Le calendrier musulman démarre avec un évènement majeur dans l’histoire des croyants, celui de l’Hégire. Cet évènement n’est pas simplement un fait historique ou un simple voyage, il est une idée comme le disait cheikh Mohamed al-Ghazali, que Dieu lui fasse miséricorde. Une idée qui germe dans la conscience des croyants autant comme un rattachement à nos racines et à notre héritage qu’une préparation à envisager l’avenir. Vu comme idée, l’Hégire peut s’appliquer à notre réflexion contemporaine avec la même acuité.
Il ne s’agit pas de revenir aux faits historiques. L’objet de notre propos est de poser un regard permettant de donner un sens à notre action.
La Hijra pour Dieu fait écho à l’intelligence, mais également à l’âme et au coeur de l’aspirant à Dieu. Il s’agit d’un mouvement spirituel emportant le croyant de l’insouciance et la négligence vers la présence à Dieu, vers le souci de l’Homme et de sa vie (dernière). C’est donc un changement d’état, de l’immobilité et la réactivité émotionnelle à l’action intelligente et bienveillante. C’est un mouvement de libération des chaînes de l’autorité injuste qu’elle provienne d’une société ou de son propre être car l’Homme peut être injuste avec lui-même. Cet esprit est pleinement retranscrit dans la réponse de Rib’i Ibn Amir (que Dieu l’agrée) face au célèbre Roustom, disciple zoroastrien à la tête du Royaume sassanide : « Nous sommes venus vous libérer de l’asservissement des hommes pour la soumission au Seigneur des hommes, de l’injustice des doctrines à la clémence de l’Islam, et de l’étroitesse de la vie d’ici-bas à l’infinité de la vie dernière… ».
Ce mouvement de libération s’inscrit plus largement donc dans notre ADN. Est-ce que notre Islam n’aurait rien à dire au monde, à part : « je vais m’adapter ou je vais vous combattre… ».
Nous pouvons certes désigner communément des phénomènes autour de nous, mais il peut y avoir de mauvaises analyses aux phénomènes. L’extrémisme violent, notamment musulman, les problèmes des banlieues, les problèmes au Moyen-Orient sont autant de phénomènes problématiques. Nous ne disons jamais que ces phénomènes procèdent d’injustices profondes. Nous parlons souvent de la violence au Moyen-Orient, mais nous parlons très peu du complexe militaro-industriel qui la nourrit. Comment souhaiter la paix dans nos sociétés quand les États de ces mêmes sociétés continuent à vendre des armes à Israël, à l’Egypte, à l’Arabie Saoudite ?
Quelle peut être notre approche ? Sans doute en reprenant le souffle de notre propre libération et contribuer à la libération plus globale… Pour cela, la vision du monde tel qu’il est, au niveau global et local est primordiale. Est-il juste ? Est-il en paix ? Est-il sain ?
Notre responsabilité est de nous relever en tant que témoins de Dieu dans la quête de la justice. L’appel de Dieu est de se soulever contre toutes les injustices. L’injustice n’est pas la prérogative des autres ou de la civilisation occidentale. Chacun d’entre nous peut être à la fois oppresseur et opprimé, dominant ou dominé. L’idée de se soulever en tant que témoin de Dieu peut se faire contre soi-même. Si le monde est injuste, il faut trouver des relais, des partenaires qui partagent les mêmes constats car il y a deux conceptions du monde qui s’affrontent actuellement. Elles sont liées à la vision que l’on peut avoir de l’homme. Dans la 1ère, l’homme est considéré comme une marchandise, il n’est qu’un simple animal au service de l’économie (travailleur, consommateur, spectateur individualiste). Dans la seconde, c’est l’idée que les êtres humains sont sacrés, qu’ils sont liés les uns aux autres par l’humanité qu’ils partagent, évoluant comme la vie évolue, dans un voyage, une hijra vers la transcendance.
Nous sommes invités à choisir le camp de l’humanisme, car « l’humanité entière est dans le même bateau qui est à la dérive et qui menace de couler. Il est totalement insensé de s‘entretuer dans de telles circonstances. C’est malheureusement ce que certains ont fait, mais les gens dotés de raison doivent malgré tout garder leur calme et concentrer leurs efforts pour sauver le bateau ». (1)
Finissons par une pensée : « l’oxygène est aux arbres ce que l’humanisme est aux Hommes. Même si les arbres sont de différentes espèces, ils permettent la vie par l’oxygène qu’ils dégagent. Les hommes et les femmes sont à l’image de ces arbres. Différents par leurs racines et leur couleur, les hommes et les femmes (dotés de raison) doivent permettre la cohésion humaine. L’humanisme est une nécessité vitale au même titre que l’oxygène que l’on respire ».