Des boĂźtes de nuit, un cinĂ©ma, le palais des CongrĂšs et de grands hĂŽtels sâĂ©tendent le long des jardins de lâAgdal, les plus anciens de Marrakech. Ils ont donnĂ© le nom Ă ce quartier touristique, Ă une dizaine de minutes seulement de lâaĂ©roport et de la mĂ©dina.Â
Câest dans cet emplacement stratĂ©gique, que se trouve le Mogador Agdal Palace, un des Ă©tablissements de la plus grande chaĂźne hĂŽteliĂšre au Maroc. Le groupe Mogador, rĂ©putĂ© pour ses hĂŽtels « familiaux » est lâun des rares a avoir fait le choix ne de pas servir dâalcool.Â
Un bon point pour les acteurs du tourisme halal. Sur HalalBooking, un site crĂ©e en 2009 et devenu une rĂ©fĂ©rence en matiĂšre de rĂ©servations de sĂ©jours pour une clientĂšle musulmane, le Mogador Agdal Palace est ainsi rĂ©fĂ©rencĂ©.Â
Cet hĂŽtel cinq Ă©toiles, avec deux piscines, deux restaurants, un spa et 600 chambres rĂ©pond en effet aux critĂšres pour ĂȘtre « muslim friendly ». Il peut convenir aux attentes principales des voyageurs musulmans et les accueillir de façon bienveillante.Â
« Ici câest la sĂ©curitĂ©, le respect, une ambiance familiale », assure le propriĂ©taire, qui se vante de recevoir prĂšs de 5 000 enfants au mois dâaoĂ»t et dâavoir toujours Ă©tĂ© halal.Â
La deuxiĂšme piscine de lâhĂŽtel Mogador modifiĂ©e pour accueillir un public fĂ©minin
Seulement, lâĂ©tablissement est encore loin de ressembler aux hĂŽtels turcs estampillĂ©s halal. En Turquie, les endroits touristiques comme Antalya regorgent de complexes hĂŽteliers destinĂ©s aux musulmans qui comprennent des piscines rĂ©servĂ©es aux femmes, des spas sĂ©parĂ©s, des tapis et le Coran dans les chambres, un dress code dans les zones mixtes, la visite dâun imam le vendredi etcâŠ
Ainsi, pour devenir « davantage halal », lâhĂŽtel devra transformer sa deuxiĂšme piscine, qui sera entiĂšrement dĂ©diĂ©es aux femmes dĂšs le printemps 2019. Des plantes gĂ©antes seront installĂ©es tout autour, pour respecter lâintimitĂ© des dames.Â
« Les femmes en burkini ont un manque de vitamine D. On veut donner lâoccasion Ă toutes les femmes de pouvoir bronzer tranquillement », souligne Nabil Benjelloun, le directeur gĂ©nĂ©ral, qui voit surtout dans le tourisme halal « un bon business ».Â
Pour autant, celui-ci rĂ©pĂšte quâil veut rester « ouvert Ă tout le monde ». « On ne veut pas de label. Si je mets une âpancarte halalâ devant mon hĂŽtel, je nâaurais pas cette clientĂšle là  »,prĂ©cise t-il, en montrant du doigt des clientes en maillot de bain deux piĂšces autour de la piscine.
Une certaine rĂ©ticence que Ufuk Seçgin, directeur marketing de HalalBooking, comprend. « Le Mogador a dĂ©jĂ une clientĂšle bien Ă©tablie, donc nous allons procĂ©der par Ă©tapes. Sâils voient que la demande augmente, nous sommes sĂ»rs quâils vont prendre un autre tournant ».Â
« Le Maroc est le lieu idĂ©al pour rĂ©pliquer le mĂȘme marchĂ© que nous avons en Turquie »
Au Maroc, halabooking a dĂ©jĂ prĂšs de 80 partenaires potentiels. Seulement il faut convaincre les propriĂ©taires des hĂŽtels, riads et villas privĂ©es, de lâopportunitĂ© que reprĂ©sente le tourisme halal.Â
Ce secteur en pleine croissance reprĂ©sente dĂ©jĂ 145 milliards de dollars Ă travers le monde et devrait peser 283 milliards de dollars dâici 2023, soit 14% du marchĂ© mondial du tourisme, selon les chiffres de Thomson Reuters.Â
Ufuk Seçgin estime que câest une aubaine pour les hĂŽteliers marocains. Ils pourraient diversifier leur clientĂšle et se positionner sur une « niche lucrative », oĂč il y a encore peu de compĂ©tition dans le pays. Il voit dâailleurs un fort potentiel dans le Maroc, pour les sĂ©jours halal friendly.Â
« Le Maroc est le lieu idĂ©al pour rĂ©pliquer le mĂȘme marchĂ© que nous avons en Turquie. Câest un pays musulman avec une culture, une histoire importante. Ils ont les infrastructures nĂ©cessaires, une bonne qualitĂ© de service dans les hĂŽtels, une viande halal et du soleil toute lâannĂ©e ! », énumĂšre t-il.Â
De plus, la demande semble ĂȘtre en augmentation pour cette destination. Certes, beaucoup de clients musulmans rĂ©servent chaque annĂ©e des sĂ©jours en Turquie, qui reprĂ©sentent dâailleurs 90% du chiffre dâaffaires de HalalBooking. Mais dĂ©sormais, les voyageurs souhaitent diversifier leurs vacances.Â
« Ces derniers mois nous avons eu au moins 200 rĂ©servations pour le Maroc », confirme Amina Boulassel, du service client.Â
20 000 rĂ©servations aux Maroc prĂ©vues par HalaBooking dâici 2019
« Dâici 2019, nous avons pour le Maroc un objectif de 20 000 rĂ©servations. Nous nâavons pas de mal Ă proposer ce pays du Maghreb qui attire, mais il faut vraiment accentuer les services halal et ce sera un vrai succĂšs. Nous voulons faire du Maroc notre destination numĂ©ro 2 aprĂšs la Turquie », renchĂ©rit SekaĂŻna, chargĂ©e de la gestion et des relations avec les hĂŽtels.
Plusieurs riads, ces maisons traditionnelles construites autour dâun jardin ou patio intĂ©rieur, se tournent donc timidement vers une clientĂšle musulmane. Le Riad Arabo Andalou, Ă quelques minutes Ă pieds de la cĂ©lĂšbre place JemaĂą El Fna, collabore avec HalalBooking depuis six mois. « Il nâ y a pas de cĂŽtĂ© halal visible ici, mais le concept mâintĂ©resse. Jâai pensĂ© Ă ma mĂšre qui nâaime pas les ambiances alcoolisĂ©es », explique Kader, le propriĂ©taire.Â
ValĂ©rie, du Riad Cherratta, propose elle sa maison privĂ©e de quatre chambres avec terrasses, en exclusivitĂ© sur le site de tourisme halal. « Il faut bien se dĂ©marquer de la concurrence. AprĂšs, peu importe le type de groupe. Ici en tout cas, les femmes voilĂ©es pourront ĂȘtre Ă lâaise », atteste la gĂ©rante française.Â
Le concept du tourisme halal repose en effet principalement sur les services spéciaux proposés aux musulmanes. Mais pour le moment au Maroc, les piscines pour femmes, se font encore trop rares. Ainsi, pour sa clientÚle, HalalBooking mise surtout sur les villas privées avec piscine sans vis-à -vis.
Un hĂŽtel fait cependant figure dâexception. Le Vizir Center Park & Resort, Ă 10km du centre de Marrakech, possĂšde depuis plusieurs annĂ©es une piscine privĂ©e.Â
Il est lui aussi rĂ©putĂ© pour ĂȘtre un hĂŽtel familial, avec un parc dâattraction comprenant entre autres un mur dâescalade, une tyrolienne, un terrain de tennis, un parcours accrobranchesâŠ
« Dans la chambre, des tapis de priĂšre et la qibla, ça serait une bonne petite attention. Sinon pour le reste câest trĂšs bien »
En plein mois dâoctobre, des familles se prĂ©lassent encore au bord de la piscine extĂ©rieure mixte, oĂč trĂŽne un bateau pirate emblĂ©matique. Câest ici que se repose Bilal, 30 ans, venu pour cinq nuits avec sa femme et ses deux enfants. Dâorigine marocaine, il est dâabord passĂ© par Tanger pour voir ses proches, mais voulait aussi des vacances tranquilles, au bord de la piscine.Â
Il est un habituĂ© des sĂ©jours dits « halal », en accord avec sa foi. Et pour lui, le Maroc est encore « à des annĂ©es lumiĂšres de ce que propose la Turquie ».Â
« Ce qui me dĂ©range le plus ici, câest la musique », critique t-il.Â
Toute la journĂ©e en effet, sans pause, les chansons sâenchaĂźnent. LâhĂŽtel a dâailleurs dĂ» en supprimer certaines aux paroles peu convenables, Ă la demande des clients.Â
« Une salle de priĂšre ça serait bien et aussi une formule all inclusive. Dans la chambre, des tapis de priĂšre et la qibla, ça serait une bonne petite attention. Sinon pour le reste câest trĂšs bien », concĂšde le pĂšre de famille, de Lille.Â
Pendant ce temps, sa femme, Marion, bronze sur un transat dans la piscine privĂ©e juste Ă cĂŽtĂ©, oĂč les hommes et les portables y sont interdits. Elle dĂ©taille avec engouement Ă sa nouvelle amie Karima, tous les services halal que propose la Turquie. Elle est toutefois consciente que le Maroc fait encore figure de dĂ©butant sur ce crĂ©neau.
Mais toutes deux sâĂ©tonnent que le Maroc, bien que pays musulman, ne propose pas davantage de piscines pour femmes. « Une copine vient chaque annĂ©e. Elle fait la route depuis Agadir jusquâĂ Marrakech pour venir se baigner ici! », rapporte Karima, 39 ans.
Elles sâoffusquent Ă©galement que beaucoup dâhĂŽtels refusent le burkini ou le regardent dâun mauvais oeil. « Jâavais Ă©tĂ© Ă un hĂŽtel Ă Marrakech oĂč jâavais nagĂ© en burkini et tout le monde mâa regardĂ© comme si jâĂ©tais un extraterrestre », ajoute la mĂšre de famille, qui sĂ©journe pour la premiĂšre fois dans un hĂŽtel halal friendly, oĂč les deux types de maillots de bain sont autorisĂ©s.Â
« Est-ce quâau Maroc un hĂŽtel peut se permettre dâĂȘtre 100% halal pour une clientĂšle exclusivement musulmane ? »
Mais burkini et/ou bikini ? Câest une question qui se pose pour certains hĂŽteliers marocains, qui souhaiteraient conserver leur vacanciers dits « occidentaux », tout en sâouvrant Ă des voyageurs musulmans. Deux types de clientĂšles qui « ne sont pas incompatibles », promet SekaĂŻna, de HalalBooking.Â
Mais pour Okan AydoÄan, agent de voyage en Belgique, lâĂ©quation risque dâĂȘtre compliquĂ©e : « Je sais que mes clients ne veulent pas seulement des hĂŽtels halal friendly mais 100% halal. Donc les piscines mixtes avec bikini autorisĂ© pourraient les dĂ©ranger ». Â
Abdelaziz Kabbaj, le gĂ©rant du Vizir, lui aussi, sâinterroge encore. Il reçoit beaucoup de clients grĂące Ă HalalBooking, avec qui il travaille depuis un an et demi. LâhĂŽtel, devant son succĂšs, devrait dâailleurs agrandir la piscine pour femmes et augmenter le nombre de chambres. Mais si celui-ci est convaincu que le Maroc peut encore amĂ©liorer ses services halal, il reste prudent.  Â
« Est-ce quâau Maroc un hĂŽtel peut se permettre dâĂȘtre 100% halal pour une clientĂšle exclusivement musulmane ? Ici en tout cas, notre challenge est de pouvoir accueillir des gens de toutes confessions. Dans lâhistoire du Maroc, les juifs, les chrĂ©tiens et les musulmans, ont toujours cohabitĂ©. On est un hĂŽtel famille au Maroc et pas un hĂŽtel famille en Turquie. Ce nâest pas la mĂȘme chose. Est-ce que lâon peut transposer exactement ce mĂȘme modĂšle au Maroc ? Lâavenir nous le diraâŠÂ »
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