La sainte loi de la finance, qui repose sur la notion d’intérêts bancaires, creuse de plus en plus les inégalités entre les États européens du Sud et du Nord. Pour comprendre ce phénomène, un petit saut dans l’Histoire s’impose : faut-il nous réapproprier les idées philosophiques de nos anciens sur la monnaie et l’usure, celles d’Aristote, de Saint-Augustin, ou de Thomas d’Aquin ?
Le XIIe siècle marque le début de l’ère capitaliste, avec la libération de l’usure dans les affaires commerciales. Thomas d’Aquin se lève alors contre le poison de l’usure. Il reprendra et approfondira la pensée philosophique sur la monnaie d’Aristote et de Saint-Augustin.
De nos jours, la notion d’usure a dévié de son sens originel : elle désigne un taux d’intérêt exorbitant. Pour comprendre la suite, nous garderons le sens originel : faire de l’argent à partir de l’argent. L’usure commence au premier centime d’intérêt perçu.
La pensée de Thomas d’Aquin repose sur l’idée que la monnaie doit être une “juste mesure” : la monnaie doit être un moyen (qui permet les échanges), et non une fin en soi (qui mesure la richesse). La thésaurisation qui consiste à emmagasiner la monnaie tel l’oncle Picsou, devrait être pénalisée, car elle prive l’économie du pays de sa monnaie, du sang qui l’irrigue.
Nous sommes loin de cette conception du rôle de la monnaie. À titre d’exemple, depuis la transformation de l’ISF en IFI, une montagne de cash dans un compte en banque n’est plus taxée, au grand bonheur de ceux qui emmagasinent les richesses.
Mais la pensée la plus profonde de ce formidable philosophe reste sur l’usure bancaire. Il fut un contemporain de la libération des activités d’usure dans les affaires commerciales du Moyen-âge, qui est à mes yeux la racine du mal capitaliste.
Selon Thomas d’Aquin, il est un bien commun qui ne peut être commercialisé : le Temps. Cette denrée, tout comme l’air qu’on respire, est considérée comme un bien commun à l’humanité, et ne peut être accaparée par une élite pour en faire commerce.
Or la finance moderne repose principalement sur les calculs actuariels : la commercialisation du Temps est au cœur de la finance et de notre système bancaire.Concrètement, quand une banque vous fait un crédit, elle crée de la monnaie à partir de rien, puis vous là prête sur la base de votre capacité de remboursement future.
En réalité, la banque a le pouvoir de ramener à aujourd’hui vos entrées d’argent futures. En échange de ce tour de passe-passe, elle demande une rétribution qui dépend de la durée du prêt et de votre précarité : les intérêts bancaires.
Plus la durée de la dette est longue et plus votre précarité est grande, et plus l’appétit de votre banque sera grand. Rappelez-vous que jusqu’à là, la banque vous prête de l’argent qu’elle n’a pas. Elle vous fait juste une avance sur votre travail futur grâce à une écriture sur ces comptes.
C’est exactement cette commercialisation du Temps qui est dénoncée par le philosophe Thomas d’Aquin. Et c’est exactement cette commercialisation du temps qui est la base de la finance, et qui est acceptée par tous les économistes modernes.
Cette commercialisation du Temps n’est pas sans incidence sur les travailleurs : avec des taux d’intérêts bas (2%), et une durée d’emprunt assez longue (20 ans), la banque vous extrait plus de 20% de vos revenus futurs. Pour vous donner de l’argent qu’elle ne possède même pas !
Rien ne peut justifier cette accaparement des richesses des travailleurs, et encore moins un simple jeu d’écriture comptable. Cette domination bancaire est un des maux qui gangrène notre économie, et qui au fil du temps et des générations, accentue les inégalités de richesse et le malaise social.
Il faut prendre le temps nécessaire pour comprendre et dénoncer cette entourloupe qui se produit de nos jours. Celle-ci se produit avec le consentement de la plupart de nos dirigeants politiques, nos économistes, nos universitaires, nos philosophes, nos penseurs, nos syndicalistes, nos hommes de gauche et de droite !
Personne ne remet en cause la notion d’intérêts bancaires. Encore moins quand ces intérêts créent des murs entre les États : la toute puissante finance décide en ce moment de rétribuer l’Allemagne de 0,28% quand celle-ci emprunte sur les marchés financiers sur 10 ans; cette même finance décide d’extirper 2,16% à l’Italie sur la même opération.
Par itérations, les richesses se concentrent sur l’Allemagne au détriment de l’Italie, la Grèce, l’Espagne et bientôt la France. Plus le Temps avance, et plus les inégalités entre Européens se creusent.
Ne laissons pas la logique bancaire créer des sentiments nationalistes dangereux pour la paix entre les peuples. Il est urgent de revisiter et de nous réapproprier les idées philosophiques de nos anciens sur la monnaie et l’usure : Aristote, Saint-Augustin, Thomas d’Aquin…
Nul besoin d’être économiste pour le faire.
Anice Lajnef
ajib.fr