Alassane Ouattara, candidat à un troisième mandat en Côte d’Ivoire : « Je me présente contre ma volonté, ce n’est pas un plaisir »
Le chef de l’Etat, 78 ans, est au pouvoir depuis 2010. L’élection prévue le 31 octobre est contestée, et des violences ont éclaté dans plusieurs localités du pays.
Par Cyril Bensimon Publié aujourd’hui à 06h30, mis à jour à 06h41
Article réservé aux abonnés
Le président de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara à Paris en 2019. LUDOVIC MARIN / AFP
Président de la Côte d’Ivoire depuis 2010, Alassane Ouattara, 78 ans, est candidat à un troisième mandat fortement contesté par l’opposition qui l’estime contraire à la Constitution et appelle à la « désobéissance civile » pour empêcher notamment la tenue du scrutin.
Alors que l’élection est prévue le 31 octobre, des violences ont éclaté dans plusieurs localités du pays, provoquant la mort d’une trentaine de personnes depuis le mois d’août. Pour le chef de l’Etat ivoirien, qui est revenu sur l’annonce de son retrait après la mort en juillet de son premier ministre et successeur désigné, Amadou Gon Coulibaly, il n’y a cependant aucune raison de reporter le vote ou de retirer sa candidature. Entretien.
Des violences meurtrières sont survenues ces derniers jours en différents points du pays. Votre décision de briguer un troisième mandat n’a-t-elle pas mis le feu aux poudres ?
J’en suis désolé, mais l’opposition provoque des violences car elle n’a pas d’arguments. La Constitution ne m’interdit pas d’être candidat. Ma candidature est une candidature d’urgence face à un cas de force majeure suite au décès d’Amadou Gon Coulibaly.
Mon parti me l’a demandé et comme il est majoritaire à l’Assemblée, au Sénat et dans les mairies, cela signifie que la majorité des Ivoiriens m’a demandé d’être candidat.
Je me présente contre ma volonté, ce n’est pas un plaisir. Je me fais insulter alors que je serais parti auréolé aussi bien en Afrique que sur la scène internationale. Je tiens à mon aura mais voulez-vous que j’abandonne mon pays à ces ivoiritaires [sorte de préférence nationale], ces gens qui ont dilapidé les ressources de la Côte d’Ivoire pendant des décennies ? J’avais une obligation citoyenne et personnelle d’être candidat.
Après le décès en juillet d’Amadou Gon Coulibaly, n’aurait-il pas été préférable d’organiser des primaires au sein de votre parti plutôt que de revenir sur l’annonce de votre retrait ?
Mon parti aurait éclaté entre ses différentes tendances et Henri Konan Bédié serait sorti président. Cela, je ne peux pas l’accepter. Le choix était entre mon aura personnelle et mon pays, j’ai choisi la stabilité de mon pays et de transférer le pouvoir à la nouvelle génération qui m’entoure.
Vous dites que votre candidature est un sacrifice mais vous n’avez jamais fermé les portes de celle-ci, en retirant notamment la limite d’âge dans la Constitution.
Nous avons eu en 2003 un accord à Marcoussis qui a permis de supprimer des dispositions qui empêchait ceux qui ne sont pas de père et de mère ivoiriens d’être candidat, ce qui n’est pas mon cas même si certains ont prétendu le contraire.
La seconde chose, c’était la limite d’âge qui empêchait Henri Konan Bédié et Guillaume Soro d’être candidats. La troisième, c’était la visite médicale qui aurait pu empêcher Laurent Gbagbo qui a des problèmes de santé. Ces trois choses étaient un consensus de Marcoussis et j’ai refait la Constitution sur cette base mais je vais revenir dessus après mon élection.
L’opposition accuse la commission électorale et le Conseil constitutionnel d’être aux ordres. Pourquoi refuser un report qui pourrait permettre une élection plus apaisée et plus inclusive ?
Ce serait un parjure. Une élection devait avoir lieu en 2005. Laurent Gbagbo l’a repoussée plusieurs fois au prétexte que le territoire était coup en deux. Elle n’a pu se tenir que quand l’ONU l’a fixée pour 2010. J’ai tiré leçon de cela et j’ai décidé que nous allions faire comme aux Etats Unis où la Constitution fixe une date. Depuis 2016, cette opposition sait que les élections auront toujours lieu le dernier samedi du mois d’octobre de la cinquième année du mandat du président.
Moi, je ne peux pas changer comme cela la date des élections. C’est impossible et l’opposition le sait. Elle espérait une insurrection dans le but d’installer une transition. C’est pour cela qu’elle organise des petits coups ici ou là. Mais la Côte d’Ivoire est aujourd’hui un pays moderne et la Constitution sera appliquée intégralement.
Etes-vous inquiet par les violences actuelles qui tournent systématiquement à l’affrontement entre communautés ?
Pas du tout. Cela finira après l’élection. Tous ceux qui organisent cela vont rendre des comptes. Je ne vais pas laisser cela perdurer. Nous avons des éléments précis qui incriminent l’opposition mais compte tenu de la période électorale, je ne veux pas envenimer les tensions. Mais si les preuves sont établies, immédiatement après il y aura des poursuites et cela quelle que soit l’importance de la personne. Ceux qui pensent au vieux monsieur – Henri Konan Bédié –, lui ne se mouille pas, il reste dans sa chambre et distribue de l’argent et ce sont ces gens que nous allons attraper après l’élection.
A vous entendre, l’alliance politique que vous avez eue avec l’ex-président Henri Konan Bédié n’avait aucune sincérité.
Cela vient de son côté. Je lui ai proposé en 2018 que nous organisions des primaires entre nos deux partis en proposant chacun deux ou trois candidats mais Bédié ne veut que sa personne. C’est cela qui a créé le vrai problème et j’ai eu raison. Si Bédié revenait, ce pays serait détruit. Tout ce que nous avons fait aurait été dilapidé. Ça, je ne peux pas l’accepter.
Outre Henri Konan Bédié, plusieurs de vos alliés, parfois des très proches, ont rompu avec vous. N’êtes-vous pas aujourd’hui isolé politiquement ?
Non, ces gens ne représentent rien. Ils ne sont animés que par des problèmes d’ego.
Si vous êtes élu, comment comptez vous apaiser les tensions nées de cette élection ?
Les tensions sont artificielles. Elles sont créées par des politiciens nostalgiques des postes qu’ils avaient. Nous qui avons plus de 70 ans, nous devons sortir du jeu politique et après l’élection je modifierai la Constitution pour balayer tous ces gens-là.
Que comptez vous proposer à Laurent Gbagbo qui est en exil à Bruxelles et qui souhaite rentrer ?
Laurent Gbagbo va rentrer, il n’y a aucun problème. Il a un procès en cours. Il a été acquitté en première instance par la Cour pénale internationale (CPI). Il y a une procédure d’appel et dès que cela sera terminé, je prendrai les dispositions pour qu’il puisse rentrer.
Mais attention, il a été condamné pour le pillage de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et puis il y a des victimes qui ont ouvert une procédure ici pour les tueries qui ont été perpétrées pendant sa présidence. Si je ne fais pas quelque chose, quand il rentrera, il ira directement en prison. Je ne compte pas l’amnistier mais je compte prendre une décision qui facilite son retour.
Et lui demander en contrepartie le silence ?
Non. Je lui demande seulement de vivre une vie normale. D’être un sage, comme moi j’espère le devenir.
Vous ne vous êtes jamais parlé directement depuis sa sortie de prison. Pourquoi ne pas l’appeler afin de faciliter la réconciliation ?
Pourquoi devrais-je l’appeler ? Je suis le président de la République, je suis son aîné et en Afrique cela compte. C’est à lui de m’appeler.
Et concernant Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale, qui est aujourd’hui devenu l’un de vos plus farouches opposants ?
Pour lui ce sera la prison. Il n’y a aucun doute là-dessus. Il mérite la prison à perpétuité pour ce qu’il a fait. Après les mutineries de 2017, on a trouvé des tonnes d’armes chez lui. Puis nous en avons trouvé au siège de son parti. En quoi un président de l’Assemblée nationale a-t-il besoin d’avoir des lance-roquettes au siège de son parti ? Il y avait une organisation en vue d’effectuer un coup d’Etat.
Quelles seront les priorités de votre mandat si vous êtes réélus ?
Ce sera la continuité dans la stabilité. Il faut que ce pays continue de renforcer tout ce que nous avons pu réaliser sur le plan économique, politique, des droits de l’homme, de la sécurité. Nous sommes confiants. Malgré le Covid-19 nous serons à pratiquement à 2 % de croissance cette année au lieu de 7 % mais dès l’année prochaine nous remonterons à ce niveau. Pendant neuf ans, nous avons respecté tous les critères de performance du Fonds monétaire international.
Vous axez votre campagne sur le thème d’une Côte d’Ivoire plus solidaire. Est-ce que cela a été un manque lors de vos deux précédents mandats ?
Non. Pendant les six ou sept premières années, il nous fallait reconstruire les infrastructures de ce pays qui avaient été détruites. En 2019, nous sommes passés à un programme social que nous allons renforcer autour de l’emploi des jeunes, de la prise en charge des plus défavorisés.
La Côte d’Ivoire connaît ces dernières années une importante vague migratoire venue des pays du Sahel. Est-ce que cela ne pose pas un important problème économique ?
Que voulez-vous que l’on fasse ? Nous avons un taux d’immigration très élevé. Ce que nous souhaitons, c’est la sécurité régionale pour que les gens restent chez eux. Nous avons quatre millions de Burkinabés ici, plus d’un million de Sénégalais, au moins un million de Maliens. Donc si la Côte d’ivoire va bien, cela profite à ces pays du fait des transferts d’argent.
Il faut que les Européens aident davantage ces pays pour que les gens puissent rester chez eux, y compris la Côte d’Ivoire, où il a y a des emplois sans que cela empêche des jeunes d’être tentés par les mirages de l’Europe.
Le Burkina Faso et le Mali connaissent une grave crise sécuritaire. Etes-vous inquiet d’une percée djihadiste en Côte d’ivoire ?
Non, nous nous sommes préparés. Il y a eu une attaque à Kafolo dans le Nord, mais nous avons démantelé cela. Nous sommes préoccupés par la sécurité de nos voisins mais il y a du mieux depuis la réunion de Pau [du G5 Sahel, en janvier].
Nous avons eu des contacts avec le président Macron et nous leur avons dit de se concentrer sur le triangle du Liptako Gourma – aux frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso – et que nous, pays côtiers, allions essayer d’organiser un barrage. C’est ce que nous avons fait avec le président du Ghana. L’attaque de Kafolo a été faite car ils nous reprochaient de les avoir pris en tenaille dans le sud du Burkina Faso.
Nous sommes confiants dans notre capacité à gérer la venue de ces terroristes. Mais il faut que les pays soient mieux aidés. C’est pour cela que j’ai dégagé en début d’année comme président de la conférence de l’Uemoa [Union économique et monétaire ouest-africaine], 100 millions de dollars [85 millions d’euros] pour aider le Niger, le Mali et le Burkina. Si les Européens faisaient cela, ces pays auraient moins de problèmes.
Il y a cinq ans, vous aviez annoncé dans un entretien au « Monde » que vous pourriez vous retirer avant la fin de votre mandat et céder le fauteuil à votre vice-président. Cela ne s’est pas produit mais l’envisagez-vous cette fois-ci encore si vous êtes élus ?
Je souhaite le faire mais pour le moment je n’ai pas de vice-président et je n’ai pas encore décidé d’en nommer un.
Vous n’aurez donc peut être pas de vice-président ?
Je ne sais pas.
Avez-vous déjà réfléchi à qui pourrait être votre successeur ?
Pas du tout. Je ne suis même pas élu. Ce n’est pas urgent. Je suis en pleine santé. Bédié a presque dix ans de plus que moi et il veut être élu. A mon âge, je peux faire deux mandats sans souci mais ma volonté est de trouver lors de ce mandat une personnalité consensuelle.
Cyril Bensimon(Abidjan, envoyé spécial)