Jobs and Skills in Africa. Preparing the Region for the Fourth Industrial Revolution », publiée en mai 2017, le World Economic Forum estimait que les jeunes Africains, titulaires d’un diplôme en STEM, ne représentaient encore que 2% de la population totale d’âge universitaire du continent.
Les jeunes Africains, titulaires d’un diplôme en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM), ne représentaient encore que 2% de la population totale d’âge universitaire du continent.
Conséquences, la jeunesse africaine diplômée et en âge de travailler pourrait se retrouver lésée par la transformation numérique du continent. Bien que la croissance future du marché de l’emploi ne se limitera pas au seul secteur de la technologie et que tout le monde n’aura pas besoin de devenir ingénieur ou informaticien, les employeurs africains regarderont tout de même d’un bon œil tous les travailleurs dotés de connaissances de base ou avancées en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. Comme l’anglais s’est imposé au fil des années comme la seconde langue à maîtriser pour accroître les chances de voir son curriculum vitae retenu, les compétences numériques ou informatiques joueront un rôle crucial dans le prochain marché de l’emploi en Afrique.
Les nouveaux métiers
Le numérique impacte logiquement les métiers de l’informatique, mais également tous les métiers et tous les secteurs : l’industrie, la finance, le secteur publique, mais également l’agriculture, la santé, le transport, les énergies renouvelables et encore l’éducation. Grâce aux TIC, des perspectives incroyables se dessinent. Les nouvelles technologies comme le cloud, l’intelligence artificielle, la blockchain, la cyber sécurité synthétisent les principales évolutions technologiques du numérique à l’heure actuelle.
Babacar Kane : « Pour rester dans la course il est nécessaire de développer beaucoup de compétences. »
Babacar Kane, le directeur général Afrique de l’Ouest et du Centre francophone d’IBM, explique que « les évolutions rapides de l’informatique ont amené à la création de nouveaux métiers. Les réseaux sociaux, Internet des objets, applications multi-device, impression 3D, virtualisation, traitement des données massives, sécurisation des données et d’autres ont un impact sur l’ensemble des métiers, que ce soit ceux des systèmes d’information ou ceux de l’ensemble des autres fonctions. Dans le domaine technologique déjà de nouveaux métiers voient le jour : développeur d’application mobile, data scientiste, cloud architect, blockchain développeur, etc. Il est probable, et voire même évident, que près de la moitié des métiers existants aujourd’hui pourraient disparaître d’ici 2025, et pour rester dans la course il est nécessaire de développer beaucoup de compétences ; un mélange de compétences « soft » et « hard » s’exigent ».
« Il est probable, et voire même évident, que près de la moitié des métiers existants aujourd’hui pourraient disparaître d’ici 2025, et pour rester dans la course il est nécessaire de développer beaucoup de compétences ; un mélange de compétences « soft » et « hard » s’exigent ».
Mais, l’actuelle orientation éducative de l’Afrique pour répondre aux futures exigences professionnelles de l’Afrique présente des limites.
Dans son rapport 2017 sur l’indice de développement des TIC, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) indiquait que l’Afrique est la dernière de toutes les régions du monde avec un niveau de compétences TIC toujours en dessous de la norme mondiale.
L’Afrique piétine
Selon Marianne Eve Jamme, la fondatrice et présidente directrice général de iamtheCODE, l’Afrique souffre d’une absence de plan stratégique solide, d’un cadre clair pour l’éclosion des métiers technologiques et numériques. « Chaque année, les États-Unis investissent des milliards de dollars dans l’éducation en STEM et dans le développement de la main-d’œuvre, sachant que plus de 70% de leurs emplois nationaux et internationaux nécessiteront ces compétences de base: sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. En attendant, en Afrique on ne sait même pas si certains dirigeants nationaux comprennent leur importance ou leur signification », déplore-t-elle.
Marianne Eve Jamme : « Si nous ne formons pas notre population aux bonnes compétences, nous serons perdants en tant que continent ».
Marianne Eve Jamme estime que si les gouvernements africains avaient une stratégie claire sur les politiques STEM, ils n’auraient plus besoin de recourir aux multinationales chinoises, indiennes et américaines pour des compétences STEM. Elle met d’ailleurs en garde les pays d’Afrique pour le futur : « Si nous ne formons pas notre population aux bonnes compétences, nous serons perdants en tant que continent ». Un avis que partage Babacar Kane, le directeur général Afrique de l’Ouest et du Centre francophone d’IBM, qui souligne que « la technologie joue un rôle fondamental pour le développement économique de l’Afrique puisqu’elle a un rôle de catalyseur, facilitant les communications transfrontalières, les transactions financières ainsi que le partage de connaissances et d’informations. Elle s’affirme désormais, comme un ensemble d’outils essentiels à la formalisation des stratégies de développement. Le manque de compétences technologiques est un grand frein dans un secteur qui en perpétuelle transformation et innovation (…) L’enjeu pour l’Afrique sera d’accompagner cette force active en termes d’éducation, de formation et d’accessibilité à l’emploi et à l’entreprenariat afin de transformer la dynamique économique du continent ».
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Pour le WEF, le défi majeur de l’Afrique consiste à réorganiser les programmes de développement des compétences des pays en fonction de leur exposition au paysage de l’emploi de demain.
Les initiatives privées
En attendant que les gouvernements africains se décident à investir dans un système éducatif intégrant davantage les compétences TIC, de nombreuses initiatives privées se multiplient pour aider l’Afrique à ne pas rater le coche. C’est le cas d’Andela, la société américaine spécialisée dans la formation de développeurs de logiciels. Elle a déjà lancé plusieurs programmes de formation numériques des jeunes à travers le continent.
En 2016, Google s’est aussi investi dans ce segment à travers son programme de formation visant à former plus de 10 millions de jeunes pendant cinq ans.
IBM n’est pas en reste. En 2017, la compagnie a investi 70 millions dans son programme de formation nommé «IBM Digital – Nation Africa». L’initiative offre aux futurs apprenants une plateforme d’apprentissage basée sur le Cloud d’IBM qui hébergera des programmes éducatifs gratuits durant cinq années.
« Un programme fait pour l’Afrique, pour les Africains ».
La plateforme basée sur Watson, le système cognitif de la société, a la capacité de s’adapter à tout contexte, apprendre et interagir avec ses utilisateurs. Ainsi, le système peut analyser les profils des utilisateurs pour leur proposer la formation la plus adéquate, allant jusqu’à adapter les contenus pédagogiques du programme. Les formations vont des cours basiques d’informatique jusqu’aux plus pointus, tels que la programmation, la cyber-sécurité et la méthode agile, en incluant des sujets généraux tels que l’innovation, l’analyse critique ou l’entrepreneuriat. Le programme «IBM Digital – Nation Africa» est piloté à partir des centres régionaux d’IBM en Afrique du Sud, Egypte, Kenya, Maroc et Nigéria. Babacar Kane, souligne que la plateforme «IBM Digital – Nation Africa n’est accessible que depuis l’Afrique. C’est un programme fait pour l’Afrique, pour les Africains ».
Mais ces initiatives privées ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. Il y a urgence. Dans un article publié en 2017 sur la plateforme scientifique « The Conversation », Rohen d’Aiglepierre, chargé de recherche Capital Humain à l’Agence française de développement (AFD) et Sandra Barlet, chargée de programme, services d’appui aux entreprises formation et insertion professionnelles au Groupe de recherche et d’échange technologique (GRET), indiquaient qu’à l’horizon 2030, plus de 30 millions de jeunes Africains entreront chaque année sur le marché du travail…
Ecofin Hebdo