De la difficulté à théoriser l’étude coranique
En effet comment choisir les éléments théoriques nécessaires à l’étude du Coran sans paraître préférer la superficialité à la profondeur des idées qu’exprime un travail scientifique digne de ce nom ?
D’autant plus qu’un certain nombre d’éléments concernant la transcription du Coran continuent de susciter des interrogations diverses et variées à travers des études ne proposant que rarement des modèles adéquats. À l’heure actuelle, certains travaux se caractérisent par leur côté polémique et se limitent à légitimer ou infirmer l’inspiration divine du texte coranique. D’autres se cantonnent à l’analyse de ses structures internes bien plus qu’elles ne proposent une réelle exégèse. A cet effet, il convient, avant tout, de préciser que l’approche “exégétique” des Ecritures Saintes, d’une manière générale, est une entreprise qui rebute beaucoup de non-initiés. À ce propos, Régis Blachère nous déclare qu’une telle entreprise exige : “une initiation, une mise en garde du lecteur non-musulman contre lui-même et contre ses habitudes intellectuelles” (1).
L’approche coranique est d’autant plus délicate qu’elle nécessite une rigueur et une pluridisciplinarité difficiles à acquérir. Il ne suffit pas de se déclarer arabophone ou arabisant pour prétendre à la maîtrise du texte coranique et des idées qu’il exprime. Non seulement, il convient de maîtriser la langue arabe avec sa grammaire, nahw, son analyse grammaticale, i‘rab , et sa morphologie, sarf, mais il faut aussi connaître le texte coranique dans son ensemble et les “sciences” dites coraniques, telles que les devises lectionnelles (ahkam al-qira’a ), les causes ou circonstances de la révélation ( asbab annuzul ), la difficile et rigoureuse science de ” l’abrogeant et l’abrogé ” (Al-nasih wa al-mansuh) … etc.
Rappeler tout cela c’est faire un effort pour allier le plus possible l’efficacité à une objectivité toujours difficile à obtenir lorsqu’on traite ce type de sujet. Notre préoccupation première et fondamentale est d’éviter de participer ou d’alimenter telle ou telle querelle ou polémique en proposant une analyse des plus objectives possibles. C’est pourquoi, notre étude, se propose de revenir sur un point d’une autre nature et concerne la mise par écrit du texte coranique dès les origines et jusqu’à la constitution de la “Vulgate ” uthmanienne .
Malheureusement, peu de travaux nous renseignent sur la Révélation au début de l’apostolat du Prophète Muhammad et en l’absence d’une base théorique conséquente, parce qu’il est difficile d’étudier le texte coranique à travers les seuls repères et habitudes intellectuelles occidentales, nous nous proposons d’une part de revenir sur les modalités pratiques de la transcription de la Révélation et d’autre part d’exploiter l’énorme masse de travaux des exégètes et historiens musulmans. Il est impossible de faire abstraction de ces nombreuses sources, sous prétexte qu’elles manquent de rigueur méthodologique, même si un bon nombre de ces travaux se limitent, bien souvent, à la seule analyse descriptive et à la répétition d’éléments issus d’études antérieures présentant les mêmes insuffisances. Beaucoup de ces traditionnistes se sont cantonnés dans la sphère du taqlid et se sont sentis très peu inspirés par le tajdid en prétextant la fermeture de la porte de l’ijtihad.
La question fondamentale qui se pose à ce niveau est la suivante : quelle méthode adopter pour faire un tri bibliographique sélectif qui nous permettrait de ne prendre en compte que les témoignages considérés comme étant fiables ? Répondre à cette question c’est déjà faire un grand pas dans la compréhension du problème de la mise à l’écrit du Coran. Si nous devons nous contenter du seul texte coranique pour y répondre, nous devons vite nous rendre compte que les indications s’y trouvant relèvent plus du domaine de la foi que de l’étude historique. C’est donc contraints et forcés que nous devons nous tourner vers la Tradition (Sunna) pour étudier cette question, “même si elle ne saurait malheureusement donner une grande sécurité à l’historien occidental.” (Blachère).
Pour d’autres auteurs occidentaux il convient de ne prendre en compte que les éléments de la Tradition issus des ouvrages les plus “authentiques” et remontant dans tous les cas aux toutes premières générations de spécialistes du Coran, tels Ibn ‘Abbas, ‘Abdallah Ibn ‘Umar, Ibn Mas‘ud, Ubbay Ibn Ka‘ab … etc.
C’est le cas pour l’écrivain Caratini (2) qui adopte, d’une certaine façon, le système du tawatur cher aux traditionnistes et aux exégètes les plus rigoureux et qui n’admet comme authentiques que les témoignages concordants et les écrits provenant de plusieurs témoins oculaires et auditifs et remontant à une chaîne de garants jugés non suspects.
C’est ainsi qu’est une “science” critique voit le jour entre le IIe et le IIIe siècles de l’Hégire, sous la plume d’experts et érudits, aimat al-jarh wa ta‘dil (textuellement, les imams-chirurgiens et réparateurs, faisant allusion à leur minutie) qui s’employèrent à mettre sur pied une méthode qui permettrait de séparer les traditions authentiques de ceux qui ne l’étaient pas, toujours sur la base de l’isnad et de la méthode multilatérale ou tawatur. Cette méthode a été instituée pour donner plus de garantie et d’authenticité au hadith.
C’est justement cette méthode qui a été employé par ashab as-sunan (traditionnistes canoniques) et ashab attafsir (coranistes et exégètes), notamment Al-Bukhari et Muslim, Tabari et Al-Qurtubi, etc.
Malgré la prudence requise et l’inexistence d’un texte fixé ne varietur durant l’apostolat du Prophète Muhammad, il convient de dire qu’il n’est point possible de se renseigner sur l’élaboration du texte coranique sans se référer à la Sunna et à l’exégèse traditionnelle (Blachère).
AÀ cet effet, les ouvrages des traditionnistes tels que que Al-Bukhari, Muslim et ceux des exégètes Ibn Katir, Tabari et Al-Qurtubi et ceux de certains spécialistes occidentaux comme Blachère, Bell, Noëldeke, etc. , nous seront d’un précieux secours pour étoffer notre étude.
Enfin, si nous voulons proposer un travail scientifique digne de ce nom n’oublions pas, malgré toutes les précautions requises, que : ” les meilleurs de ces commentateurs sont les exégètes musulmans qui ont écrit depuis mille ans (…)” et qu’un très grand nombre de titres et d’articles attendent le spécialiste.
À travers l’analyse que nous présentons nous tenterons, principalement, de démontrer qu’aucune rupture sémantique ou lectionnelle n’est venue perturber la transcription coranique du début de l’apostolat de Muhammad à la canonisation de la Vulgate du Calife ‘Utman et que les seules variations introduites dans le texte coranique ont été des variations d’ordre graphique et lectionnel.
Les questions que nous allons nous poser et auxquelles nous tenterons de répondre pour asseoir notre thèse sont donc les suivantes : Comment s’est opéré la pérennisation de la Révélation durant l’apostolat du Prophète ? Comment a-t-elle été transmise après sa mort ? Comment le texte canonique du Coran s’est-il établi ?
Est-ce que la copie du Coran que nous avons entre les mains est identique à celle qui prévalait du temps du Prophète de l’islam ? Quels sont les changements linguistiques notables qui ont été opérés depuis l’avènement de l’islam ?
Les modalités de la révélation
Le Coran a été prêché dans son ensemble du vivant du Prophète mais il n’a certainement pas été écrit par lui. Tout d’abord, il est peu vraisemblable que le Prophète ait su écrire et ensuite parce que nous n’avons aucun hadith, ni aucun témoignage nous le présentant comme transcrivant les révélations reçues par lui.
Certains orientalistes occidentaux (Kasimirsk etc.) soutiennent cette affirmation rejoignant en cela la théorie généralement admise dans les cercles musulmans.
Ces révélations, nous disent ces mêmes traditions, ont été apprises par cœur par Muhammad grâce à un messager divin, reconnu comme étant l’Archange Jibril (Gabriel). Le Coran abonde en ce sens dans un bon nombre de sourates et la Sunna en fait de même dans la mesure ou de nombreux hadiths qualifient de ummi le fondateur de la religion musulmane, peut-être pour accentuer un peu plus le côté exceptionnel et prodigieux du texte coranique. C’est pourquoi on parle souvent de i‘jaz, mal traduit par “inimitabilité ” lorsqu’on tente de définir le style coranique.
Dans Lisan Al-‘Arab et Tuhfat Al-‘Arus (les deux plus importants ouvrages encyclopédiques sur la langue arabe), nous apprenons que le terme ummi recouvre la notion d’analphabétisme et que les ummiyin ne s’apparentent pas aux gentils comme l’ont suggéré Weil et Blachère mais sont tout simplement des personnes qui ne savent ni lire ni écrire. Actuellement, c’est cette explication qui prévaut dans les sociétés arabes.
Dans le Coran, la sourate intitulée l’Araignée, par exemple, fait allusion à “l’analphabétisme” du Prophète de la manière suivante : “Pourtant naguère tu ne récitais le texte d’aucune Écriture, pas plus que tu n’en retraces de ta (main) droite : Et c’est cela qui fait douter les tenants du faux. ” (XXIX, 48).
S’agit-il réellement d’une méconnaissance de l’art de l’écriture et de la lecture ou simplement une allusion à la méconnaissance des textes antérieurs ?
Chez les fidèles musulmans cela ne fait aucun doute et ils se basent pour ce faire sur l’expression ” an-Nabi al-ummi” contenue dans le Coran. Nous retrouvons cette interprétation chez certains orientalistes comme ‘Amari, Kasimirski, Montet qui suivent en cela, comme nous l’avons déjà suggéré, l’exégèse orthodoxe. En réalité cela semble un peu plus complexe que cela. Pour Blachère cela fait plutôt référence à l’ignorance de la loi divine. Il cite pour se justifier le commentaire de Tabari qui aurait déclaré que : “les Ummiyun sont des gens qui ne déclarent véridique aucun Apôtre envoyé par Allah, ni aucune Écriture révélée par Lui, mais qui forgent une “écriture” de leurs mains.” Puis il nous déclare que ce même Tabari revient sur sa déclaration et retourne à la première interprétation (3).
En fait, Tabari après avoir cité une tradition attribuée à Ibn Abbas, donne à la fin de cette citation son propre commentaire en se basant sur l’explication linguistique en nous disant que “cette acceptation n’est pas celle de l’arabe”.
Certains orientalistes ont remis en cause la notion d’”analphabète” et se basent sur l’interprétation de l’impératif iqra’ qui pour eux ne signifie pas : Lis ! mais : Prêche ! (Weil, Nöldeke, Schwally). Pour Qur’an formé sur le verbe qara’a qui signifie ” réciter ou “lire”. Pour lui le Coran peut-être défini comme étant : “une récitation ou une lecture d’une révélation divine (…) Dès lors le Coran peut-être pris au sens de : ” l’ensemble des messages divins qui ont été révélés à Mahomet, lus et récités par lui” (4), nous propose une interprétation intermédiaire en nous déclarant que le Prophète de l’islam savait lire mais pas écrire. Il cite pour se justifier une tradition du Prophète qui aurait déclaré : ” Nous sommes un peuple ummiyin, nous ne savons par écrire et compter”. Pour lui, l’absence de la mention de l’ignorance de la lecture dans la déclaration Prophète confirmerait sa thèse. Par contre, l’exégèse coranique traditionnelle argumente dans un autre sens en se basant leur argumentaire sur celui du Coran. Ces exégètes glosent à partir d’un verset coranique (Al-Baqara, 99) pour nous signifier que le Prophète ne pouvait en aucun cas maîtriser la lecture et encore moins l’écriture : ” Si tu étais (ô Prophète !) du nombre de ceux qui écrivent et qui lisent, les incrédules (les non-croyants) diraient : Peut-être a t-il appris cela et l’a t-il recueilli dans les Écritures des Anciens”.
Ces différentes interprétations démontrent, si besoin, la fragilité des arguments mis en exergue et la question n’en demeure pas moins ouverte. Par contre, beaucoup de hadiths et de témoignages nous décrivent le fondateur de l’islam dictant les révélations qu’il a reçues à ses nombreux scribes et Compagnons ( Buhari, Muslim, Qurtubi, Ibn Kathir, Tabari, etc.).
A ce niveau de la démonstration, à notre sens, il serait plus intéressant de tenter de savoir si le Prophète a porté lui-même à l’écrit le texte coranique que de tenter de savoir s’il a su manier le qalam (sorte de plume en roseau) et déchiffrer un écrit. Mais la question qui s’impose à nous est la suivante : Si le Prophète a su écrire pourquoi n’a t-il pas lui-même entrepris de fixer par écrit le texte coranique alors qu’il a constamment encouragé les autres à le faire. ? Force est de constater, là encore, que la question demeure posée malgré les explications issues de la Tradition et des études orientalistes.
Les Compagnons du Prophète se basaient pour apprendre le Coran sur les dictées et les récitations du Messager ou de tout autre Compagnon érudit l’ayant appris du Prophète lui-même. A l’exemple de ‘Abd-Allah Ibn Mas‘ud, Ubay Ibn Ka‘b ou Zayd Ibn Tabit, ‘Ali Ibn Abi Talib (5).
Le Coran a été révélé sur une période allant de 610 à 632, soit sur une longue période de vingt trois années, en plusieurs fois et selon les circonstances et les évènements vécus par la communauté musulmane naissante. Comme nous l’avons déjà dit, à chaque révélation d’un ou de plusieurs versets, le Prophète demandait à ses scribes (la Sunna nous en cite quarante) de porter la parole divine à l’écrit.
A ce propos les quatre spécialistes de la Sunna, Abu Dawud (817-889) dans son ouvrage Kitab Al-Sunan, Al-Tirmidi (mort en 892), dans son livre canonique Al-Jami‘ Al-Sahih, Ibn Majah (824-887), dans Kitab Al-Sunan et Al-Nisa’i (830-915) (6) ont rapporté un hadith de Ibn ‘Abbas (considéré par beaucoup comme étant la plus grande autorité en matière d’exégèse coranique ) dans lequel ‘Utman dit : “À chaque révélation le Prophète convoquait ses scribes et leur disait” : “Mettez cela dans la sourate où il est invoqué tel ou tel propos, selon les directives du Gardien de la Révélation (Amin Al-Wahy), l’Archange Jibril (Gabriel)”.
En raison de l’inexistence du papier, les versets coraniques étaient portés à l’écrit sur des objets disparates (planches, omoplates de chameaux, feuilles de palmiers, pierres (…).
Selon toute vraisemblance, le Coran dans son intégralité a été porté à l’écrit du vivant de l’Envoyé d’Allah de la même façon et déjà selon les sept caractères, al-qira’at assab‘, (les sept lecture ) inspirés par la Révélation.
Chérifi (7) abonde en ce sens en nous déclarant que le Coran : “fut codifié au moment même de son énonciation et qu’il n’y a pas eu de transmission orale entre le moment de son énonciation et celui de sa rédaction…”.
Pour Blachère cette fixation graphique s’est surtout manifestée à la fin de l’apostolat de Muhammad. Mais, ceci n’infirme pas l’existence d’un double système d’apprentissage du texte coranique, l’un oral et qui s’adresse à la majorité des arabes d’alors qui ignoraient l’écriture et l’autre écrit et qui ne concerne que les seuls scribes et secrétaires (quelques dizaines au plus dans toute la péninsule arabique).
Selon un Hadith rapporté par Ibn ‘Abbas ( Al-Buhari) le Prophète a dit : “L’Ange Gabriel m’a fait réciter le Coran ‘ala harf ( le mot harf désigne ici une variété du langage et par extension une lecture) et je ne cessai de lui en demander plus qu’il me le fit réciter ‘ala sab‘ at ahruf ” (ceci nous indique l’origine de la théorie des sept lectures ou variantes).
Pour Bell (8) qui a accompli un remarquable travail de reconstitution et de datation, dans une période qu’il nomme “période-livre”, le Prophète de son vivant et jusqu’à sa mort, a remis de l’ordre ou du moins contrôlé la mise en ordre des matériaux anciens et a composé un Livre écrit.
Ainsi, à la mort du Prophète, la pérennisation écrite et orale du Coran, selon des sources concordantes, semble pleinement accomplie.Cependant l’absence d’un canon officiel a laissé libre cours aux ” corpus ” individuels qui se caractérisaient, dans la plupart des cas, par leurs insuffisances ou leurs ajouts. Dans ce qui peut-être considéré comme l’un des plus importants ouvrages de bibliographie islamique ” le Fihrist “
(composé en 987 par Ibn Al-Nadim), divers traditionnistes mentionnent les “corpus” particuliers des Compagnons Ubbay Ibn Ka‘b (mort entre 639 et 649), Abu Musa Al-As‘ari (614-664) et Ibn ‘Abbas. Suite à la recension de ‘Utman les détenteurs de copies individuelles ont accepté de remplacer leur mushaf par la “Vulgate” uthmanienne. Seul Ibn Mas‘ud aurait rechigné à abandonner le sien sans toutefois s’opposer à cette canonisation obtenue par un consensus général (ijma‘) (9).
Toutefois, aucun véritable témoignage oculaire ou écrit d’époque, ne nous renseigne sur cet épisode de la vie de ce Compagnon. En bref, nous pouvons énumérer les hypothèses suivantes qui semblent être corroborées par de nombreux témoignages et hadiths.
1- Le Prophète Muhammad a très vite ressenti la nécessité d’une recension écrite de la révélation parce qu’il doit, tout d’abord, se conformer au commandement divin qui lui intime l’ordre d’apprendre le texte par cœur, puis de le réciter (certains spécialistes comme Chahine traduisent le vocable iqra ! par l’impératif : Lis !)
Par conséquent, la nécessite d’écrire transparaît à travers les premiers versets qui lui ont été révélés lors d’une retraite sur le mont Hira dans les abords immédiats de la Mecque. L’appel reçu par Muhammad, ressemble, à beaucoup d’égards, à ceux reçus par les grands initiés et Prophètes avant lui. Mais la différence fondamentale, à notre sens, réside dans la prise de conscience, dés le début de son apostolat, de la nécessité fondamentale de sauvegarder la Révélation en la transcrivant et de la suprématie de l’écrit, tant en religion que dans les sciences et les relations humaines dans leur ensemble (Caratini).
Cette affirmation se trouve confirmé par le Coran qui déclare à travers la première sourate qui lui a été révélée : “Celui (Allah) qui appris par le qalam. Il a appris à l’homme ce qu’il ne savait pas” (l’Adhérence, 4 et 5).
D’autre part, un bon nombre de traditions nous montre le Prophète pousser ses fidèles à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Selon Al-Buhari et Muslim, le Prophète a libéré des prisonniers de guerre parce que chacun d’entre eux avait appris à écrire et à lire à une dizaine de ses fidèles.
2 – Le Prophète qui était au fait des autres Saintes Ecritures, dans la mesure ou il était entouré par les “Gens du Livre”, ahl al-kitab, (les chrétiens et les juifs), a craint la falsification et la perversion du texte coranique. A ce propos, bon nombre de ses enseignements ont rendu compte de la manière avec laquelle la Thora et les Evangiles auraient été remaniés faute d’avoir été sauvegardés par l’écriture dés le début de leur Révélation respective.
3 – Il est tout a fait vraisemblable qu’il a lui-même dicté le Coran dans son intégralité à ses secrétaires (la tradition nous le montre dictant des versets à Zayd, ‘Ali, etc.).
Il a, par ailleurs, encouragé ou du moins laissé certains de ces Compagnons (Abu Bakr, ‘Umar, Ibn Mas‘ud, etc.) confectionner de son vivant des recueils qu’on peut qualifier de provisoires (Blachère).
4 – le Prophète a constamment différé toute compilation tout d’abord, en raison de la variabilité du texte (principe de l’abrogation) mais surtout parce que de son vivant la Révélation ne pouvait cesser et par conséquent toute compilation aurait été prématurée, voire incomplète.
La Compilation du texte coranique après la mort du Prophète
Le terme de Coran prend souvent le sens de kitab (livre) et dans le texte coranique les deux termes sont interchangeables. Au fur et à mesure que les révélations commencèrent à être fixées graphiquement, le Coran qui avait comme sens premier “la lecture” ou “la récitation” (Al-Qur’an), prit le sens d’écriture.
Comme nous l’avons déjà noté, pour Blachère par exemple, c’est vers la fin de la mission de Muhammad que le terme ” prit parfois le sens général d’Ecriture dans l’acceptation où nous l’entendons” (Blachère op. cit, pp. 15-16). À partir de ce moment, le terme de Qur’an alterne très souvent avec le vocable kitab, ce qui est confirmé par le Coran lui-même qui utilise en alternant les termes de kitab (texte écrit, livre), dikr ( rappel), furqan (qui distingue ou sépare) et Qur’an (lecture, récitation), etc.
Dans un hadith rapporté par Al-Buhari, nous retrouvons cette notion d’ouvrage écrit ( kitab). Cette tradition attribuée au Prophète, nous apprend que lors d’un de ses discours testamentaires, il recommande à ses fidèles de se réunir autour de “kitab Allah “. En plusieurs endroits le Coran utilise, lui aussi, cette formule.
Certains Compagnons du Prophète, comme nous l’avons vu précédemment, avaient leur propre copie du Coran et selon la tradition musulmane, toutes ces copies étaient toutes conformes à l’originale écrite sous le contrôle et selon les recommandations du Messager d’Allah avec, tout de même, des différences au niveau lexical et parfois avec des commentaires comme celui de Ibn Mas‘ud.
La crainte de voir les commentaires se mêler aux versets coraniques a poussé les auteurs des recensions officielles (Abu Bakr et surtout ‘Utman) à les écarter pour éviter toute confusion ultérieure avec le texte coranique proprement dit.
Ibn Katir 10 nous apprend que la copie de Ibn Mas‘ud était exempte de la première sourate, ” Al-fatiha ” et ce dernier a pensé qu’il était inutile d’écrire une sourate qui était apprise par cœur par tous et que tout un chacun devait réciter tous les jours plusieurs fois ; ” si je devais l’écrire ” aurait-il dit, “je l’écrirais au début de chaque sourate”.
Les différences qui subsistaient à travers ces différentes copies individuelles, étaient parfois d’ordre chronologique mais surtout d’ordre lectionnel dans la mesure ou il y avait sept lectures permises. Ces variantes, dites qira’at ou “lectures” peuvent être utilisées lors de la psalmodie et ne portent en fait que “sur des modes d’articulations consonantiques ou vocaliques, sur de légères divergences de détail n’entamant généralement pas le sens du texte” 11.
À titre d’exemple, l’utilisation des lettres “zayn” ou ” sin ” au lieu de la lettre “sad”, ou la généralisation de l’utilisation de la damma équivalent du son “ou” en français à la fin des mots qui se terminent par l’ adjectif possessif “Kum” (le vôtre) au lieu du “sukun” (arrêt sonore qui suppose une absence d’articulation) : Comme dire “”ilahukumu” au lieu de ” ilahukum ” pour signifier votre Dieu.
Durant les Batailles de Al-‘Aqaba (menée en 633 contre un faux prophète du nom de Musaylama) et celle dite Alyamama (menée en 656 contre les armées byzantines) de nombreux mémorisateurs du Coran ont été tués.
Devant ces hécatombes successives, ‘Umar qui craignait la disparition d’un plus grand nombre de ces précieux mémorisateurs, ce qui serait préjudiciable au texte coranique, suggéra au Calife Abu Bakr de rassembler le Coran pour en faire un canon officiel.
Abu Bakr hésita tout d’abord à accomplir une tâche que le Prophète n’a pu faire de son vivant, mais sur l’insistance de ‘Umar, il finit par céder.
Al-Buhari et la Tradition nous citent un hadith qui nous apprend que c’est Zayd Ibn Tabit, le plus jeune sécrétaire du Prophète, un linguiste qui savait écrire l’arabe, l’hébreu et le syriaque, qui a été pressenti pour accomplir cette tâche. Après avoir hésité, lui aussi, et pour les mêmes raisons qu’Abu Bakr, il finit par cerner l’importance de l’œuvre pour les générations à venir.
La recension a été longue et fastidieuse comme le rapporte Al-Buhari dans son Sahih. Il nous apprend, par ailleurs, qu’Abu Bakr aurait dit a ‘Umar et Zayd : “Tenez-vous debout devant la porte de la mosquée et ne portez à l’écrit les fragments du Coran en la possession des gens qui se présentent à vous qu’à la condition qu’ils présentent en même temps (pour chacun d’entre eux) deux témoins pour les authentifier”.
Les témoins se devaient d’attester que le texte présenté a été porté à l’écrit en présence de l’Envoyé d’Allah.
Parallèlement, ces textes devaient être authentifiés par les lectures orales en possession des mémorisateurs (Huffaz ou qurra’), cette dernière opération était tout aussi importante que la première et constituait une double sécurité.
La recension d’Abu Bakr était présentée à chaque litige ou différent, devenant ainsi une sorte de source d’authentification du texte coranique.
Ces lectures permises du vivant du Prophète et canonisées après sa mort, ont été introduites pour faciliter aux différentes tribus arabes l’utilisation de certains phonèmes et morphèmes qui caractérisaient leurs idiomes respectifs. Ces menues différences lectionnelles ont tout de même engendré des polémiques comme le rapporte Abu Dawud dans son livre Al-Masahif qui transcrit les dires d’un certain Abu Qulaba : “Durant le califat de ‘Utman, les maîtres privilégiaient telle ou telle lecture. Ceci a débouché sur des divergences d’abord entre les apprenants puis entre les enseignants eux-mêmes. Pour finir chaque partie traitait l’autre d’infidèle et ‘Utman l’ayant appris aurait dit alors : “c’est sous mon autorité que vous vous opposez, (sachez que ) les grandes villes qui s’éloignent de moi sont de plus grands opposants”.
Ces paroles sont confirmées par le Compagnon du Prophète, Hudayfa Ibn Al-Yamane (Buhari) qui informe le Calife que les habitants de l’Irak et ceux du Sam 12 s’opposent au niveau de la lecture du Coran.
Durant la bataille d’Arménie, le calife ‘Utman réunit les Compagnons du Prophète et ensemble ils décidèrent de réunir un consensus général
( ijma‘) autour d’une copie officielle du Coran.
Selon des sources concordantes, les circonstances dans lesquelles cette recension a été accomplie peuvent être décrites de la manière suivante.
En premier lieu, Le Calife ‘Utman a demandé à Hafsa épouse du Prophète et fille de ‘Umar de lui remettre les feuillets (suhuf) de la première recension qu’elle avait hérités de son père qui lui, en avait hérité à la mort d’Abu Bakr (Ibn Kathir).
Ces feuillets ont servi de garantie à toute écriture postérieure et notamment lors de la recension uthmanienne. Pour confectionner cette vulgate, quatre scribes ont été choisis : Zayd Ibn Tabit, ‘Abd-Allah Ibn Zubayr, Sa‘id Ibn Al-‘Asi et Abd-Arrahmane Ibn Harit Ibn Hisam.
S’adressant aux scribes Quraïshites, ‘Utman leur dit : “Si vous vous opposez à Zayd, utilisez le parler de Qurays 13 car le Coran a été révélé en leur langue.”
A partir de cette période les sourates seront classées selon l’ordre que nous connaissons. Une copie de cette vulgate dite “uthmanienne” est envoyée à toutes les grandes capitales de l’empire musulman en pleine expansion, après l’élimination des autres variantes.
Cette recension malgré toutes les précautions prises suscita tout de même la polémique. Certains détracteurs du Calife ‘Utman le traitèrent de brûleur de masahif copies du Coran ).
Néanmoins, la vulgate ainsi obtenue était exempte de points diacritiques et de flexion désinencielle (sakl) 14. Il faut tout de même préciser que lors de la récitation du Coran, les nombreux mémorisateurs maîtrisaient et restituaient les différents phonèmes de telle sorte qu’aucune confusion entre les différentes lettres ne soit possible.
Nonobstant les changements linguistiques induits par le développement de la langue arabe et de par les événements décrits ci-dessus, il apparaît comme tout à fait vraisemblable que la copie du Coran que nous avons entre les mains n’a aucunement subi de changement au niveau sémantique, même s’il a varié sur le plan morphologique, et semble demeurer fidèle, à ce niveau, au texte transcrit du vivant du Prophète.
A ce propos, certains orientalistes et notamment Blachère soutiennent que le besoin de porter le Coran à l’écrit s’est manifesté du vivant même du Prophète et que le texte actuel, malgré la multiplicité des “lectures” n’a pas varié au niveau du sens (Blachère, Le Coran, op. cit. , pp. 23-24).
C’est vraisemblablement ainsi qu’est née la “Vulgate” uthmanienne qui continue de faire autorité depuis près de treize siècles.
Les changements linguistiques notables opérés dans la Vulgate Coranique
Au fur et à mesure que le système graphique arabe se précisait les différences lectionnelles ont été à l’origine d’un certain nombre de polémiques. Chaque lecteur (qari’) jugeait sa lecture plus canonique en mettant en avant une chaîne de garants (isnad) incontestable qui remontait aux scribes et aux premiers Compagnons du Prophète (‘Ali, ‘Umar, Ibn ‘Abbas, etc.).
C’est pourquoi Al-Hajjaj Ibn Yusuf, le plus célèbre des gouverneurs ommeyades, homme de lettre et de guerre, entreprit de réviser la graphie uthmanienne avec l’aide d’érudits et de lecteurs renommés.
Cette révision a consisté, pour l’essentiel, à introduire les voyelles et les points diacritiques. Signalons tout de même que dès les origines, les lecteurs (qurra’) et autres mémorisateurs (huffaz ), ont toujours su restituer les différents phonèmes lors de la récitation qui peuvent prêter à confusion, ce qui n’était pas à la portée de tous les fidèles, d’ou la nécessité d’uniformisation. Avant cette révision les non-initiés pouvaient confondre entre plusieurs lettres qui s’écrivaient alors de la même manière.
Par exemple un seul caractère servait à noter “Al-ba’ ” (équivalent du “b” français) ; “Al-ta’ ” (“t” français”) ; la semi-voyelle “Al-ya’” ; le “ta” (équivalent du “th” anglais dans “think”), etc.
Pour les spécialistes musulmans et occidentaux (Nöldeke, Schwally, Blachère, etc.), Al Hajjaj n’a pas été le seul artisan de la restauration graphique du Coran.
Les écrivains arabes du temps des Omeyyades, tels Ibn Abi Dawud (mort en 698), Abu Ahmad Al-‘Askari (mort en 992) ont contribué à la transformation de l’écriture défective des Arabes en une écriture “pleine” (scripto plena). Mais, le principal artisan de cette œuvre serait un poète de Bassorah nommé Abu’l Aswad Al-Du’ali ( mort en 688). Un lecteur du nom de Nasr Ibn ‘Asim aurait placé des points pour marquer les voyelles sur ordre d’Al-Hajjaj, mais les voyelles dites flexionnelles (marquant la fonction des mots) seraient l’œuvre d’un certain Yahya, lecteur à Bassorah ( mort en 746).
À ce propos, les exemples les plus frappants sont : l’utilisation de la notion de “raf‘ ” avec l’emploi de la “damma” pour indiquer le sujet et la notion de “nasb ” avec l’utilisation de la “fatha” pour indiquer le complément d’objet.
Dans la foulée on aurait introduit la chadda (signe qui signifie le doublement de la lettre), la hamza ( émission “piquée” d’une voyelle longue initiale), et la nounation (tanwin) des voyelles brèves (prononciation ” ann “, “unn “, ” inn “). Pour toutes ces raisons, les lecteurs commencent à prendre de plus en plus d’importance à mesure que la nécessité de disposer d’une Vulgate canonique unifiée se fait de plus en plus grande.
C’est à partir de cette période que l’on parvient à ressentir la nécessité de canoniser les sept lecteurs qui prennent appui sur le système hérité du vivant du Prophète. La toute première tentative pour mettre en pratique le principe unanimement admis de la pluralité des lectures, a été l’œuvre d’un philologue du nom de Abu ‘Ubayd (mort en 837) qui a dressé, pour la première fois une liste. Il fallait avant tout sélectionner les lectures “canoniques” et rejeter celles jugées comme “exceptionnelles” (le principe appliqué ici a été celui de l’ijma‘).
C’est Ibn Mujjahid ( 859-936), chef des lecteurs à Baghdad qui a mis sur pied, le premier, une version écrite complète et officielle du Coran en se basant sur la doctrine des sept lectures devenues désormais des références canoniques.
Qui étaient ces sept ? Il s’agit de professeurs du Coran du VIIIe siècle (IIe siècle de l’Hégire) qui enseignaient dans les plus grandes villes arabes (La Mecque, Médine, Damas, Bassorah, Coufa). Chacun d’entre se basait sur une chaîne de garants (isnad) jugée irréfutable. Ce sont :
1 – Nafi‘ (mort en 785) pour Médine. Il eut pour disciples les ” lecteurs” Isma‘il Ibn Ja‘far, l’imam Malik (fondateur du rite malékite), le grammairien de bassora Al-Asma‘i, le grammairien
“lecteur” de ce même centre Abu ‘Amr Ibn ‘Ala’. Il a eu pour transmetteurs ses deux disciples l’Egyptien Utman Ibn Sa‘id, plus connu sous le nom de Wars et ‘Isa Ibn Mayna, plus connu sous le nom de Qalun. C’est cette lecture qui prévaut au Maghreb et dans une bonne partie du reste de l’Afrique.
2 – ‘Abd Allah Ibn Katir (mort en 737) pour la Mecque : Ses garants sont le Compagnon du Prophète ‘Abd-Allah Ibn As-Sa’ib, Mujahid et Dirbas. Ses transmetteurs sont des disciples indirects : Ahmad Ibn ‘Abd-Allah dit Al-Bazzi et Muhammad Ibn ‘Abd-Arrahman Ibn Muhammad dit Qunbul.
3 – Abu ‘Amru Ibn Al-‘Ala’ Al-Mazini (689-770) pour Bassorah : Il reçut les lectures de presque tous les grands “lecteurs” : Nafi‘, Ibn Katir, ‘Asim, etc. Un bon nombre de grammairiens adoptèrent sa lecture, notamment Al-Asma‘i et Ibn Habib. Ses transmetteurs ont éte des disciples indirects, ce sont : Hafs Ibn ‘Umar (Ad-Duri) et Salih Ibn Ziyad (Abu Su‘ayb As-Susi).
4 – Ibn Amir (mort en 736) pour Damas : Ses garants sont le Calife ‘Utman et le Compagnon du prophète Abu -Ad-Darda’, etc. Cadi de cette ville sous le règne du Calife Ommayyade al-Walid Ier. Il eut pour transmetteurs ses disciples indirects ‘Abd-Allah Ibn Ahmad (ibn Dakwan) et ‘Amar As-Sulami, cadi de Damas.
5-‘Asim Ibn Abi’l- Najjud (mort en 744) : l’isnad qu’il produit pour sa lecture remonte aux Compagnons-“lecteurs” les plus célèbres : ‘Utman, ‘Ali, Zayd Ibn Tabit, Ubay Ibn Ka‘ab, Ibn Mas‘ud. Parmi ses élèves, on compte Al-A‘mas, Abu ‘Amr Ibn ‘Ala, le grammairien Al-Halil, etc. Il eut pour transmetteurs ses disciples directs : Su‘ba Ibn ‘Ayyas et surtout Hafs Ibn Sulayman. À l’exception du Maghreb et une partie de l’Afrique, sa lecture prévaut dans presque la totalité du monde musulman.
6- Hamza Ibn Habbib (mort en 772) : Ses garants sont pratiquement les mêmes que ceux de ‘Asim. Le plus célèbre de ses élèves est le grammairien -“lecteur” A- Kisa’i. Ses transmetteurs sont des disciples indirects Halaf Ibn Hisam et Hallad Ibn Halid.
7- Pour la ville de Coufa ‘Ali Ibn Hamza, plus connu sous le nom de Al-Kisa’i, (mort en 804). Elève de Hamza dont il se sépara, de Nafi‘ (indirectement) de Ibn ‘Ala. ¨Parmi ses disciples on cite l’imam Ibn Hambal. Ses deux transmetteurs sont Abu Al-Harit (Al-Layt Ibn Halid Al-Bagdadi) et Ad-Duri ( Hafs Ibn ‘Umar).
Selon Abu Muhammad Al-Himani (Al-Qurtubi) c’est aussi Al-Hajjaj qui le premier demanda aux exégètes et lecteurs du Coran d’étudier ses structures littéraires.
Peut-on porter un jugement historique sur le texte coranique ?
Pendant plus de trois siècles, les initiatives et les tentatives se sont succédées pour établir une version complète et officielle du Coran et dés le début de la Révélation, le Prophète et ses Compagnons, puis les Tabi‘ines et les savants et coranistes musulmans ont toujours eu comme souci majeur, la pérennisation du texte coranique et le développement de la graphie arabe.
Dans une société essentiellement à tradition orale et en raison de l’imperfection de l’écriture arabe de l’époque, le cheminement a été long et fastidieux. Malgré toutes ces péripéties, la conservation du texte coranique a été un succès grâce au zèle des fidèles mais surtout grâce aux initiatives de certains Compagnons du Prophète (Abu Bakr, Umar, Utman, Zayd, etc.) et autres hommes d’état tels que le calife ommeyade Abdalmalik et son gouverneur Al-Hajjaj Ibn Yussuf.
Même si la fragilité des éléments historiques demeure, il est un fait bien établi auprès de tous que ni la science, ni le modèle historique ne peuvent nous renseigner sur l’intégrité absolue du texte coranique hérité de par la recension uthmanienne. Hamidullah dans son introduction à sa traduction du Coran parle d’une copie de la vulgate uthmanienne se trouvant en Turquie et selon Ibn Nadim (le Fihrist) Ibn Batuta le célèbre géographe et voyageur maghrébin aurait consulté une autre copie à Tachkent.
Néanmoins, les copies les plus anciennes du Coran et accessibles actuellement en Occident dateraient du deuxième, cinquième ou du sixième siècle de l’Hégire comme celles de la Bibliothèque Nationale à Paris dont les écritures sont soit hedjazienne (exempte de points diacritiques et de flexion désinentielle) ou coufique (avec un vocalisme très limité ou une absence de diacritisme).
Les témoignages et les hadiths se référant à la mise à l’écrit du texte coranique restent les seuls éléments d’époque qui peuvent nous renseigner sur la question. Cependant, la période très restreinte qui sépare la Vulgate uthmanienne des copies hedjaziennes et coufiques (au plus un siècle pour les plus anciennes) et le grand nombre des traditions et des témoignages concordants, depuis les toutes premières générations de musulmans, semble plaider en faveur de l’intégrité sémantique du texte coranique (Blachère, 1991 et Caratini, 1996, op. cit.).
Abdelhamid BELHADJ HACEN / oumma.com