La problématique de l’incivisme en Côte d’ivoire

Selon une diction persane, un enfant devant une boîte remplie de bonbons en prendra un, puis un autre, et ainsi de suite jusqu’à ce que la boîte soit vide, si avant, personne ne lui tape sur la main. La boîte représente la société et les bonbons toutes les licences que les citoyens peuvent s’octroyer de bon ou de mauvais droit, s’ils ne sont limités par l’autorité. L’État ne peut et ne doit donc abdiquer de ce rôle de régulateur de la vie de la société, au risque d’ouvrir vingt et cent boîtes de pandore qui mettront en péril jusqu’à sa propre existence.

Durant la première guerre, la France fut en proie à une montée fulgurante de la délinquance de droit commun et d’incivisme de diverses natures. Cette délinquance et cet incivisme avaient ceci de spécifique, qu’ils étaient le fait de jeunes enfants souvent âgés de moins de 10 ans. En s’additionnant aux effets de la guerre, ils ont amplifié de manière caractéristique la désorganisation de la société et le chaos ambiant. La raison de cette situation était l’accaparement de l’État et ses relais sociaux que sont les parents et les éducateurs par l’effort de guerre, qui a laissé des pans entiers du pays loin des champs de batailles, sous l’empire de bandes de délinquants souvent en culottes courtes. Toute chose qui montre le lien mécanique qui existe entre l’absence et/ou le recul et la démission de l’État, des parents et des éducateurs et l’émergence d’une situation proche de l’anarchie, si elle ne fait pas le lit de l’incivisme caractérisé.

La montée de l’incivisme dans notre pays qui pousse notamment les jeunes à s’en prendre à la moindre montée de la fièvre sociale ou même pour des raisons totalement banales aux symboles de l’État et aux biens publics et privés, a son histoire et ses explications liées au recul de l’autorité de l’État et la patiente conquête de l’espace public par le désordre. Le Président Houphouët disait à juste titre qu’il préférait de loin l’injustice au désordre et le pays a eu le temps de prendre à son corps défendant, toute la quintessence de cette posture.

Sous sa forme la plus corrosive, le désordre social émerge dans les années 1990, avec les revendications d’ouverture politique et syndicale. La mauvaise pédagogie faite sur la portée et les enjeux de ces nouvelles libertés revendiquées et acquises, constitue le péché originel qui explique, le chemin de croix qui est celui de notre pays depuis lors. Le délitement progressif de l’autorité de l’État a commencé paradoxalement au sein de l’institution qui lui a servi depuis la date de son indépendance de courroie de transmission des valeurs humaines et citoyennes, à savoir l’École.

En effet, L’École dont la mission est de former l’individu en lui octroyant des compétences et d’éduquer aux valeurs et à l’éthique de la société, est devenue le laboratoire de l’inversion des valeurs et des normes. Les apprenants sous la houlette de leurs structures syndicales, se sont progressivement affranchis sans préjudices pour eux, de toute nécessité et obligation de suivre les règles en vigueur. Leurs méthodes de revendications ont occasionné des confrontations violentes avec l’État qui a fini par céder et se replier, laissant aux syndicats d’élèves et d’étudiants dont les responsables sont affublés de titres militaires (général, maréchal etc.), toute la latitude de fonder l’Histoire dans le microcosme scolaire et même au-delà. Dès lors, que les différents responsables desdits syndicats soient devenus des entrepreneurs majeurs de la décennie perdue pour le pays, ponctuée de rébellion, de destructions de vies et de biens publics et privés, est une conséquence toute logique de cette évolution ; tout comme aujourd’hui, la revendication violente des congés anticipés par les élèves. Toute chose qui fonde que l’on parle de pacification de l’École (un terme militaire) au lieu de normalisation.

L’Ecole dont la vocation est d’être le rempart contre l’incivisme est devenue son catalyseur. Cette impression de passivité ou d’impuissance de l’État a constitué un appel d’air pour d’autres acteurs qui mettent régulièrement au défi son autorité, notamment à travers divers mouvements d’humeur comme les appels aux boycottes actifs et à la désobéissance civile qui s’expriment hélas le plus souvent par des actes de destruction de vies, des symboles de l’État et de biens publics et privés. Comme pour les élèves, les responsables de ces actions sont assurés s’en tirer à bon compte, car leur élargissement constitue toujours la condition de tout règlement de crises en Côte d’ivoire. Un tel État, ne peut contraindre les parents à s’acquitter de leur devoir premier qui est d’éduquer et de mettre leurs enfants sur le bon chemin. Cette démission des parents qui tire sa justification de celle de l’État, explique l’apparition des phénomènes comme celui des « microbes » ou enfants en conflit avec la loi, dont certains ont encore l’odeur du lait maternelle à la bouche et qui attaquent, agressent et tuent d’honnêtes citoyens. Pour combattre la recrudescence des actes d’incivisme, l’État doit assurer que force reste toujours à la loi et que le délinquant assume les conséquences de ses actes. L’État détient donc lui-même les clefs de la lutte contre l’incivisme. Il lui suffit simplement de savoir la reconnaître dans sa boîte à outils et de surtout vouloir l’utiliser.

MORITIÉ CAMARA

Professeur des universités en histoire des relations internationales

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Fraternité Matin n°16 801 du Mardi 22 décembre 2020

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