Le charbon comme source d’électricité en Afrique : le grand dilemme

Après plusieurs années de chute libre, le marché mondial du charbon a connu une mini-reprise en 2017 avec une consommation et une production en hausse, selon le rapport BP Statistical Review of World Energy. L’Afrique, qui dispose de réserves non négligeables, s’en sert principalement pour produire de l’électricité, en manque sur le continent. Alors que les militants de la protection de l’environnement continuent leurs campagnes contre les énergies fossiles, abandonner son charbon pour les renouvelables est-il vraiment le bon choix pour l’Afrique ? La question vue de plus près.

Le charbon, toujours la principale source d’électricité au monde

L’entreprise britannique BP a rapporté qu’en 2017, la production d’électricité mondiale a augmenté de 2,8%, soit près de la moyenne décennale. Si les énergies renouvelables sont à l’origine de près de la moitié de la croissance de l’électricité (49 %), la plus grande partie du reste est assurée par les producteurs de charbon (44 %). De plus, le charbon demeure la principale source d’énergie au monde, avec une part de 38,1 % en 2017, presque autant que le gaz naturel (23,2 %) et l’hydroélectricité (15,9 %), réunis.

Le charbon demeure la principale source d’énergie au monde, avec une part de 38,1 % en 2017, presque autant que le gaz naturel (23,2 %) et l’hydroélectricité (15,9 %), réunis.

En Afrique, où plus de 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité, la principale source d’énergie reste le pétrole (42%) devant le gaz (28%), le charbon (22%), l’hydroélectricité (6%), les énergies renouvelables (1%) et le nucléaire (1%), selon l’Atlas de la BAD. Les réserves de charbon du continent ne sont toutefois pas négligeables (1,3% des réserves mondiales), l’Afrique du Sud étant le septième producteur de charbon le plus important au monde. Si la nation arc-en-ciel représente 94 % de la production africaine de charbon, d’autres pays comme le Zimbabwe ou le Nigéria disposent de grandes réserves de charbon.

Le comportement «hypocrite» de l’Occident…

Conscients des grandes réserves dont ils disposent et avec des cours du pétrole en baisse, certains pays africains tentent d’exploiter leur charbon pour aider à satisfaire leurs besoins énergétiques. C’est le cas par exemple du Nigéria, qui avait annoncé en avril 2017 qu’il prévoit de produire 30% de son électricité à partir du charbon. «Nous pouvons obtenir de l’énergie à partir du charbon, que nous avons en abondance. Nous avons besoin de gens, d’acteurs du secteur privé pour mettre en place des usines qui utiliseront du charbon», déclarait Kayode Fayemi, le ministre des Mines.

Comme on pouvait s’y attendre, la première économie du continent s’est heurtée au refus des institutions financières internationales censées l’aider au financement de son projet. «Au Nigéria, nous avons du charbon et il n’est pas nécessaire d’être un génie pour savoir ce qu’il faut pour produire de l’électricité à partir du charbon. Pourtant, nous sommes bloqués. Je pense qu’il y a là une certaine hypocrisie», s’est révoltée Kemi Adeosun, alors ministre des Finances du pays, dans un discours à l’auditorium Jack Morton de l’Université George Washington, aux États-Unis.
Pour l’ex-ministre, l’hypocrisie se trouve dans le fait que l’Occident s’est industrialisé et développé grâce à l’énergie produite à partir du charbon, en «polluant l’atmosphère pendant 100 ans».

L’hypocrisie se trouve dans le fait que l’Occident s’est industrialisé et développé grâce à l’énergie produite à partir du charbon, en «polluant l’atmosphère pendant 100 ans».

«Maintenant, l’Afrique veut le faire, et ils disent que ce n’est pas vert, qu’on ne peut pas le faire et qu’on devrait aller produire de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne qui sont les projets énergétiques les plus coûteux», a-t-elle déclaré.

 kemi adeosun

Pour Kemi Adeosun, les pays développés devraient d’abord cesser eux-mêmes d’exploiter le charbon avant de l’interdire à l’Afrique

Le discours de Mme Adeosun, qui reflète sans doute l’avis de nombreux Africains, est d’autant plus intéressant qu’elle a indiqué que, si l’on veut que le continent africain arrête d’exploiter le charbon, «ceux qui l’ont commencé, il y a plus de 200 ans, devraient d’abord cesser». Le rapport de BP indique par exemple que la production mondiale de charbon a augmenté en 2017, cette hausse de 3,2% a été principalement portée par l’augmentation de la production de la Chine et des États-Unis.

Les «solides» arguments des militants du renouvelable

Peu importe le niveau de leur développement, les États africains ne peuvent pas faire fi des risques que présentent le réchauffement climatique. Selon un rapport du journal anglais The Lancet, le continent est, avec l’Asie du Sud-est, l’une des zones qui seront le plus affectées par la hausse des températures. Quand il s’agit de promouvoir les énergies vertes sur le continent, les militants du renouvelable brandissent cet argument, de poids alors qu’il fait déjà très chaud dans des pays comme le Tchad ou le Niger. Selon un rapport du cabinet Verisk Maplecroft paru en 2015, on apprend que le continent africain compte sept des dix pays les plus menacés au monde par le réchauffement : la Sierra Leone, le Soudan du Sud, le Tchad, le Nigéria, la Centrafrique, l’Érythrée et l’Éthiopie.

charbon afrique du sud

Le charbon est bien souvent le seul recours pour les populations sud-africaines

Sur une base moins généralisée, une plus récente étude du même cabinet, sortie en août 2018, indique que le réchauffement climatique pourrait provoquer un recul de 10,8% et 7,9% des exportations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale d’ici 2045. Des pays comme le Nigéria, la Côte d’Ivoire, le Ghana, ou encore l’Angola et le Gabon sont cités comme les nations qui devraient être le plus impactées économiquement dans ces régions.

Par ailleurs, il faut noter qu’à côté des énergies fossiles, et donc des réserves de charbon limitées, l’Afrique est dotée d’un important potentiel en énergies renouvelables.

Par ailleurs, il faut noter qu’à côté des énergies fossiles, et donc des réserves de charbon limitées, l’Afrique est dotée d’un important potentiel en énergies renouvelables.

Par exemple, les capacités géothermiques qui sont concentrées en Afrique de l’Est : le potentiel en énergie thermique de la vallée du Rift est estimé à 9000 MW.

En outre, le bassin hydraulique de l’Afrique centrale constitue 58% des réserves en eau du continent. Alors que le continent possède l’un des plus grands potentiels hydroélectriques mondiaux (soit 1100 Twh), il en exploite moins de 10%.

De plus, avec une capacité solaire moyenne d’environ 5 à 6 kWh/m²/Jour, contre 3 kWh/m²/Jour en zone tempérée européenne, l’Afrique de l’Ouest fait partie des régions les plus ensoleillées de la planète. Le soleil y est présent quasiment toute l’année.

Que doivent alors faire les États africains : exploiter le charbon ou sauver la planète ?

Les dirigeants africains sont confrontés à un véritable dilemme : décider d’utiliser le charbon dans leur mix énergétique ou l’abandonner complètement pour les solutions renouvelables. La première option, plus simple et moins chère, présente le grand risque d’augmenter les émissions et donc de réchauffer le climat, alors que la deuxième est beaucoup plus onéreuse.

Pour les partisans des énergies renouvelables, et militants de la protection de l’environnement et de la planète, le choix semble aller de soi.

coal kills

Les dirigeants africains sont confrontés à un véritable dilemme

Ce qu’ils oublient souvent de préciser, c’est qu’il existe une troisième option, qui, pour les États africains riches en charbon et ne pouvant se permettre financièrement d’implémenter des solutions vertes, pourrait être le compromis idéal. En effet, des technologies existent depuis quelques années pour produire du charbon «propre», qui augmente l’efficacité des centrales à charbon et minimise les émissions de gaz à effet de serre. On peut notamment citer la technologie HELE (High Efficiency, Low Emission), dont l’implémentation serait abordable financièrement, selon la World Coal Association (WCA) pour les pays en voie de développement. Pour l’organisation, qui estime que ces technologies pourraient réduire les émissions de CO2 de deux gigatonnes dès maintenant, l’utilisation des centrales au charbon HELE serait la première étape pour atteindre des émissions presque nulles à partir du charbon, avec les technologies de capture, utilisation et stockage du carbone (CCUS).

L’utilisation des centrales au charbon HELE serait la première étape pour atteindre des émissions presque nulles à partir du charbon, avec les technologies de capture, utilisation et stockage du carbone.

Dans un document de réflexion publié par le WCA sur le sujet, il propose la création d’une plateforme mondiale pour l’accélération de l’efficacité du charbon. L’objectif d’une telle plateforme est de donner le troisième choix de l’exploitation «propre» du charbon comme source d’énergie, aux dirigeants et décideurs des pays en développement.

Ecofin Hebdo