L’Arabie Saoudite est-elle prête à reconnaître la mort du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul ? C’est ce qu’affirment plusieurs médias américains selon lesquels le royaume pourrait admettre un interrogatoire ayant tourné au drame. Pour l’heure, la disparition du journaliste le 2 octobre dernier jette un froid sur la relation pourtant solide entre Riyad et ses alliés occidentaux.
De la Maison Blanche à l’Elysée, le ton a changé ces dernières semaines, au rythme des révélations inquiétantes dans l’affaire Khashoggi. Le président américain Donald Trump a agité la menace d’une « punition sévère » si la responsabilité de l’Arabie saoudite était avérée. On a aussi entendu le président français Emmanuel Macron parler de « faits très graves » et « extrêmement inquiétants », au micro de RFI et de France 24 la semaine dernière lors du Sommet de la Francophonie. « La France, instamment, souhaite que tout soit mis en œuvre pour que nous ayons toute la vérité sur cette affaire » a dit le chef de l’Etat. Dans la foulée, Paris, Londres et Berlin demandaient « une enquête crédible » dans un communiqué conjoint.
Confiance perdue
Ce sont donc des alliés proches du royaume saoudien qui aujourd’hui demandent des comptes à ses dirigeants, au premier rang desquels le jeune prince héritier Mohammed ben Salman. La France considère l’Arabie saoudite comme une alliée stratégique et c’est aussi un marché important pour les exportations françaises. Les Etats-Unis de Donald Trump de leur côté veulent afficher un front commun avec l’Arabie saoudite contre l’Iran. « Trump lui-même a dit qu’il ne remettrait pas en cause les contrats avec l’Arabie Saoudite car ils sont très importants pour l’économie américaine », explique Stéphane Lacroix, professeur à Sciences-Po et chercheur au CERI. Pour ce spécialiste des monarchies du Golfe, « on ne peut pas s’attendre à un changement radical » dans la relation entre Riyad et ses partenaires. Mais pour Stéphane Lacroix, l’affaire Khashoggi laissera des traces : « Mohammed ben Salman [le prince héritier] n’inspire pas la confiance, ses partenaires à l’étranger vont se méfier de lui ». Des dégâts aussi pour l’image du royaume, ce qui risque « de remettre en cause les projets économiques du prince : si vous voulez attirer des investisseurs vous avez besoin d’avoir une bonne image et d’attirer la confiance », explique le spécialiste de l’Arabie saoudite.
Précédents
Il faut dire que la disparition de Jamal Khashoggi, journaliste critique du pouvoir saoudien, est intervenue après d’autres évènement qui ont installé le doute sur les méthodes du prince Mohammed ben Salman. On se souvient de la démission du Premier ministre libanais Rafic Hariri, annoncée en novembre 2017 à Riyad, où – selon plusieurs sources – il était retenu contre son gré. A la même époque, plusieurs centaines de Saoudiens, dont des princes et des ministres, ont été enfermés au Ritz-Carlton de Riyad, lors d’une vaste purge anti-corruption. En juin 2017, l’Arabie saoudite a participé (aux côté des Emirats Arabes Unis, de Bahrein et de l’Egypte) à une opération de boycott du Qatar, son voisin, qui se poursuit. Et au printemps 2018, des militantes et militants des droits des femmes ont été arrêtés au moment où les Saoudiennes accédaient enfin au droit de conduire dans les rues du royaume.
« L’Arabie Saoudite de Mohammed ben Salman ne tolère pas la critique, ni en interne ni en externe », décrypte le chercheur Stéphane Lacroix. Le Canada en sait quelque chose, puisqu’il est brouillé depuis le mois d’août avec Riyad, suite à un tweet de la ministre canadienne des Affaires Etrangères critiquant la situation des droits de l’homme dans le royaume.
Rapport de force
L’Arabie saoudite ne manque pas de leviers pour installer un rapport de force avec ses alliés occidentaux. En septembre, l’Espagne a annulé un contrat de vente d’armes à l’Arabie saoudite, des bombes à guidage susceptibles d’être utilisées pour la guerre au Yémen. Mais l’annulation a rapidement été… annulée car Madrid n’a pas voulu perdre un autre contrat de défense (1,8 milliards d’euros pour cinq navires de guerre).
Récemment l’Allemagne a dû aussi faire marche arrière, après avoir pourtant annoncé qu’elle ne vendrait pas d’armes à l’Arabie saoudite pour la guerre au Yémen. « La stratégie de Mohammed ben Salman c’est de dire ‘vous avez besoin de nous, vous devez faire avec nous’. Ce n’est plus l’Arabie Saoudite d’avant qui faisait bonne figure quand on la critiquait », explique Stéphane Lacroix. « Mohammed ben Salman est dans le rapport de force, poursuit le chercheur qui pointe la limite de la capacité de pression des Occidentaux, dès lors qu’eux-même sont gouvernés par des considérations économiques et préfèrent se taire sur les droits de l’homme ».
RFI