Le 21 mars a été décrété Journée internationale des forêts par l’ONU. Cette année, la journée entend promouvoir l’éducation pour apprendre à aimer les forêts. Regard, pour l’occasion, sur les forêts du monde et en particulier sur les forêts tropicales avec Plinio Sist, le directeur de l’unité « forêts et sociétés » de l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes, le CIRAD.
La couverture forestière mondiale représente environ un tiers des terres émergées, soit 4 milliards d’hectares. Chaque année, près de 13 millions d’hectares de forêts disparaissent selon la Food and Agriculture Organisation (FAO) et, d’après le WWF (Fonds mondial pour la Nature), entre 1990 et 2015, la déforestation aurait atteint 240 millions d’hectares et les forêts tropicales seraient les plus touchées. Quelque 170 millions d’hectares risquent encore de disparaître d’ici à 2030.
RFI – Quand on regarde toutes les forêts du monde, Plinio Sist, on s’aperçoit que les forêts tropicales sont les plus riches en termes de biodiversité. Pourquoi la vie s’est-elle particulièrement concentrée dans ces espaces ?
Plinio Sist : Une des caractéristiques des forêts tropicales est qu’elles ont évolué dans un climat relativement constant pendant des millions d’années et cela leur a permis de se doter d’une biodiversité très forte. Ce sont sans aucun doute les écosystèmes terrestres les plus diversifiés en termes d’espèces animales et végétales. A titre d’exemple, sur un hectare de forêt tropicale non perturbé, on recense entre 150 et 300 espèces d’arbres alors qu’en Europe on considère qu’une forêt est assez riche si on recense une dizaine d’espèces sur la même superficie : cela donne une idée de la diversité et de la complexité de ces écosystèmes. Il faut aussi relativiser : il y a les forêts tempérées et les forets boréales qui sont aussi importantes pour la régulation du climat, pour le stock de carbone et également pour la biodiversité. Mais effectivement, ce sont les forêts tropicales qui attirent le plus l’attention de la communauté internationale pour ces raisons et aussi par ce qu’elles continuent à subir une forte pression anthropique.
RFI : Que sait-on de l’état de ces forêts ? On dit qu’il n’y a pratiquement plus de forêts primaires
Tout dépend de ce qu’on entend par forêt primaire. Les spécialistes ne sont pas tout à fait d’accord . Si on définit une forêt primaire comme une forêt qui n’a subi aucune perturbation humaine, effectivement il y a très peu de forêts tempérées ou tropicales dans le monde qui n’ont pas été perturbées ou utilisées par les hommes. Si on considère les forêts primaires comme des forêts très peu perturbées par les activités humaines, là encore on constate que seulement un quart des forêts tropicales sont encore des forêts primaires, car le restant des forêts ont été utilisées de manière plus ou moins intensive par des populations humaines. On estime dans le monde qu’il y a plus d’un milliard de personnes qui dépendent directement des forêts pour leur survie ou pour améliorer leurs conditions de vie. Donc les interactions entre les forêts et les hommes existent depuis la nuit des temps. Il y a toujours eu des interactions entre les forêts tempérées ou tropicales et les activités humaines.
RFI: Ces forêts nous rendent de nombreux services ?
Elles jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat. On estime par exemple que si 50% de la forêt amazonienne devait disparaître, il y aurait des conséquences directes sur le climat de l’ensemble du continent américain et sur la productivité agricole. Une importante disparition entraînerait des sécheresses longues et de plus en plus intensives. Cela entraînerait de graves problèmes de production agricole et également d’approvisionnement des villes du Sud du Brésil par exemple en énergie électrique, puisque la grande majorité de l’électricité au Brésil est fournie par des barrages qui ont été faits en Amazonie. Si demain il devait y avoir des sécheresses très fortes, cela aurait des conséquences sur le débit de ces barrages électriques et donc sur l’alimentation des grandes villes brésiliennes. On voit bien que, ne serait-ce que pour la régulation climatique, à quel point la perte de ces forêts pourrait être dramatique. Et ces forêts jouent un rôle fondamental pour le maintien et la préservation de la biodiversité. On estime que dans le monde, on a décrit moins de 1% des espèces vivantes. En forêt tropicale, on découvre chaque jour des espèces nouvelles d’arbres, de plantes et d’animaux.
RFI: On observe des diminutions et des dégradations de ces grandes forêts. Que sait-on de cette perte ?
On sait qu’on perd 13 millions d’hectares par an de forêt, principalement de forêt tropicale. Dans les pays plutôt tempérés comme la France, on gagne de la surface forestière. Aujourd’hui en France, on a deux fois plus de forêt qu’il y 150 ans. Cela est dû à l’intensification de l’agriculture, au fait que les surfaces agricoles ont diminué et qu’elles produisent plus que dans le passé, donc il y a de la régénération naturelle de ces zones agricoles. Par contre, dans la plupart des pays tropicaux, on est encore dans une phase de déforestation et de conversion des forêts pour en faire soit des pâturages, soit des plantations, du type des grandes plantations de palmiers à huile ou de soja. La tendance est à la perte au niveau mondial avec une baisse conséquente depuis vingt ans. Mais même si la pression sur les forêts tropicales reste forte, il y a eu des exemples de baisses assez significatives notamment en Amazonie brésilienne où en quinze ans on a réduit la déforestation de 80%. C’est-à-dire qu’on est passé au début des années 2000 d’une déforestation qui frisait les 5,2 millions d’hectares par an, à 500 à 600 000 hectares par an aujourd’hui, et cela depuis plus de cinq ans. Donc il y a dans certains pays des espoirs de voir une réduction de la déforestation, mais dans la plupart des pays tropicaux, en Asie du Sud Est et notamment en Indonésie, le taux de déforestation reste très élevé.
RFI: Quelles sont les principales raisons de cette déforestation ?
Les raisons principales sont que les marchés économiques ont beaucoup de mal à donner une valeur à la biodiversité et au carbone. Depuis quarante ans qu’on parle du réchauffement climatique, beaucoup étaient climato-sceptiques. Mais aujourd’hui, la plupart sont conscients du problème climatique. Cependant, on n’arrive toujours pas à faire financer des politiques de restauration et de lutte contre le climat à l’échelle de l’enjeu du changement climatique. C’est bien là le problème: les forêts ont, encore aujourd’hui, très peu de valeur. Un hectare de forêt n’a aucune valeur par rapport à un hectare de soja ou de pâturage en Amazonie brésilienne par exemple. Si on prend le cas de l’Afrique centrale, il y a beaucoup de sites miniers sur des zones forestières. Un hectare de mine d’or va générer des ressources à court terme mille fois supérieures à ce que la forêt produit, si on exploite uniquement le bois par exemple. Cet effet de vision à court terme fait que la forêt n’a pas de valeur, alors que si on considérait la biodiversité, le stock de carbone comme des ressources à très haute valeur environnementale sur le long terme, on considérerait la forêt autrement. C’est ce changement de paradigme, de priorité, qu’il faut changer pour qu’on soit conscient de la richesse et de la valeur environnementale de ces forêts.
RFI: Comment changer cette situation ?
Beaucoup de pays en Amérique latine et en Afrique se sont engagés à restaurer. On a beaucoup déforesté ces cinquante dernières années. Il est absolument nécessaire de préserver ce qui reste, notamment les forêts primaires et de production qu’on exploite pour le bois de façon durable. Mais cela ne sera pas suffisant. En plus, il faut restaurer les paysages qui ont été dégradés et détériorés. C’est le cas en Amazonie, en Afrique centrale et particulièrement en Afrique de l’Ouest. Si on prend l’exemple de la Côte d’Ivoire, ce pays avait une surface forestière en 1960 de 14 millions d’hectares. Aujourd’hui, elle n’a plus que 2 millions et en très mauvais état. Donc il y a vraiment cette nécessité d’essayer de restaurer tout en proposant des alternatives aux petits agriculteurs. Il ne s’agit pas de préserver pour préserver. En Afrique, l’un des enjeux est de fournir du bois énergie, c’est donc de restaurer des écosystèmes forestiers qui sont aussi capables de répondre aux demandes des agriculteurs et des populations locales en général. C’est un enjeu qu’il faut raisonner à l’échelle des territoires, parce qu’aujourd’hui, on ne peut plus préserver les forêts sans regarder ce qui se passe autour, sans prendre en compte les autres utilisations des terres, en intégrant les choix, les objectifs des parties prenantes et notamment des agriculteurs. Donc il faut concilier production agricole, production d’énergie et préservation et restauration des écosystèmes forestiers.
RFI