Pour ce qui est de la paix sociale, Sayed Qotb part du postulat suivant : fondamentale dans la construction de la société musulmane, la paix se pose non seulement en termes d’amour et de compassion, mais également en termes d’unité et de fraternité, symbole de la solidarité des hommes et de leur entraide, du lien commun qui les unit : « Ô hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés tous d’un seul homme ; de l’homme, il forma sa compagne… Craignez le Seigneur au nom duquel vous vous faites des demandes mutuelles. Respectez les entrailles qui vont ont portés. Dieu observe vos actions. » (Verset 1, Les Femmes) L’individu prend ainsi conscience qu’il n’est pas seul, qu’il ne vit pas pour sa génération mais pour l’humanité tout entière. D’où l’importance et la nécessité de vivre sous un régime politique basé sur les principes de la foi, à savoir l’unité, la fraternité, la solidarité. A partir de là, le régime politique que prône l’Islam et qui participe à l’instauration de la paix dans la société se fonde sur le principe de la Choura, telle que le rappellent ces versets du Coran : « Tous les biens que vous avez reçus ne sont qu’usufruit ; ce que Dieu tient en réserve vaut mieux et est plus durable : ces dons sont réservés aux croyants qui mettent leur confiance en Dieu ; Qui évitent les grands péchés et les actions infâmes ; qui, emportés par la colère, savent pardonner ; Qui se soumettent à Dieu, observent les prières, qui délibèrent en commun sur leurs affaires, et font des largesses des biens que nous leur avons accordés… » (Versets 34-36, La Délibération) Il est plus que significatif que cette recommandation de la délibération dans la gestion des affaires de l’Etat, ou de la communauté, fasse suite et partie d’un ensemble de vertus-critères distinguant le profil des hommes d’Etat musulmans, et duquel se dégage les obligations majeures pour un pouvoir politique préoccupé par la fidélité à l’éthique coranique, en l’occurrence la justice et la bienfaisance, cordon ombilical du régime de la Choura. Bien entendu, les modalités d’exécution de ce type de gouvernance obéissent au développement et au progrès des sociétés. Cependant, le principe est formel : il s’agit de faire participer les musulmans, les citoyens dans la gestion de leurs affaires sur les bases de la loi garante de la justice. A cet effet, la justice qu’exige l’Islam pour qu’il y ait paix est une justice absolue, la loi juste, celle qui échappe aux pièges de l’amour et de la rancune, au pouvoir de l’argent, du rang et des gouvernants. Les recommandations divines sont claires sur ce point : « O croyants ! Soyez stricts observateurs de la justice quand vous témoignez devant Dieu, dussiez-vous témoigner contre vous-mêmes, contre vos parents, contre vos proches, vis-à-vis du riche ou du pauvre… Ne suivez point vos passions, de peur de dévier. » (Verset 134, Les Femmes) Ou encore ces recommandations dans la sourate La Table : « O vous qui croyez, soyez droits devant Dieu dans les témoignages que vous porterez ; que la haine ne vous engage point à commettre une injustice. Soyez justes : la justice tient de près à la piété. » (Verset 11) Ou encore ce verset tiré de La Génisse : « Ne dissipez point vos richesses en dépenses inutiles entre vous ; ne les portez pas non plus aux juges dans le but de consumer injustement le bien d’autrui. Vous le savez. » (Verset 184) Une telle justice donc porte en elle les germes de la sérénité des esprits et de la concordance des hommes. Par ailleurs, préserver la vie humaine, principe inhérent à la Charia de Dieu, participe également à l’établissement de la paix dans la société. Porter atteinte à ce principe, c’est commettre l’irréparable ; c’est se déclarer ennemi de Dieu (Pourfendeur de la vie) et ennemi de toute l’humanité. Dieu avertit et ordonne : « Ne tuez point vos enfants à cause de l’indigence… Ne tuez point les hommes, car Dieu vous l’a défendu, excepté si la justice l’exige. » (Verset 152, Le Bétail) Mais, ce droit inaliénable à la vie en tant qu’obligation morale n’est pas suffisant ; il va au-delà de la persuasion dans la mesure où l’Islam pose les modalités légales pour punir toute atteinte à la dignité de la vie. On lit dans la sourate La Génisse à propos de la loi sur le meurtre : « O croyants ! La peine du talion vous est prescrite pour le meurtre… Dans la loi du talion est votre vie… » (Versets 173 et 175) De même, l’adultère et le vol sont décrétés comme crimes dont les préjudices déstabilisent la paix familiale et sociale, et rompent l’équilibre et l’harmonie garants du progrès et du développement des nations. La loi protège également l’individu de la suspicion, de l’écoute, des fausses accusations de se retrouver suspect injustement : « Si un homme méchant vous apporte quelque nouvelle, cherchez d’abord à vous assurer de sa véracité ; autrement, vous pourriez faire du tort à quelqu’un sans le savoir, et vous vous en repentiriez ensuite… O vous qui croyez, éviter le soupçon trop fréquent, il y a des soupçons qui sont des crimes ; ne cherchez point à épier les autres, ne médisez point les uns des autres… » (Versets 6 et 12, Les Appartements) Davantage, sur le plan économique, et afin de réaliser le principe de la solidarité et du partage, l’Islam interdit la pratique de l’usure, et par conséquent le monopole des capitaux et des richesses, considéré comme une iniquité et un facteur perturbateur de la cohésion et de l’équilibre sociaux, du développement et du progrès économiques : « Ceux qui avalent le produit de l’usure se lèveront au jour de la résurrection comme celui que Satan a souillé de son contact. Et cela parce qu’ils disent : L’usure est la même chose que la vente. Dieu a permis la vente, il a interdit l’usure… Dieu exterminera l’usure et fera germer l’aumône. » (Versets 276-277, La Génisse) En revanche, le droit au travail, en assurant le travail à tous et à chacun, permet l’édification d’une paix sociale : le travail est fondamental dans l’approche islamique, un pas important dans la réalisation d’une justice sociale globale qui passe par la répartition des richesses nationales. La misère est presque synonyme d’infidélité disait l’Imam Ali, pour résumer l’importance de la loi qui fait passer le nécessaire avant l’essentiel dans la vie concrète des hommes. En somme, l’Etat qui répond à l’éthique islamique, tout en assurant aux citoyens l’exercice des libertés et des droits civiques, leur offre des conditions raisonnables de bien-être individuel et progrès social.
La paix mondiale
En effet, pour établir la paix avec les autre religions, l’Islam s’inscrit dans la tradition d’Ibrahim, qui a réalisé la paix avec Dieu, l’Unique, et qui a établi la Douce Religion. L’islam se réclame de celle-ci et de sa continuité. C’est pourquoi l’Islam ne peut être en état de guerre avec les Gens du Livre, ceux qui se réclament de la tradition d’Ibrahim et de sa religion, l’islam, c’est-à-dire la paix avec Dieu, la soumission à sa Loi et la reconnaissance de sa Transcendance. En fait, cette règle de conduite à l’égard des autres descendants d’Ibrahim s’inspire de cet héritage commun et universel que contient le message d’Ibrahim : la paix. Les hommes, quand ils se créent des dieux à leur mesure ou cherchent des substituts à l’unicité de Dieu, rompent par cet acte le pacte de la paix avec Dieu, le Créateur. Les hommes, quand ils perdent la foi, entrent en guerre contre eux-mêmes et contre les autres. Ainsi, la paix de l’être, la paix sociale, la paix entre les tribus, les Etats ne peut se concevoir, se penser sans l’établissement au préalable de la paix avec Dieu. On ne peut se convaincre d’une idée de la paix alors que quelque part en son for intérieur, on porte la haine, on vit en guerre permanente contre Dieu. Cet état de guerre reflète ou renvoie à l’exemple de Satan qui a dit non à la volonté divine, une fois Adam créé et élu parmi les autres créatures de Dieu. La guerre fut déclarée contre les croyants par Satan ; il fut banni du territoire de la paix absolue. Le même sort est réservé à sa descendance et à ses soldats. Par ailleurs, la règle de conduite que prône l’Islam à l’égard des autres religions a pour principe la tolérance issue fatalement de la différence plurielle : « Si Dieu avait voulu, il n’aurait fait qu’un seul peuple de tous les hommes. Mais ils ne cesseront de différer entre eux, excepté ceux à qui Dieu aura accordé sa miséricorde. Il les a créés pour cela… » (Verset 120, Houd) C’est dans cette perspective que l’Islam, par sa vocation universelle, ne peut être qu’une religion de la tolérance. En témoigne l’attitude du Prophète de l’Islam, qui s’inspire d’une profonde tolérance, à l’égard de ses adversaires quand il entra victorieux à la Mecque. Ses mots se résumaient ainsi : paix avec ceux qui me suivent ; paix avec ceux qui suivent les Koraïchites. Le fondement de ce principe trouve son origine dans la recommandation divine que dévoile ce verset coranique : « Point de violence en matière de religion. » (Verset 257, La Génisse) La confusion n’est point possible alors, en ce sens que les croyances ne peuvent être soumises par la force, la violence, la guerre. La paix procède de la tolérance de l’autre, à la fois, dans ce qui éloigne (« Vous avez votre religion, et moi, j’ai la mienne. » Verset 6, Les Infidèles), et dans ce qui rapproche les individus, c’est-à-dire leur humanité ou pour mieux signifier la chose, leur bacharité. Toujours est-il que le Coran proclame ce principe de tolérance de développer et d’enrichir les relations humaines, en incitant les hommes à surmonter les cloisonnements naturels dans un élan de connaissance et de reconnaissance : « O hommes, nous vous avons procrées d’un homme et d’une femme ; nous vous avons partagés en familles et en tribus, afin que vous vous connaissiez entre vous. Le plus digne devant Dieu est celui d’entre vous qui le craint le plus. Or, Dieu est savant et instruit de tout. » (Verset 13, Les Appartements) Belle image d’une charité -diversité- pacifiée, islamisée ! La foi est le principe d’où procède la paix, préalable à toute action, à toute pensée. C’est sur les bases de la foi qu’il faudrait donc bâtir véritablement la paix perpétuelle. La foi dans la paix est le remède universel au mal de la guerre. Pour avoir la paix, nous dit Sayed Qotb, pour qu’il y ait paix, il faut avoir la foi. Tous les problèmes du monde se ramènent ainsi à l’être en conflit avec Dieu, avec soi-même, avec les autres et avec le monde. La relation est alors faite d’opacité ; et, le regard des yeux supplante celui du cœur, affluent principal de la foi. Mais, « Les serviteurs du Miséricordieux sont ceux qui marchent avec modestie et qui répondent : Paix ! Aux ignorants qui leur adressent la parole. » (Verset 64, La Distinction) « La salutation qu’ils recevront au jour où ils comparaîtront devant lui sera ce mot : Paix. Il leur a préparé en outre une récompense magnifique. » (Verset 41, Les Confédérés) La paix n’est ni une théorie, ni une idéologie. C’est une façon de vivre, de se comporter, de croire ; c’est un état d’esprit, de fidélité à Dieu, d’attachement à sa loi et de dépassement des pesanteurs psychiques et égoïstes.