Ces derniers mois de 2020 sont riches en évènements sur la problématique de la réconciliation. La démarche libre et volontaire du gouvernement vers les exilés dont le nombre est passé de 350000 à moins de 40 000, la réaction d’hostilité de certains exilés du Ghana dont les exigences ressemblent mot pour mot comme en écho à la sortie politico-religieuse de certains religieux et interpellation d’ONG pour qui sans libération inconditionnelle de prisonniers politiques la réconciliation est impossible.
Bien entendu comme on le constate, la réconciliation tout le monde en parle. Mais tout le monde ne sait pas ce que recouvre malheureusement le mot ‘’Réconciliation’’.
Pour beaucoup de personnes, c’est l’absence de prisonniers, de mécontents, de palabres, de discussions dans une société humaine qui illustre la Réconciliation. Pour d’autres c’est d’abord avant et après tout une démarche simultanée de deux parties l’une vers l’autre: la Victime et le Bourreau. Cependant quand le Bourreau se prend pour la Victime ou que la Victime refusent de pardonner le Bourreau les choses se compliquent. Et dès lors certaines personnes de part et d’autres utilisent la problématique de la Réconciliation comme un fonds de commerce politique, religieux ou électoral. Et c’est pourquoi il faut tout de suite se dire que la Réconciliation est un long et difficile processus. La preuve en Côte d’Ivoire on en parle depuis plus de dix ans. Donc bien avant l’avènement d’Alassane au Pouvoir d’Etat. Et Très peu parmi ceux qui en parlent arrivent à faire correctement l’inventaire des conditions minimales pour atteindre la réconciliation.
On ne peut parler en effet de réconciliation sans être capable de faire honnêtement l’état des lieux de la belligérance en répondant sans faux fuyant aux questions suivantes: Qui sont les belligérants ? Quelles sont les causes de cette belligérance ? Quelle en a été l’issue? Quelle sont les démarches faites dans le sens de la réconciliation par les principaux protagonistes ? Qui a reconnu son tort? Qui a demandé pardon? En outre les interrogations suivantes peuvent être utiles: la belligérance a-t-elle été violente, mortelle, ou simplement verbale ? Quelles démarches ont été entreprises par les protagonistes vis à vis des victimes collatérales?
La première condition nécessaire pour remédier à la belligérance, fut-elle violente ou pas, est son arrêt immédiat ou progressif. Tant que la belligérance frontale et violente continue, il n’est pas possible de parler de réconciliation. Une fois la belligérance arrêtée il faut s’assurer de la sécurité de l’environnement global mais aussi de la sécurité des belligérants et de leurs partisans.
En somme, il convient de créer un environnement de confiance objective pour entamer des négociations sans préalables susceptibles de bloquer le long chemin vers la réconciliation. Mais cette réconciliation vraie est impossible si l’un des belligérants principaux ne veut pas, ou ne fait rien pour encourager l’autre protagoniste à aller vers lui. Car après tout, la réconciliation c’est d’abord et avant tout entre deux personnes avant d’être entre deux entités.
Alors venons-en à la Côte d’Ivoire : Quel est l’état des lieux de la réconciliation ? Parmi les belligérants, qui a fait quoi vers la réconciliation ? Quelle est l’histoire des conflits et des réconciliations en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire n’est pas à sa première crise politique. On pourrait citer entre autres les affaires du SANWI et du GUEBIE. Il y’a aussi les affaires des complots de 1963. Et tout récemment les coups de force de 1999 et 2002. On pourrait citer aussi la mésentente entre Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara. Tous ces conflits ont tous été réglés après coup par le dialogue, et le pardon mutuel. Puis la réconciliation a été célébrée par les protagonistes. Ainsi va la vie d’une nation.
Il n’est donc pas honnête de faire croire que la crise post-électorale de 2011 est la première du genre dans notre pays et qu’elle marque la fin de la Côte d’Ivoire plurielle, pluriethnique, et pluri religieuse. Il est tout aussi malhonnête de faire croire que les ivoiriens continuent à se battre chaque jour…Bien entendu Alassane et Laurent ne se parlent toujours pas…Bien entendu pour des partisans du Président Gbagbo tant que celui-ci n’est pas libéré et réinstallé au Palais avec ses prérogatives il n’y aura pas de réconciliation…..alors que les victimes de part et d’autres attendent de savoir et comprendre pourquoi elles ont été violentées, violées, mutilées à vies ou tuées ? Cependant malgré tout il est tout aussi malhonnête de faire croire que rien n’a été fait pour la réconciliation depuis avril 2011 date de fin de règne du Président Laurent Gbagbo.
En voici la preuve en faisant l’inventaire des actions entreprises de part d’autre:
- Le premier magistrat du pays, grand vainqueur de la belligérance politico-militaire a demandé publiquement pardon à toute la nation. Cette demande de pardon, il l’a répétée dans tout le pays, même à Gagnoa dans le fief de son adversaire de 2011 ;
- Il a demandé à ses partisans de pardonner à leur tour;
- Il a mis en place deux (2) structures : la CDVR dirigée par un ancien premier ministre, et la CONARIV dirigée par un homme religieux, pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes;
- Il s’est déplacé personnellement dans les pays voisins pour demander le retour des réfugiés dans leur pays ;
- Il a nommé un Ministre d’Etat, chargé en permanence du dialogue politique ;
- Le Président a rendu visite aux 31 régions de la Côte d’Ivoire pour parler aussi bien à ses partisans qu’aux partisans les plus extrémistes de ses adversaires politiques ;
- Malgré l’insistance de la Cour pénale internationale (CPI), il s’oppose avec détermination au transfert de Simone GBAGBO hors de la Côte d’Ivoire ;
- Selon toute vraisemblance, c’est à cause du double refus de GBAGBO malgré la fin de la belligérance, de reconnaître sa défaite et de lancer un appel au calme à ses partisans armés et violents, que la CPI a réclamé et obtenu son transfert en vue d’accélérer le retour de la paix civile dans le pays. Autrement il aurait suffi que Gbagbo reconnaisse sa défaite électorale ou sa défaite militaire si nécessaire pour ne pas aller là où il se trouve. Il aurait été aujourd’hui comme Henri Konan Bédié co gérant de la reconstruction de la Côte d’Ivoire.
En face de cette disponibilité et du souhait du Président Alassane pour une démarche progressive vers la réconciliation, que fait le camp Gbagbo ?
- Il Refuse de participer aux élections législatives et municipales ;
- Il Boycotte le recensement général de la population ;
- Il Refuse de siéger à la CEI et de participer aux élections présidentielles de 2015 ;
- Il organise de Nombreuses tentatives de marches et de rassemblements politiques pour protester contre le régime en place ;
- Il procédé à l’Exclusion systématique de tous les cadres du parti qui tenteraient d’amorcer le dialogue avec le Pouvoir;
- Il fait de la libération immédiate et sans de Laurent GBAGBO incarcéré dans une prison de la cour pénale internationale (CPI) une condition non négociable
- Il organise au plan national et international des campagnes de légitimation du Pouvoir en place et de violence contre les personnalités ivoiriennes à l’étranger et enfin
- Il a Appelé au boycott des élections présidentielles d’octobre 2015.
A la veille des élections Présidentielles de 2020, le camp Gbagbo a rejoint l’opposition dont la revendication entre autres :
- Refus de la candidature d’Alassane OUATTARA pour les élections présidentielles du 31 Octobre 2020 ;
- Dissolution de la commission électorale indépendante ;
- Dissolution du conseil constitutionnel ;
- Application intégrale des arrêts de la cour Africaine des droits humains et des peuples ;
- Audit des listes électorales de 2020 ;
- Acceptation de l’éligibilité de Gbagbo Laurent de Soro guillaume ;
- Report des élections et instauration d’une période de transition ;
Donc selon toute évidence, l’un des principaux belligérants n’est pas encore prêt à s’engager sans condition dans le processus de réconciliation qui continue son petit bonhomme de chemin malgré tout. Car le Président Alassane ne peut rien faire seul. Autant il ne peut imposer la réconciliation aux victimes qui attendent Justice autant il ne peut l’imposer aux bourreaux qui espèrent Vengeance. Il revient donc à Laurent Gbagbo et à lui seul de faire d’abord sa part de chemin vers la réconciliation, avec non seulement son ancien allié politique aujourd’hui Président de la République, mais aussi et surtout vers les parents des victimes de tous bords et envers la Nation toute entière.
En bon chrétien, l’ex Président Laurent Gbagbo sait que le Jugement Dernier aura lieu. Et pour mieux le préparer, il faut se faire pardonner ici-bas par ses semblables. Et justement la réconciliation sincère et vraie commence toujours par une demande intime et intérieure de Pardon. C’est la traduction extérieure de ce pardon qui est la réconciliation. Et comme il avait lui-même l’habitude de le dire : le Temps est un autre nom de Dieu. Et effectivement, avec le Temps les hommes finissent toujours par se réconcilier, avec ou sans les principaux acteurs de la belligérance.
Alors pourquoi ne pas profiter de sa vie pour participer à cette noble œuvre de réconciliation pendant qu’il est encore temps? Ne serait-ce que par amour pour ses propres partisans (aujourd’hui divisés à cause justement de la problématique de la réconciliation) et qui n’attendent qu’un seul mot pour guérir et se libérer afin de contribuer efficacement au développement harmonieux de leur région dans une Côte d’Ivoire en pleine croissance et réconciliée sans eux.
Demain l’Histoire et les générations à venir jugeront leurs concitoyens, non pas seulement par rapport à leurs responsabilités dans les conflits qui les ont opposé à un moment de leur existence, mais ce sera surtout pour leur rôle dans la résolution de ces conflits et la réconciliation des protagonistes. En attendant le rôle des médiateurs et des religieux c’est de travailler à rapprocher les principaux protagonistes et non de jouer aux justiciers ou de tenir des discours populistes. Que les religieux surtout ceux estiment que rien n’a été fait pour la réconciliation présentent ici et maintenant le bilan de leurs démarches vers Laurent GBAGBO et Alassane OUATTARA. La réconciliation est une nécessité vitale, un long et fragile processus. Et chaque petit pas vers la réconciliation doit être reconnu, soutenu et encouragé. Chaque petit pas, chaque mot et chaque petit geste qui nous en éloigne doit être combattu et condamné par les médiateurs et les religieux. En un mot comme en cent la Réconciliation est une préoccupation trop sérieuse qui ne peut être traitée n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui.
CAP ALIF est un Think Tank ivoirien dont le siège se trouve au Deux Plateaux. il regroupe des chercheurs, des universitaires bénévoles qui réfléchissent librement sur les questions d’actualité et de prospectives.
Par (John Michael CAP ALIF)