Exclusif. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a décidé de révoquer Abdelhaq Nabaoui de son poste d’aumônier national des hôpitaux, douze ans après sa nomination à ce poste. La colère gronde parmi les aumôniers, qui dénoncent une décision incompréhensible du CFCM. L’instance, de son côté, n’entend pas revenir sur sa décision et cherche un remplaçant à Abdelhaq Nabaoui. Documents et témoignages à l’appui, retour sur l’affaire.
Dans un courrier du CFCM en date du 25 octobre 2018 – mais réceptionnée par le ministère de la Santé uniquement le 26 décembre – dont Saphirnews a pris connaissance, l’instance fait part de sa décision de relever Abdelhaq Nabaoui de son poste en faisant valoir une « orientation du conseil d’administration du CFCM interdisant le cumul des postes ».
« Nous avions demandé à M. Nabaoui de renoncer à son poste d’aumônier militaire pour se consacrer pleinement à l’aumônerie de la Santé. Constatant que rien n’a été fait, le bureau du CFCM a par conséquent décidé de le remplacer par un nouvel aumônier (…) dont le nom vous sera communiqué très prochainement », lit-on. Avant d’ajouter : « L’aumônerie musulmane de la Santé a besoin d’être mieux structurée afin de répondr
Une décision considérée « comme nulle et non avenue »
Il se défend également en rappelant avoir accepté, non sans mal, de se plier à une décision du conseil d’administration du CFCM en 2017 interdisant que « l’aumônier national ne peut pas assurer une fonction d’aumônier régional dans son aumônerie ou pour une autre aumônerie musulmane », selon une note de cadrage aussi consultée par Saphirnews. Aumônier militaire régional pendant neuf ans, il a démissionné de ce poste en avril 2018.
Par ailleurs, « la décision a été prise par le bureau exécutif du CFCM. Or, les statuts du CFCM prévoient que la nomination et la révocation d’un aumônier national fassent l’objet d’un vote du CA. A ce jour, et prenant en compte le dernier CA qui a eu lieu en date du 3 février, aucun vote du CA n’a validé cette proposition du bureau exécutif, rendant celle-ci sans force exécutoire », indique Abdelhaq Nabaoui dans une lettre de contestation adressée à la présidence du CFCM mercredi 6 février.
Récusant la validité des motifs exposés pour justifier la révocation, il déclare considérer la décision « comme nulle et non avenue ». « En cas de refus de votre part, je me réserve le droit de saisir les instances juridiques compétentes pour donner à cette affaire les suites habituelles de droit en la matière », avertit-il.
Une implication dans l’AMIF qui dérange
Mais c’est surtout son adhésion publique au projet de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF) que le CFCM n’arrive pas à digérer, nous signifie le président du CRCM Alsace. « Je ne vois pas d’incompatibilité entre les deux projets », martèle Abdelhaq Nabaoui, soulignant « la complémentarité »des deux offres. « On se doit de travailler ensemble, main dans la main, car les défis sont énormes. »
Du fait du conflit actuel, songe-t-il à quitter le CFCM ? Pas à ce stade, dit-il : « Le CFCM est un acquis que je défends. Je défends le CFCM au sein de l’AMIF, et l’AMIF au sein du CFCM. » Mais pas de doute que cette affaire laissera des traces indélébiles.
Ensemble, ils et elles soulignent l’énorme investissement de leur aumônier national dans sa mission, qui s’est dernièrement matérialisé par l’ouverture en 2018 de l’Ecole nationale de l’aumônerie hospitalière (ENAH), et ce « en dépit de ses contraintes professionnelles, des difficultés rencontrées sur le terrain et l’absence des moyens financiers ».
Les aumôniers réfractaires menacés de sanctions
Fathia El Moumni, aumônier régional d’Occitanie depuis 2015, abonde en son sens. Pour elle, le CFCM « ne mesure pas les conséquences que cette décision peut avoir sur l’aumônerie hospitalière. C’est un bébé et, au lieu de renforcer ce bébé, cette décision risque de mettre en péril tout le travail accompli ».
Pour lui, « la page est tournée » et la révocation d’Abdelhaq Nabaoui en plein chantier de la réforme du CFCM, à tout juste quatre mois des élections, s’inscrit dans le cadre du « renouveau » de l’institution. « Nous n’avons rien de personnel contre lui, nous défendons les intérêts du CFCM. (…) Les fédérations sont là depuis bien plus longtemps que lui, elles ont aussi leur mot à dire. Chacun doit respecter l’autorité de l’un et de l’autre », indique-t-il.
« L’aumônerie est sous l’autorité du CFCM. On n’a pas besoin de prétexte pour changer un aumônier, ni besoin de se justifier. (…) S’il pense que notre décision est illégale, qu’il fasse appel à la loi », déclare encore Ahmet Ogras, qui affirme que la décision du CFCM a été prise bien avant que son implication dans l’AMIF ne soit rendue publique. « Nous le remercions pour le travail qu’il a fait. Il faut qu’il accompagne l’élan du renouveau dans le CFCM et reste au service de la communauté », ajoute-t-il.
En attendant la désignation d’un nouvel aumônier national, c’est le secrétariat du CFCM qui doit assurer l’intérim. Le CFCM a lancé, jeudi 7 février, un appel à candidature « aux postulants éventuels désireux d’améliorer les services destinés aux personnes souffrantes », une fonction qui « demande à la fois une connaissance des préceptes islamiques ainsi qu’une aptitude à manager une équipe d’aumôniers musulmans qui exercent dans les hôpitaux sur tout le territoire national ».
Quant à la menace de sanctions qui plane au-dessus de la tête des aumôniers réfractaires, elle s’offusque de la tentative d’intimidation du CFCM : « Nous sommes dans un Etat, heureusement, démocratique où la liberté d’expression est un droit. Signer une pétition n’est rien d’autre démocratiquement l’usage de notre liberté d’expression. » Fathia El Moumni espère encore du CFCM un changement de position mais se dit prête, dans le cas contraire, à exercer son « droit de retrait » pour rebondir sur son activité professionnelle de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Pour Mohammed Moussaoui, la décision du CFCM « risque de renforcer l’image » d’une instance qui, en voulant empêcher les initiatives comme l’AMIF d’émerger, « donne l’occasion à ses détracteurs de le taxer d’être devenue une chasse gardée et une tribune réservée aux responsables de certaines fédérations ». « De même sa véhémente réponse aux aumôniers régionaux qui s’inquiétaient, à juste titre, des conséquences de cette révocation laissera des traces sur l’engagement de ces acteurs bénévoles auprès des malades », estime le président de l’Union des mosquées de France (UMF), pour qui « le CFCM s’est manifestement trompé de combat » comme il le souligne dans une tribune parue samedi 2 février sur Saphirnews.